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SON & TECHNIQUE

LE MIXAGE DE LA MUSIQUE EN STUDIO : QUESTIONS ET RÉPONSES

Lorsque dans un studio vient le moment de mixer un morceau, les oreilles sont mises à rude épreuve. Le mixage est une opération délicate qui demande du temps et de l’expérience. Il faut faire les bons choix et posséder une oreille critique qui sache synthétiser et mettre en relief chaque détail suivant leur importance dans le résultat final.


LE MIXAGE, QU’EST-CE QUE C’EST ?

Le mixage consiste à mélanger plusieurs sources sonores via une console afin d’obtenir un résultat proche du produit fini. L’ingénieur du son doit s’assurer qu’aucune partie instrumentale ou vocale ne soit dévalorisée l’une par rapport à l’autre, mais conserve au contraire un niveau sonore équilibré et satisfaisant. La mise en œuvre du mixage et de ses solutions dépend le plus souvent d’une concertation entre le producteur, le directeur artistique et l’ingénieur du son.

En théorie, il n’existe pas de « tracks » (prises de son) qui soient prioritaires et d’autres secondaires. Si l’arrangement musical a été bien pensé, toutes les pistes enregistrées sont censées jouer un rôle dans le résultat final, aussi minime soit-il. Toutefois, les avis peuvent diverger quand arrive le moment de choisir entre plusieurs prises pour n'en retenir qu’une seule. D’autre part, mixer ne consiste pas seulement à ajuster des niveaux sonores, de placer telle piste plus en avant par rapport à telle autre. Cette opération n’est qu’une vision superficielle de ce qu’est un mixage. Une multitude d’interventions techniques attend la personne qui en prend la charge.

Le bien nommé ingénieur du son est là pour corriger et améliorer artificiellement les sons d’un enregistrement multipiste. Pour cela, il dispose de deux types d’outils : les processeurs de signal et les effets. Les premiers permettent de modifier en profondeur la balance du morceau et sa couleur (modification du signal original par le signal traité). Les processeurs de signal sont généralement utilisés avant les effets (qui eux morcellent le signal avant de le traiter, pour être ensuite dosé et rajouté au signal original).

Au préalable de toute opération, le technicien son doit vérifier toutes les pistes qui ont fait appel à des micros et doit si nécessaire « nettoyer » tous les petits bruits parasites intempestifs : bourdonnement, craquement, sibilance… Il utilise pour cela des réducteurs de bruits, genre noise gate et dans le cas d’un bruit de souffle trop important, l’égaliseur.

Puis vient le moment de se lancer. Les différents outils destinés à contrôler le mixage sont alors sous la responsabilité de l’ingénieur du son, lui-même secondé quelquefois par un assistant. L’opération est délicate puisqu’elle demande d’interagir sur plusieurs éléments à la fois et d'y revenir souvent. Dans un premier temps, l’ingénieur du son étalonne grossièrement le mixage pour avoir un premier aperçu...

© pixabay.com


LES OUTILS POUR MIXER

LE FADER DE VOLUME : avec le pan post, l’égaliseur et le gain, le fader du volume constituent l’essentiel du réglage d’une tranche de console (voix ou piste). Le fader permet d’ajuster la puissance sonore en sortie d’un instrument. La montée en puissance d’une piste ne s’opère jamais sans avoir eu la précaution de vérifier le gain d’entré, ceci pour éviter toute forme d’écrêtage (distorsion du signal).

Utilité : l’ajustement du volume de chaque tranche est une correction de premier niveau. L’ingénieur du son détermine à la volée les différents étages de puissance de chaque instrument. Le résultat est immédiat et permet de réaliser une estimation grossière de ce que donnera la musique une fois mixée. Le technicien son a aussi la possibilité à tout moment de couper une ou plusieurs pistes pour n’en retenir qu’un certain nombre. C’est utile pour se concentrer sur certains instruments (batterie, basse, guitare…) ou pour vérifier la compacité sonore d’un ensemble (rythmique basse/batterie, ensemble à cordes, section de cuivres, etc.).

LE PANNING (contrôle panoramique) : il détermine l’image stéréophonique du son pour chaque instrument. Le choix de son réglage est très subjectif ; le son du piano, de la guitare ou de tout autre instrument pouvant se positionner au centre de l’image sonore comme légèrement à droite ou totalement à gauche.

Utilité : le panning facilite l’écoute de la musique dans sa globalité, mais aussi dans ses détails en positionnant les différents instruments de droite à gauche. Les oreilles perçoivent toujours mieux une musique quand le son des différents instruments se scinde sur des plans sonores distants les uns des autres. C’est très significatif en ce qui concerne les différents éléments de la batterie, alors que la basse, qui est généralement au centre de l’image sonore, doit être travaillée d’une tout autre façon pour être perçu convenablement. (les fréquences basses sont toujours plus difficiles à faire ressortir que les aigus).

