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SON & TECHNIQUE


LA PETITE HISTOIRE DU MIXAGE SONORE

Si l’enregistrement sur bande magnétique est récent, le mixage l’est encore plus. Ce procédé technique s’est imposé de lui-même pour répondre à l’arrivée des premiers magnétophones multipistes. Hier analogique, son passage au numérique a bousculé bien des habitudes dans les studios, automatisant le moindre des paramétrages...


BREF RAPPEL HISTORIQUE

Aux débuts de l'enregistrement, la notion de mixage n’existe pas, pas plus que la haute-fidélité. Pourtant, personne alors ne s’en plaint. À l’écoute des premiers témoignages sonores, le simple fait de capturer le son de sa voix ou d’un instrument est déjà révolutionnaire. Le son produit, qui était de piètre qualité, passe au second plan.

Dans les années 1920, l’arrivée des premiers microphones à charbon permet des enregistrements plus subtils. Certes, la méthode pour enregistrer reste encore sommaire : un seul micro pour capturer un chanteur avec l’orchestre. La conception de studio d’enregistrement n’existe pas encore.

Puis le 78 tours en gomme laque fait son apparition, lui-même remplacé à la fin des années 40 par le microsillon. La durée par face passe alors de 3 minutes à plus de 20 minutes, ce qui permet d’enregistrer en une seule prise des œuvres plus conséquentes, époque qui coïncide avec un nouveau support d’enregistrement : la bande magnétique. Celle-ci va jouer un rôle capital en ouvrant le son au montage et aux premiers effets artificiels (écho).

Les enregistrements sont encore monophoniques, mais on songe déjà à la stéréophonie. Au début des années 50, la technique est déjà au point, mais elle devra attendre une bonne dizaine d’années pour se révéler aux oreilles des gens. Personne, à part les spécialistes, ne comprend ou n’arrive à imaginer ce que le mot « stéréophonie » signifie, et surtout de quelle nature est le son produit.


LA STÉRÉOPHONIE

Ce que les techniciens comprennent déjà dans les studios, c’est que la multiplication des micros rend aussi la prise de son plus complexe, tout en étant globalement plus fidèle à la source. La disposition des micros produit donc des études, des observations et des échanges. L’image sonore alors étroite, frontale, de la monophonie, s’élargit avec la stéréophonie et offre à présent un champ sonore s'étendant de part et d’autre, de droite à gauche. La qualité sonore s’affine et le terme « haute fidélité » fait son apparition. Toutefois, le mixage n’existe pas encore, puisque les enregistrements sont réalisés en direct après qu’une balance (positionnement des micros) soit établie.

© pixabay.com

En 1954, la technique d’enregistrement évolue quand il devient possible de lire (par la tête d'enregistrement) le signal déjà enregistré, tout en enregistrant une piste supplémentaire. Baptisée Selsync, ce procédé permet d’utiliser une seule bande en ajoutant après coup, une autre source sonore. La notion d’enregistrement multipiste fait son apparition. De Duke Ellington en passant par Frank Sinatra, du jazz jusqu’à la chanson, un relief sonore saisissant entre dans l’histoire.


L'ARRIVÉE DE LA CONSOLE DE MIXAGE

Quand, dans les années 60, les premiers magnétophones multipistes font leur apparition, on assiste dans les studios d’enregistrement aux premiers « mix ». Ceux-ci consistent à « tracker » en deux pistes stéréo l’ensemble des pistes occupées pour les envoyer sur un second magnétophone multipiste. L’enregistrement peut ainsi se poursuivre sur les pistes restées libres. Ce procédé de transmission de données peut se réaliser à plusieurs reprises en sachant que tout retour en arrière est impossible. Il fallait donc anticiper les différentes étapes de ce type d'enregistrement "son sur son" en dosant méticuleusement le niveau de chaque nouvelle prise. L'ingénieur du son était bien plus qu'un technicien, c'était un artiste !

L’inflation des pistes du magnétophone qui passe de 4 à 24 entre 1964 et 1972, et à laquelle il faut ajouter un parc de microphones conséquent et de nouveaux effets, nécessitent l’utilisation d’un outil qui puisse gérer au mieux les signaux en provenance des différentes sources : la console de mixage.

Le concept de mixage apparaît dès lors comme une nécessité absolue. Si le principe est simple, la technique l’est beaucoup moins et n’aura de cesse d’évoluer. La qualité du mixage est le point d’orgue, celui qui révèle l’identité ou la particularité du disque à venir. Un mauvais mixage est capable d’anéantir ou d’altérer les efforts consentis en amont.

Quand l’ensemble des prises est terminé, le mixage va consister à doser les différentes pistes utilisées. Pour cela, l’ingénieur du son a entre les mains de nombreuses possibilités pour améliorer le son (égalisation, niveau…) et rajouter des effets (compression, delay, réverbération, etc.). Cependant, jusqu’à la fin des années 60, les consoles de mixage sont rudimentaires. Certaines n’ont même pas de contrôleurs panoramiques (pour envoyer le signal graduellement vers la droite ou vers la gauche) ou alors ils sont crantés, avec des angles gauche/droite préétablis.

Dans les studios, les techniciens remarquent que l’ajout de nouveaux contrôleurs (égaliseur paramétrique, compression et autres effets) entraînent à leur suite une déformation du signal d’origine, au point que les sons obtenus s’éloignent toujours plus du signal capturé. Le piano est un très bon exemple, car celui entendu par le public sur une scène de théâtre n’a souvent rien à voir avec celui que l’ingénieur du son travaille en studio.

