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JAZZ ET INFLUENCES


L'ARGOT DU JAZZ : LE JIVE, TOUT UN LANGAGE !

La musique jazz ne s’est pas seulement développée à travers l’improvisation, un important langage est venu l’enrober. Certains musiciens n’avaient par leur pareil pour exprimer en quelques mots d’argot ce qu’ils ressentaient dans l’instant en écoutant un morceau ou en voyant une jolie fille passer devant leurs yeux…


LE LANGAGE PERSONNEL DU JAZZ : LE « JIVE »

Le jazz a codifié et développé un langage très personnel que l’on continue d’utiliser encore aujourd’hui, notamment chez les rappeurs. Les origines de l’argot jazz remontent à l’époque de l’esclavage, quand les Noirs désiraient communiquer sans que leurs maîtres les comprennent. Avec le temps, certains mots ont certes disparu, mais il faut reconnaître que le bouche-à-oreille a contribué à la survie de quelques-uns. C’est ainsi que les mots Beat, boot, cool, groovy, hard, hip, hot, jam, licks, pad, ready, ride, riff, take off… sont entrés progressivement dans le langage des musiciens.

Le 'Jive', une porte d'entrée au langage des premiers jazzmen.

Si l’on en croit le chef d’orchestre Cab Calloway, qui est l’auteur du premier dictionnaire consacré à l’utilisation de l’argot jive dans le jazz, le ‘Hepster’s Dictionary’, les expressions argotiques étaient couramment utilisées dans le jazz bien avant les années 30. Les mots, souvent imagés et parfois à contresens, s’échangeaient entre musiciens. Pour l'anecdote, le saxophoniste Lester Young, qui faisait partie de ceux qui les utilisaient le plus, avait bien du mal à se faire comprendre quand d’autres musiciens voulaient échanger quelques phrases avec lui. C'est dire !

En plus du bouche-à-oreille, il faut souligner aussi l’influence de la littérature et du cinéma. Il ne manque pas d’exemples où le jive a été utilisé à bon escient. Dans le 7e art, les scénaristes et les metteurs en scène ne se sont pas gênés pour placer à des moments précis quelques expressions de circonstances. Quelques-unes sont présentes dans les deux films de bikers que sont L’équipée sauvage avec Marlon Brando, en 1953, et Easy Rider avec Peter Fonda et Dennis Hopper en 1969. L’écrivain Jack Kerouac en fera également bon usage avec son livre Sur la route dans lequel ses personnages parleront comme des jazzmen.

Comme le présent ne s'accorde pas toujours très bien avec le passé, il en va de même avec certains mots qui évoluent ou qui changent de signification. Par exemple, le mot « cool ». Celui-ci est bien installé dans le langage actuel et va au-delà de la sphère musicale. Signifiant au départ « chouette » ou « génial », le jazz cool des années 50 va lui apporter un sens proche de celui d'aujourd'hui en exprimant une musique aux sonorités douces. « Cool » reflète un comportement calme, relax. On dira d'une personne qu'elle est cool.

Autre mot : « hip », que Cab Calloway désignait comme une personne à la mode, élégante, trouve plusieurs significations et usages. Au départ, le mot provenait du temps de la prohibition et désignait les flasques (gourdes) que les hipsters (1) portaient à la hanche (« hip » en anglais). Le mot sera ensuite repris par les hippies (dérivé du terme wolof « hipi », signifiant « ouvrir ses yeux »). Et par extension repris à travers le courant musical hip-hop des années plus tard ; le mot « hip » désignant alors « ceux qui sont dans le coup » et « hop » signifiant « bondir » ; deux mots qui prennent tout leur sens quand ils sont associés.

Plus étonnant est le mot « hard » qui accompagne certaines musiques de rock. « Hard » ('difficile' en anglais), que l’on pourrait rapprocher du mot ‘hardie’ ou ‘hardiesse’ : 'qui ose sans se laisser intimider', trouve chez la plupart des amateurs de rock un sens plus terre à terre, celui d’une ‘musique qui exprime une contestation portée par un son violent’ ; un sens bien éloigné du langage Jive qui se rapporte à ce qui est bien.

1 - Hipster : Jeune urbain qui affiche un style vestimentaire et des goûts empreints de second degré, à contre-courant de la culture de masse.


LE 'HEPSTER’S DICTIONARY’ DE CAB CALLOWAY

Édité en 1938, ce dictionnaire a été, de son temps, d’une grande importance en « légalisant » un langage servant à promouvoir l’égalité entre les Blancs et les Noirs dans une société prisonnière de ses problèmes raciaux. Pour les Noirs, le Hepster’s était comme une demande d’appartenance et d’intégration dans la société américaine.

Il est intéressant de lire quelques extraits de l’avant-propos où Cab Calloway explique les raisons qui l’ont poussé à écrire ce dictionnaire :

« Il y a environ six ans, j’ai compilé le premier glossaire des mots, des expressions et du patois général employé par les musiciens et les artistes du grouillant Harlem de New York. Le fait que le grand public soit d'accord avec moi est amplement démontré. Il est l'ouvrage de référence en langue officielle jive et il est présent à la bibliothèque publique de New York. Le « Jive talk » fait désormais partie de la langue anglaise au quotidien.