L’ÉGALISATION : c’est la correction de second niveau. C’est un outil très puissant et indispensable pour donner de la personnalité au son. Toutefois, mal maîtrisé, il peut faire des dégâts ! L’égalisation comprend par tranche plusieurs boutons de contrôle, habituellement trois ou quatre, chacun agissant sur une fréquence précise allant du grave aux aigus en passant par les médiums.

Utilité : l’intérêt de l’égalisation est multiple. Elle est d’abord « corrective » en modifiant la "faiblesse" du son original, en atténuant ou en augmentant certaines fréquences. L’égalisation sert aussi à atténuer les fréquences indésirables (souffle). Son autre usage - trop souvent répandu – est « créatif ». Cela signifie que la correction ne consiste pas à faire sonner les instruments comme ils le devraient, mais à les « colorer » parfois sur des critères tout personnel, tel que le technicien du son l’imagine dans sa tête.


DES EFFETS, POURQUOI FAIRE ?

En studio, le son final d’une batterie, d’une basse ou d’un piano n’est jamais le même que la réalité. Pour en avoir une idée précise, le mieux est d’aller dans un magasin de musique et de s’installer à un piano ou une batterie et de jouer, pour ensuite faire la même expérience dans un studio professionnel et écouter le résultat dans la cabine son. Le constat est sans appel : le son est d'une incroyable présence. De quoi porter un regard différent sur la musique qui sort de vos enceintes ou de votre casque !

Lors de la prise de son, le set de la batterie est capturé sur des pistes séparées. Dans un premier temps, suivant ce qu’il souhaite obtenir, l’ingénieur du son doit s’assurer que les micros sont disposés correctement, juste là où il faut. Idem pour le piano. Les deux, trois micros nécessaires agissent comme des oreilles posées à quelques centimètres au-dessus des cordes. Outre un positionnement quasi scientifique, chaque modèle de microphone doit être adapté à l’instrument qu’il doit capturer en fonction de la pression sonore exercée et de la fréquence. Ensuite, il ne reste plus qu’à « retoucher » individuellement le son, piste par piste. Dès lors, chaque détail capturé sonnera avec une grande présence, de façon distincte et avec du relief.

Cette attention qui conduit les studios actuels à produire un son ample, précis, coloré ou bien mat, ne doit rien au hasard. Cela répond à une demande. Même les enregistrements live n’y échappent pas en étant énormément retouchés. Cependant, toutes les opérations qui se succèdent pour aboutir au produit final ne sauraient être réalisables sans l’intervention des effets. Ces outils sont utilisés pour dynamiser le son, l’enrober, l’enrichir, bref le contrôler au mieux pour définir une image sonore précise.

Les effets ne sont pas intégrés dans la console. Ils viennent s’ajouter à la longue chaîne des éléments de fabrication du son entre l’instrument et la console, en insert dans celle-ci ou plus rarement en sortie. Les effets dont dispose un ingénieur du son peuvent être très nombreux, mais tous ne sont pas indispensables pour réaliser un son de bonne qualité. L’utilisation des effets ne doit pas être gratuite, mais justifiée pour de nobles raisons. Concevoir leur usage comme des béquilles de secours afin d’améliorer une prise de son déficiente ne pourra, finalement, qu'apporter un résultat en demi-teinte.

Toutefois, certains effets sont indispensables pour compenser et retrouver les particularités naturelles des instruments acoustiques. Les deux plus importants et les plus utilisés sont la réverbération et la compression. Presque tous les enregistrements incluant des instruments acoustiques et des voix les utilisent.

© Elrond (wikipedia) - L'ingénieur du son Eric Uglum (Capitol Records Studio - Los Angeles, 2017)


LA RÉVERBÉRATION

La réverbération est un effet incontournable que l’on rencontre dans de nombreuses productions musicales. Complexe sans en avoir l’apparence, parce existant déjà à l’état naturel, la réverbe (nom courant donné à l’effet) imite la réflexion des ondes frappant sur les murs dans un espace clos en ajoutant un ensemble d’échos sur le signal d’entrée. Pour faire simple, la réverbe fonctionne ainsi  : le pre-delay, qui correspond au début de la réverbe, est suivi des premières réflexions qui constituent un ensemble complexe d’échos dont la durée est déterminée par le decay.

Le but recherché est de créer un sentiment d’espace et de profondeur. Se rapprocher d’une réverbération naturelle, telle est l’idée de départ. Si le résultat obtenu par les réverbes à plaque et à ressort des années 70 n’est qu’une pâle imitation (mais encore utilisé dans de nombreux studios justement pour leurs défauts), l’arrivée des technologies numériques a permis de créer des unités capables d’imiter de façon très réaliste n’importe quelle réverbération en provenance d'une grande ou petite pièce.

Pour bien comprendre le pourquoi de la réverbe, vous devez savoir que dans les studios d’enregistrement, le traitement acoustique amenuise les réflexions naturelles des murs, ceci afin d’obtenir un meilleur contrôle du son lors des prises. L’utilisation d’une réverbe devient dès lors indispensable pour retrouver le son de l’instrument dans un environnement plus naturel.