Le traitement acoustique réalisé en studio, la proximité des micros et de leur disposition vis-à-vis de chaque instrument (qui favorise un son direct et très présent), puis les effets rajoutés, doit apporter au signal restitué via les enceintes une sonorité flatteuse pour les oreilles, du moins c'est ce qui est recherché. C’est là le but du mixage. Même le son enregistré lors d’un concert et remixé en studio est sensiblement différent de celui perçu par le public.


LE STUDIO D'ENREGISTREMENT, OUTIL DE LABORATOIRE

La véritable prise de conscience du studio d’enregistrement comme outil de laboratoire se produit du temps des Beatles, au cœur des années 60. Avec beaucoup d’imagination et une parfaite maîtrise du matériel, deux magnétophones 4 pistes permettent déjà de réaliser des prouesses techniques (ce que les quatre de Liverpool et les Beach Boys ne se priveront pas de faire en réalisant leurs albums concepts). Le mixage, élément déterminant du son à venir, devient aussi une course contre le temps. De quelques heures, sa durée passe parfois à plusieurs jours pour un seul titre.

L’enregistrement séparé des instruments comme le positionnement sonore en stéréo des éléments de la batterie s’imposent. Ce qui était encore de la cuisine de studio parvient aux oreilles du mélomane grâce à l’amélioration du son « grand public ». La « haute-fidélité » s’installe à domicile et le son des disques devient le reflet fidèle d’une époque et de ses progrès technologiques.

Dès les années 70, des enregistrements font déjà « écoles », surtout ceux en provenance des pays anglo-saxons (États-Unis, Royaume-Uni). New York, Los Angeles, Nashville, Memphis ou Londres développent leur propre environnement sonore, avec un son personnel plus ou moins élaboré. Des noms commencent à circuler, synonyme d’un savoir-faire précis dans tel ou tel domaine sonore : Tom Lord-Alge, Bob Clearmountain, etc. La France, sans être à la traîne, possède un savoir-faire, mais utilise encore des techniques aux recettes éprouvées, tant en ce qui concerne le contenu musical que le mixage. La musique rock demeure la musique mal-aimée, ce qui pousse les groupes de rock français audacieux à partir enregistrer à Londres ou à New York avec le secret espoir d’être mieux compris.


L’AUTOMATISATION DES TÂCHES

Les consoles et enregistreurs passent à l'ère industrielle. Le côté artisanal disparaît et une standardisation du matériel fait naître sur le marché des marques leaders comme Tascam ou Studer. Les magnétophones se synchronisent et les consoles passent de 24 à 60 voies. Deux mains n’y suffisent plus, l’ingénieur du son à parfois besoin de plusieurs assistants pour tout contrôler.

À la fin des années 70, l’arrivée des premiers systèmes d'automation permet de s’affranchir de nombreuses difficultés. Des informations numérisées sont envoyées vers le magnétophone multipiste. Le mixage ne se déroule plus en une seule phase, mais en plusieurs décalées dans le temps. L’un des grands avantages de l’automatisation est de pouvoir corriger un défaut, de l’isoler, sans devoir tout recommencer.

Ensuite, grâce à l’arrivée du concept « Total Recall », un mini ordinateur est intégré à la console. L’enregistrement du mixage se déroule sous forme graphique et permet d’en réaliser plusieurs afin de les comparer, mais aussi de les enregistrer pour les retravailler des semaines ou des mois après (ce sera le cas avec la console SSL 4000E qui s’imposera dans de nombreux studios professionnels à travers la planète). Avec l’arrivée des faders tactiles, on assiste dans les studios au ballet des potentiomètres qui bougent tout seul ; un effet visuel qui a été depuis intégré dans la plupart des ministudios numériques. Toutefois, cette automatisation des tâches à son revers, celui d’écarter la spontanéité des premiers réglages et de leurs sensations.

© pixabay.com


LE MIXAGE DANS UN MONDE VIRTUEL

Les premiers magnétophones numériques multipistes apparaissent au début des années 80. Les copies s'effectuent en direct sans dégradation. On réalise du copier/coller comme sur n’importe quel ordinateur. Les disques durs, toujours plus impressionnants en termes de capacité et de taux de transfert, voient leur coût prohibitif fondre comme neige au soleil.

Les premières stations de travail audio destinées à la postproduction son pour l'image n’apparaîtront qu’à la fin de la même décennie, ce qui permettra à la bande magnétique d’avoir encore un petit sursaut d’existence.

Les studios d’enregistrement professionnels, d’abord guidés par les logiciels de séquence MIDI utilisés en home studio, deviennent aujourd’hui de véritables studios virtuels. Au début des années 2000, la bande magnétique disparaît petit à petit pour laisser place à l’ordinateur. Tout est à présent qu’une question de mémoire vive, de disques durs, de microprocesseurs, d’interface audio et d’écrans plats !

De nos jours, seuls les grands studios peuvent ambitionner des projets à l’international, car pour les studios de « milieu de gamme », il en va autrement ; leur seule pérennité dépend surtout de la diversité de leurs services et du poids de la concurrence des homes studios placés sous l’égide de producteur ou de musiciens indépendants. Équipé d’une station logicielle performante, un musicien travaillant dans un home studio est à même de dépasser le stade de la « maquette » pour produire un « définitif » qui sera complété dans un studio professionnel par l’adjonction d'instruments acoustiques si c’est nécessaire. Les conditions parfois précaires de l’acoustique, de l’aménagement du local et le recours à des périphériques haut de gamme et micros rendent encore nécessaire l’intervention d’un studio professionnel, ne serait-ce que pour enregistrer dans de bonnes conditions un ensemble de musiciens.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 10/2018)

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