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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LA CHANSON FRANÇAISE DE LA CENSURE À LA LIBÉRATION

Pour l’Allemagne, la France est un pays occupé voué aux divertissements et aux arts. Les acteurs, chanteurs, musiciens français ‘s’exportent’ au nom de la collaboration artistique entre les deux pays... Cette page fait suite à LA CHANSON FRANÇAISE SOUS L'OCCUPATION.


QUAND LES CENSURES DICTENT LEURS CONDITIONS…

Pour l’Allemagne, la France est un pays occupé voué aux divertissements et aux arts. Les acteurs, chanteurs, musiciens français ‘s’exportent’ au nom de la collaboration artistique entre les deux pays. Aujourd’hui encore, l’histoire ne peut préciser avec exactitude le rôle joué par tel ou tel artiste dans une quelconque implication servant la cause nazie. Si certains étaient volontaires, d’autres subissaient certainement des contraintes sous le poids d’odieux chantages.

Quand en France, la chasse aux juifs et aux communistes prend le même chemin qu’en Allemagne, quand la haine raciale et la censure expliquent tout et se justifient de tout, l’art, toujours relié à la liberté, ne peut vivre dans un tel système. Ainsi, dès 1941/42, poussés par la montée antisémite, les ‘collabos’ et les rafles en préparation, de nombreux artistes juifs fuient et partent en zone libre ou à l’étranger (Angleterre, États-Unis).


LES ZAZOUS

Bien avant l’époque des contestataires aux cheveux longs des années 60, dès 1941, une certaine jeunesse rejette les valeurs imposées par Vichy. Le Zazou masculin était souvent caricaturé avec ses vêtements trop amples et ses cheveux longs. À leur intention, quelques chansons ont été écrites et ont couru sur les ondes des radios, comme ‘Y’a des zazous’ en 1943.


CHANSONS, CINÉMA ET MUSIC-HALL

Après la débâcle et quand le pays commence à ‘fonctionner’ sous l’autorité de Vichy, le music-hall reprend ses activités. À partir de 1941, les grands artistes comme Édith Piaf, Tino Rossi ou Maurice Chevalier retrouvent les ‘planches’. Paris, lieu de villégiature pour l’occupant, est poussé à reprendre ses activités nocturnes. Toutes les grandes salles de spectacle réouvrent, des Folies Bergères à l’Alhambra, en passant par l’Alcazar ou l’ABC.

Tout se déroule comme si rien ne s’était passé ou presque. Les soldats allemands, qui apprécient les spectacles proposés par les artistes français, idéalisent la capitale. Pour eux, c’est une ville dans laquelle s’étale un certain art de vivre qui contraste avec leur pays. Paris représente le luxe, le raffinement, une ville où l’amour est roi.

Face aux combats se déroulant sur le front Est, la capitale parisienne est un havre de paix pour les soldats en permission. Suivant leurs grades, qui va de pair avec leur solde, leur séjour dans la capitale diffère quelque peu. Alors que les officiers visitent les musées et accèdent aux lieux prestigieux, le simple soldat doit se contenter de photographier les monuments et d’assister à des spectacles dans les cabarets de quartier.

Paris, mais également les villes de province, vont connaître le même essor artistique. Les tournées fonctionnent normalement sans que peu ou pas de problèmes internes surgissent. Seuls les artistes de rue seront interdits pour des raisons de subversion… Le cinéma fait salle comble et la chanson trouve dans ce support une réelle destinée. C’est ainsi que naissent des films musicaux, dont le plus célèbre est ‘La romance de Paris’, avec Charles Trenet.

Si la musique classique et la chanson de variété tracent leurs sillons en France occupée, la musique jazz aussi. Les ‘songs’ américains trouvent auprès de la jeunesse un vif intérêt, cependant, ils doivent être réadaptés en français pour être tolérés. Ainsi, contrairement à une idée trop répandue, la chanson swing s’écoute bien avant que les Américains ne débarquent sur le sol français. Quelques chansons au titre évocateur en témoignent : ‘Elle était swing’ ou ‘Grand-Père n’aime pas le swing’.


LA RADIO

Alors que le couvre-feu impose de nouvelles habitudes, la radio devient un média très couru. Encore sous-exploitée au début des années 40, l’objet de toutes les convoitises attire amis et voisins dans des soirées improvisées autour de ceux qui ont la chance d’en posséder un exemplaire.