En studio, l’avantage est certain puisque l’ingénieur du son, qui a un contrôle total sur le son enregistré, peut à loisir tester le niveau comme la durée de l’effet. Il peut ainsi créer l’illusion que le son a été capturé dans une salle de bain ou qu’il provient de l’église du Sacré-Cœur d’à côté !

De nombreuses réverbes actuelles possèdent des paramètres préréglés pour faciliter la tâche de l’ingénieur du son. Ces mixages spécifiques, qui portent souvent des noms évocateurs (small bright, large dark, large warm…) font gagner un temps précieux ; l’essentiel étant de trouver le paramétrage qui convient en fonction de l’effet souhaité.

LA COMPRESSION

La compression est utilisée dans le circuit de nombreuses musiques « modernes » : rock, pop, hip-hop, jazz… Seule la musique classique semble vouloir l’éviter à tout prix. Pourquoi ? Comme le but recherché par l’utilisation d’une compression est de contrôler la portée dynamique du son, si un instrument acoustique en live et non amplifié sonne bien, compresser le signal devient secondaire, voire contre productif.

En revanche, dans la musique dite « populaire », la compression règne à tous les niveaux ou presque. Les instruments à percussion et la batterie sont généralement compressés. Fréquemment assimilée au « punch » qu’elle apporte, la compression est incontournable dès lors que l’on souhaite provoquer un « traitement de choc ». Dans la musique rock, les guitares électriques et acoustiques subissent son effet. Les voix aussi.

Le comportement de la compression étant délicat, l’ingénieur du son est chargé de veiller à ce que ses paramètres soient bien réglés, d’autant plus quand elle est accentuée et trop perceptible. C’est le cas avec un effet bien connu : le pompage, dont la caractéristique est d’associer un ratio élevé à un release rapide (chute du son). Ce phénomène est perceptible quand le signal passe en dessous du seuil et que le compresseur se met en marche pour s’arrêter ensuite par épisode successif.

NB : La compression peut servir aussi de « de-esseur » en agissant sur la sibilance de la voix (sifflement).


© pxhere.com - Prise de son d'une batterie avec ses différents microphones


LES « EFFETS OUTSIDERS »

La liste des effets utilisés en studio est fort longue. Le delay pourrait être l’un d’eux. Son but : produire un ensemble d’échos comprenant panning, filtre et contrôle du volume. Il est notamment utilisé sur les voix, en combinaison avec la réverbe. Parfois, le temps de delay est réglé de façon à se caler avec le rythme du morceau pour former une texture rythmique plus dense ou pour créer une imitation polyphonique de notes isolées.

Citons aussi quelques effets de modulation couramment utilisés : le flanger, qui date des Beatles, est remarquable quand on l’associe à une guitare électrique ou un piano électrique, genre Fender Rhodes. Le chorus, utile pour épaissir le son, proche du flanger. Le phasing qui fait tournoyer le son sur lui-même ou encore la distorsion que l'on emploie dans la musique rock et qui, paradoxalement, vient « salir » la pureté sonore de l’instrument.

Pour les voix, citons l’harmoniseur qui vient enrichir la voix principale par l’adjonction artificielle d’intervalles (tierce, quinte…), et l’indispensable auto-tune, correcteur de pitch (hauteur) utilisé pour corriger les voix légèrement fausses.


MIXER POUR BIEN FAIRE

Chacun ingénieur du son est très attaché à sa façon de réaliser un mixage. C’est avant tout une question de repères acquits après des années d’expériences. Il y a ceux qui commencent par pousser les faders à fond, puis effectuent des ajustements pour avoir un premier aperçu des défauts qu’il faudra corriger ensuite. Il y a ceux qui se concentrent d’abord sur le noyau central : la rythmique. La grosse caisse, la caisse claire et tous les autres éléments de la batterie sont alors ajustés un par un avant d’enchaîner avec la basse. Puis arrive la construction du mix global qui s’opère piste par piste avec les éléments restants : guitares, claviers, etc. D’autres au contraire feront dans un premier temps l’impasse de quelques éléments de la rythmique, considérant qu’une basse ou une grosse caisse, à cause de leurs fréquences basses, perturbent leur écoute.

En fait, le processus du mixage diffère avec les personnes, mais aussi avec les époques, le matériel et le résultat recherché. Ce qui ne change pas, ce sont les oreilles, bien que... leur seul défaut est d’être influençables, de trop juger la musique enregistrée à travers ses innombrables moyens artificiels ; et si les productions actuelles sont riches de procédés techniques, ce n’est pas une erreur, mais un parti pris qui répond à une esthétique souhaitée. Cette transformation du son original devient même nécessaire du fait que notre écoute de la musique s’est acclimatée à entendre des musiques compressées et dénaturalisées. Alors, abolir les défauts ou les limites d’un instrument ou d’une voix, est-ce si condamnable que cela ? La question mérite d'être posée, bien que celle-ci n'interroge plus depuis bien longtemps… du moins dans les studios !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2020)

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