Son utilisation est maintenant acceptée dans les films, sur scène et dans les produits de la chanson de 'Tin Pan Alley' (2). Il est raisonnable de supposer que le « jive » trouvera de nouveaux endroits pour exister, comme l'Australie, le Pacifique Sud, l'Afrique du Nord, la Chine, l'Italie, la France, la Sicile et inévitablement l'Allemagne ; partout où nos forces armées peuvent servir.

Je ne veux pas donner ici l’impression que les nombreux mots contenus dans cette édition sont le fruit de mon imagination. Ils ont été recueillis à partir de toutes les sources imaginables. Beaucoup ont vu pour la première fois la lumière de l’encre de l’imprimante dans la chronique largement lue de Billy Rowe, The Notebook, du Pittsburgh Courier.
 »
(source : flashbak.com)

Malheureusement, la version originale du ‘Hepster’s Dictionary’ n’a jamais été réédité ni même traduit en français. Devenu introuvable, elle est devenue une œuvre littéraire pour collectionneur se négociant à prix d’or, aux environs de 3 000 €.

À défaut de se procurer le ‘Hepster’s Dictionary’, la personne intéressée a le choix entre le Handbook of Original Harlem Jive de Dan Burley, qui est plus complet que le ‘Hepster’s Dictionary’, mais en anglais, et le livre de Jean-Paul Levet, Talking that talk, le langage du blues et du jazz (éditions Kargo) qui comprend de multiples citations et exemples, depuis le « A-Train » jusqu’à « Zydeco ».

2 - Tin Pan Alley : c'est le surnom donné jusqu'au milieu du 20ᵉ siècle à la première industrie de musique populaire américaine située dans le quartier de Manhattan à New York .

QUELQUES MOTS RÉVÉLATEURS…

Dans la sélection ci-dessous, on distingue des mots qui prennent tout leur sens aujourd'hui : 'boogie-woogie (la danse), focus (la photographie), frame (l'informatique)... La traduction de quelques-uns sont même très imagés, en particulier : 'Canary', 'Orchestration' et 'Pigeon' ; le pompon revenant au mot 'V-8' !

  • A hummer (nom) : exceptionnellement bon.
  • Apple (nom) : la grande ville, Harlem.
  • Armstrongs (nom) : notes de musique dans le registre supérieur, notes aiguës de trompette.
  • Barrelhouse (adjectif) : gratuit et facile.
  • Battle (nom) : une fille très simple (ou une vieille).
  • Beat (adjectif) : 1. fatigué, épuisé. – 2. manque de quoi que ce soit (manque de tout).
  • Beat it out (verbe) : jouez-le chaud, accentuez le rythme.
  • Black (nom) : nuit.
  • Boogie-woogie (nom) : harmonie avec des basses accentuées.
  • Boot (verbe) : donner.
  • Canary (nom) : chanteuse.
  • Cat (nom) : musicien dans un orchestre swing.
  • Chick (nom) : fille.
  • Chirp (nom) : chanteuse.
  • Corny (adjectif) : démodé, rassis.
  • Cubby (nom.) : chambre, appartement, maison.
  • Dig (verbe) : 1. se rencontrer. - 2. regardez, voyez. – 3. comprendre.
  • Duke (nom) : main, gant.
  • Evil (adjectif) : de mauvaise humeur.
  • Fall out (verbe) : être submergé par l'émotion.
  • Focus (verbe.) : regarder, voir.
  • Frame (nom) : le corps.
  • Frolic pad (nom) : lieu de divertissement, théâtre, discothèque.
  • Glims (nom) : les yeux.
  • Grease (verbe) : manger.
  • Groovy (adjectf) : très bien.
  • Growl (n.): notes vibrantes d'une trompette.
  • Hard (adjectif) : bien, bien.
  • Hip (adjectif) : sage, sophistiqué.
  • Hot (adjectif) : musicalement torride.
  • Jam (nom) : 1. musique swing improvisée. - 2. fête, rassemblement.
  • Kick (n.): une poche.
  • Knock (verbe) : donner (un baiser).
  • Licks (nom) : phrases musicales chaudes.
  • Line (nom) : coût, prix, argent.
  • Mellow (adjectif) : très bien, très bien.
  • Mouse (nom) : poche.
  • Nod (nom) : dormir.
  • Ofay (nom) : personne blanche.
  • Orchestration (nom) : un pardessus.
  • Pad (nom) : lit.
  • Pigeon (nom) : une jeune fille.
  • Queen (nom) : une belle fille.
  • Ride (verbe) : balancer, garder un tempo parfait en jouant ou en chantant.
  • Riff (nom) : phrase musicale.
  • Sad (adjectif) : très mauvais.
  • Send (verbe) : pour susciter les émotions. (joyeux)
  • Sharp (adjectif) : soigné, intelligent, délicat.
  • Skins (nom) : batterie.
  • Spoutin (verbe) : trop parler.
  • Take off (verbe) : jouer un solo.
  • Threads (nom) : costume, robe.
  • Too much (adjectif) : terme de la plus haute louange (Ex. "Vous êtes trop!")
  • V-8 (nom) : une nana qui méprise la compagnie, est indépendante, ne se prête pas.
  • Yeah, man : une exclamation d'assentiment.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 04/2021)


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