L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LA CHANSON FRANÇAISE SOUS L'OCCUPATION

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les temps maudits de la seconde guerre mondiale n’ont pas fait taire à coup de baïonnettes la vie culturelle et artistique sur le sol français, et encore moins la chanson. Que celle-ci se soit habillée de textes évocateurs illustrant la situation du moment, comme les rationnements, les restrictions en tous genres, il n’y a là rien de plus normal. Le maréchal Pétain sera également chanté dans les écoles comme pour signaler que la ‘Révolution nationale’ était justifiée.


LA CHANSON SOUS L’OCCUPATION

Les censures allemandes et françaises trouveront, dans leur collaboration, les chemins conduisant à un équilibre censé calmer les ardeurs contestataires, sachant que face à l’oppression, le peuple français doit se distraire et s’évader du quotidien. Évidemment, de l’autre côté de la Manche, l’idée d’un patriotisme conditionné ne séduit guère, c’est pourquoi, dans l’intention de contrecarrer cette ‘entente Franco/Allemande’, la BBC diffusera des strophes à l’intention du peuple français et de ses résistants.


ALORS QUE LA GUERRE ÉCLATE…

‘Douce France / Cher pays de mon enfance / Bercée de tendre insouciance / Je t’ai gardée dans mon cœur !’ chantait Charles Trenet… Au printemps 38, la chanson fleurit dans les villes et les campagnes. La chanson s’accorde aux loisirs des congés payés et s’offre en divertissement. Elle se prépare à porter d’autres messages, moins ‘fleur bleue’, en lien direct avec les événements qui vont bientôt voir le jour. La guerre qui est sur le point d’éclater entre la France et l’Allemagne est au centre des préoccupations des Français. Cet affrontement inéluctable inspire certains auteurs. Si les textes suggèrent les événements que les Français redoutent, ils ouvrent toujours une porte vers la liberté ou vers les petits riens de la vie quotidienne.

De septembre 1939 jusqu’en mai 1940, ce sont de longs mois qui s’écoulent avant que l’attaque du sol français par les forces allemandes ne soit plus un secret pour personne et devienne réalité. Durant cette période, la chanson porte en elle des messages d’espoir venant soutenir le moral des Français. Mais au printemps 1940, tout s’accélère. L’Allemagne conquérante a des projets ambitieux, dont celui de prendre sa revanche sur sa capitulation de 14/18. Pour Adolf Hitler, c’est un devoir, une mission qu’il rêve d’accomplir depuis l’époque où, étant caporal, il arborait fièrement sa croix de fer.

En mai 1940, la Belgique est envahie et la France doit se défendre. Face à cette ‘drôle de guerre’, qui va rappeler à certains les souvenirs malheureux des tranchées de 14/18, la chanson va devenir un maillon important en ayant pour but d’enflammer le cœur des soldats. Que ce soit côté français ou côté allemand, des spectacles sont produits et viennent distraire les troupes avant que celles-ci ne repartent vers un combat à la victoire incertaine.

Faute d’une réelle efficacité, la ligne Maginot et son rempart infranchissable, véritable illusion d’un autre temps, réussit toutefois à organiser des spectacles, des tournées d’artistes, en accord avec le ministère de la Guerre. Le moral est important, car les plans d’invasion de l'armée allemande ne coïncident pas avec ceux imaginés par les généraux français. Les troupes françaises, quelque peu désœuvrées, voient alors d’un bon œil la présence d’artistes tels que Fernandel, Maurice Chevalier ou Joséphine Baker venant prêter leur concours au nom de la patrie en danger.

La chanson ‘Ça fait d’excellents Français’ témoigne de cette époque. Autre temps, autres mœurs, les soldats français vont se battre même sans ‘la fleur au fusil’. Malgré des moyens insuffisants, ils vont pénétrer, pendant une courte période, dans le territoire allemand. La voix de Maurice Chevalier donne de l’ardeur et du courage. L’armée française pense renouveler ses exploits de la guerre de 14. La chanson ‘On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried’, dont la version française est interprétée par l’orchestre de Ray Ventura, porte au ridicule l’armée allemande et sa ligne de défense construite en 1936.

En mai 1940, tous les soldats français qui croyaient balayer l’armée allemande plus rapidement qu’en 14 déchantent. En l’espace de deux mois, l’armée allemande va démontrer toute sa supériorité. L’exode du peuple français est en marche, car la rumeur enfle… La population française a peur de l’ennemi. Elle fuit vers le sud pour échapper aux bombardements, à la violence de la guerre. Personne n’a vraiment le choix. La débâcle de plusieurs corps de l’armée française et anglaise, s’embarquant en toute hâte à Dunkerque et laissant derrière eux armes et matériels, ne rassure personne. Ce sera l’un des épisodes tragiques de la défaite de 40.

Des chansons relatent cet exode. Le désarroi comme la douleur sont décrits à travers des chansons aux accents mélodramatiques. ‘Le petit réfugié’ est de celles-là. En effet, rien n’est plus poignant qu’une chanson prenant pour sujet les errances d’un enfant solitaire face aux stupidités de la guerre.


LA CHANSON EN TERRITOIRE OCCUPÉ

Les chansons, même si la défaite n’est pas annoncée ouvertement, traduisent la présence d’un occupant indésirable, qui fait peur et que l’on redoute. Les auteurs des chansons n’aiment pas relater la défaite dans ce qu’elle a d’humiliant, avec ses prisonniers et ses morts. Ils préfèrent se taire et se tourner vers des textes intemporels célébrant l’amour.