Sur les ondes existent des stations de Radiodiffusion nationale et étrangères. Les programmes sont éclectiques et diffusent aussi bien des pièces de théâtre, des émissions de divertissements, des informations, que de la musique (les chansons d’amour représentant la majorité des musiques diffusées). Comme pour les actualités cinématographiques, la radio française diffuse bien sûr des messages de propagande. Dès l’été 1940, Radio Paris deviendra la radio de la collaboration et sera installée à Vichy.


QUAND RÉSONNE LA LIBÉRATION

Quelques mois avant le débarquement de Normandie, en 1944, la chanson devient côté anglais une arme de résistance. Les textes des chansons sont détournés. Tout est prétexte à ridiculiser l’ennemi et à cette époque la trahison de l’œuvre originelle passe au second plan. Grâce à la chanson populaire, la contre-propagande espère toucher un large public pour décrédibiliser les manœuvres habiles d’endoctrinement du gouvernement français…

Des chansons en fascicules sont ainsi larguées par avion sur le territoire français. À coup de surenchères et de détournement, la chanson finit par devenir un outil destiné à défendre uniquement la cause, côté français comme côté anglais. La chanson ‘Prosper, yop la boum’ en devenant ‘Hitler, yop la boum’ ridiculise Hitler et annonce une fin toute proche.

La radio anglaise joue également un rôle très important. Sur les ondes de la BBC, des émissions animées par des Français rencontrent un grand succès. Les humoristes n’y vont pas par quatre chemins pour redonner de l’espoir, n’hésitant pas à transformer les messages de Vichy de façon à ce qu’ils se retournent contre eux. L’illustre Pierre Dac popularisera ‘La Cucaracha’ avec ce vers devenu aujourd’hui célèbre : ‘Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand’.

En France, chanter n’est plus, comme en 41, un moyen d’être solidaire de la patrie. À la veille du débarquement si redouté, chanter ou écouter la BBC est condamnable, compris par les autorités comme une manifestation de mécontentement, voire de résistance. La chanson ne devient plus solidaire de la patrie, mais un outil destiné à donner du courage chez ceux qui résistent. Ainsi naissent les chansons du maquis. Véritable ode à ces héros de l’invisible, ‘Le chant des partisans’ deviendra la chanson emblématique de la résistance.

Pour devenir le porte-drapeau d’une cause, toutes ces chansons se devaient de posséder des mélodies faciles à retenir. Dans tous les lieux propices à la résistance : usines, camps, prisons… les messages de la chanson devaient être clairs, sans ambageS et compréhensibles par tous.

La Marseillaise‘, symbole de la nation, a toujours été remaniée selon les circonstances. Si le gouvernement de Vichy supprime certains passages parce qu’ils offensent les Allemands, l’hymne national trouve dans la résistance un autre écho, fédérant l’esprit du militantisme. ‘La Marseillaise’ étant au départ un hymne de révolution, elle ne pouvait que satisfaire les combattants de la liberté.


LE JAZZ ET LES AMÉRICAINS

Alors que la guerre est loin d’être fini (elle durera plus d’un an après le débarquement de Normandie), la libération progressive du sol français déclenche des liesses de joie à la seule vue des soldats américains. Dans leurs bagages, les GI ont apporté une certaine abondance matérielle, mais également une musique, le jazz. Dans les bals populaires qui renaissent un peu partout, le jazz résonne au son de la trompette et de ses rythmes syncopés. La radio française diffuse les ‘songs’ américains, tandis que les salles de spectacle, désertées par les Allemands, sont à présent sous le contrôle des alliés.

Une fois de plus, la chanson conserve un discours bien éloigné des réalités, occultant les pertes humaines, les massacres, les combats pour ne conserver que les bons côtés. Après la libération, tout n’est pas rose. C’est le temps de la revanche, de l’épuration, des dénonciations. La France mettra plus de cinq années pour se reconstruire…

À la fin de la guerre, la chanson honorera les faits d’armes, les actes de bravoure, ceux des soldats comme ceux du FFI, mais il faudra attendre très longtemps pour que le côté le plus sombre de la guerre, avec ses millions d’hommes, de femmes et d’enfants exterminés, soit abordé de façon ouverte dans la chanson française.

Même si l’occupation et la résistance se sont attachées à produire ou à détourner des airs célèbres pour appuyer leur propagande, la chanson, quant à elle, n’a jamais perdu son vrai visage. Elle en est sortie victorieuse en demeurant indispensable au cœur de tous les hommes, qu’ils soient conquérants ou opprimés, vainqueurs ou vaincus.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 04/2011)

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