Une chanson va traverser toute la guerre, et même les frontières, c’est ‘Lily Marlène’. Si, au départ, elle est destinée aux soldats du Reich, c’est peut-être à cause de son interprète, Marlène Dietrich, véritable antinazie, qu’elle sera réadaptée également en France (ce sera Suzy Solidor qui chantera la version française).

De cause à effet, des chansons du passé ressurgissent, comme la chanson ‘J’attendrai’ chanté par Rina Ketty et qui colle aux événements et à cette occupation naissante. Ces chansons s’adressent prioritairement aux femmes, car la femme symbolise l’amour et non la guerre.

Dans les premières années de l’occupation, les événements concernant les lois d’exclusion contre les juifs, la chasse aux communistes, comme les actualités internationales sont largement ignorés dans la chanson. Celle-ci doit avant tout rassurer le Français, en lui parlant d’amour, en l’amusant, quitte à le faire sourire dans des circonstances qui ne s’y prêtent guère.

Oublier la tragédie et attendre des jours meilleurs, telle pourrait être la philosophie de ces chansons. Si elles parlent d’amour, elles parlent aussi des maux quotidiens de la vie, tels le rationnement alimentaire et son rutabaga, les files d’attentes interminables, ou le ‘marché noir’. La disette s’installe pour longtemps quand Fernandel chante ‘Les jours sans’ ou quand Maurice chevalier entonne ‘La symphonie des semelles en bois’.


RESTRICTION TOUJOURS…

Mais on n’est pas français pour rien !… surtout quand l’alimentation est au centre des débats. À partir de 1940/41, les tickets de rationnement deviennent incontournables, car la France manque de tout. Le troc impose alors ses lois comme une fatalité, sans autre discernement que de tirer avantageusement profit d’une situation désespérée. Des chansons naissent pour illustrer ce commerce sous le manteau : ‘Tric Troc’, ‘Elle a un stock’, ‘Donne moi d’quoi qu’tas, t’auras d’quoi qu’j’ai’, etc. La propagande s’appuie sur ces chansons amusantes et bon enfant pour rassurer, mais également pour conforter son image moraliste.

Les bals populaires étant interdits pour des raisons d’ordre public, le Français va attendre longtemps avant de danser de nouveau au son de l’accordéon. Au milieu de toutes ces restrictions, une chanson donne pourtant une lueur d’espoir vers des jours meilleurs, c’est la chanson ‘Quand les guinguettes rouvriront’. Illusion ou réalité ? Après la défaite, le gouvernement de Vichy sait qu’il est indispensable d’apporter au peuple des repères pour qu’il retrouve un semblant de stabilité, même si ceux-ci sont caricaturaux. Seules les particularités des fêtes folkloriques resteront intactes pour conserver une certaine image de la France. Cette politique, favorable aux coutumes locales, sonnera comme un appel vibrant lancé aux valeurs de la terre et au monde paysan.


LA PROPAGANDE DE VICHY : TRAVAIL, FAMILLE, PATRIE

La devise ‘Travail, Famille, Patrie’ est amplifiée par le gouvernement de Vichy. Prenant au mot celle-ci, il invite les Français à plus de rigueur. Le retour aux valeurs fondamentales de la patrie font naître des chansons comme ‘Sous les plis du drapeau’. L’idéal est glorifié par des chansons chantées en chœur dans les écoles, à l’usine et ailleurs. Le chant incarne la discipline, la réussite, en favorisant l’esprit communautaire. La propagande conduit bien son troupeau en galvanisant certaines valeurs préétablies.

Femmes, vous devez devenir des exemples ! La propagande fait ressortir les problèmes liés à la démographie et encourage les femmes à avoir des enfants. "Être maman, c’est être plus jolie" proclame une chanson. Il ne s’agit plus de donner à la chanson des valeurs de divertissement, mais également des valeurs éducatives. De même, la chanson rose s’habille parfois de bleu, quand les femmes voient leur mari partir pour le STO, attendant impatiemment d’avoir de leurs nouvelles (à partir de 1942, la main d’œuvre étant insuffisante en Allemagne, les nazis réclament à la Belgique et à la France de nombreux ouvriers qualifiés). La chanson ‘Seule ce soir’ chantée par Léo Marjane illustre parfaitement la solitude, mais également l’espoir d’un retour providentiel.

Tout comme l’Allemagne, la France porte une certaine attention à sa jeunesse. Un répertoire de chansons est officialisé. Le sens civique et la morale sont revus. Les chansons à la gloire de Pétain trouvent naturellement leur place dans les classes d’école. Des ‘Chantiers de jeunesse’ voient le jour, regroupant plusieurs centaines de garçons pour des ‘stages’ de plusieurs mois. Les jeunes gens font acte de soumission au culte du maréchal et à sa ‘Révolution nationale’. Dans ces camps, les chants sont très présents et cautionnent en retour la chanson-propagande.

Le travail manuel n’est pas en reste. Pour l’ouvrier comme pour le paysan, le travail a ses vertus qu’il doit adopter pour retrouver ses racines et certaines valeurs. Les écoles comme les usines affichent gracieusement le portrait du Maréchal, tandis que des murs s’élèvent l’air de ‘Maréchal, nous voilà’. C’est ainsi que chaque matin, par patriotisme et par endoctrinement, plusieurs millions d’enfants vont chanter cette chanson ‘hymne’ à la gloire du représentant de l’État.


RETOUR SOMMAIRE
FB  TW  YT
CADENCEINFO.COM
le spécialiste de l'info musicale