L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
JAZZ ET INFLUENCES

LA MUSIQUE JAZZ SOUS LE IIIe REICH

Alors qu’Adolf Hitler vouait une passion pour le compositeur allemand Wagner, qu’il glorifiait les vertus de sa musique et aimait la faire partager à ses convives, une autre musique, de l’autre côté de l’Atlantique, était en train d’exploser : le jazz swing… En 1943, malgré l’entrée en guerre des États-Unis, les grands orchestres de jazz étaient à la mode et les concours de danse fleurissaient. Rien ne semblait ébranler la vie culturelle des Américains.


QUAND LE PEUPLE ALLEMAND ÉCOUTAIT LA BBC

Du côté allemand, la victoire finale prônée par Hitler s’éloignait petit à petit. La Werhmart reculait sur tous les fronts (ce qui précipita la solution finale et l’extermination d’un nombre important de juifs). Les villes commençaient à subir les bombardements…

Certains Allemands, moins sensibles que d’autres à la propagande nazie, commençaient à écouter la BBC et “Radio Londres”, véritable arme de guerre de la résistance (”Les Français parlent aux Français“). Dans un pays où la sécurité intérieure était maintenue par la Gestapo, il fallait une certaine dose de courage ou d’inconscience quand une simple lettre anonyme, l’interception d’un courrier ou un simple témoignage pouvaient vous envoyer en prison ou, pire encore, dans des camps. Sans autre explication, même sans porter atteinte à la sécurité du territoire, cette administration, véritable main de fer du régime et bras droit de la politique de Hitler, n’hésitait pas à supprimer toutes les oppositions, même mineure.

La Gestapo comprenait un grand nombre de tortionnaires zélés, prêt à tout pour satisfaire leurs besoins sadiques. La musique était canalisée. Les musiciens, considérés par certains acteurs du nazisme comme incontrôlables, demeuraient sous étroite surveillance.

À Londres, la BBC n’était pas avare de musique. La station de radio distillait sur ses ondes des chansons françaises (à l’intention du peuple français), mais également des songs américains et du jazz swing (une musique alors très populaire aux États-Unis et synonyme de liberté). Pour oublier pendant un court instant les malheurs de la guerre, la musique entraînait le pas des danseurs lors de soirées plus ou moins improvisées.

En Allemagne, même si quelques disques de jazz circulaient notamment dans les bordels, cette forme musicale était considérée comme subversive. De plus en plus menaçante et déstabilisante envers l’ordre établi, elle donna à la Gestapo des raisons suffisantes à son intervention. C’est ainsi qu’elle jeta son dévolu sur les quelques amateurs de jazz qui osèrent écouter une telle musique.


LA GESTAPO, BRAS DROIT DU RÉGIME

La Gestapo était un instrument utilisé par les nazis pour contrôler la société. Cet instrument a été utilisé de façon de plus en plus radicale à mesure que la guerre avançait et que les nazis redoutaient la fin de la cohésion nationale. C'est pourquoi, ils s’en sont pris à la moindre forme de déviationnisme… aux prisonniers de guerre, aux travailleurs forcés et même aux allemands qui enfreignaient les règles du système national-socialisme. Ils s’en sont pris en particulier à tous ceux qui ne partageaient pas les normes culturelles du national-socialisme. Ainsi, celui qui refusait de marcher au pas était aussitôt dans le collimateur de la police et de la Gestapo. C’était le cas des jeunes gens passionnés de jazz américain…

Emil Mangelsdorff (musicien de jazz) : « Certains jeunes affichaient de la sympathie pour le système. Peut-être espéraient-ils faire carrière ? Ceux-là se conformaient au régime. Ils s’habillaient pour plaire au Führer… ce qui était loin d’être notre intention ! Nous prenions comme modèle les photos publiées dans les journaux qui, soit dit en passant, étaient visés par les nazis. Nous avons essayé de leur ressembler. Nous avons porté des vestons longs et nous avons laissé pousser les cheveux. C’était précisément cela que les nazis ne supportaient pas. À cause de notre tenue, les gens voyaient que nous formions un groupe à part, que nous prenions nos distances. »

En Allemagne nazie, la “jeunesse swing” est considérée comme un mouvement qui aspire à la liberté personnelle. Pour les jeunes ayant grandi avec la propagande nazie et dans la rigueur militaire, le swing incarne l’insouciance et l’ouverture au monde. Les nazis reprocheront à cette jeunesse de tirer dans le dos des soldats du front, de les trahir.

Franz Kremer (amateur de jazz) : « La jeunesse swing ?… Je tiens à préciser que nous ne nous appelions jamais ainsi. Nous étions fans de jazz et nous adorions danser le swing. C’était une passion… mais le terme « jeunesse swing » est arrivé bien plus tard. »

Wolfgang Lauinger (amateur de jazz) rajoute : « C’était écrit dans les procès-verbaux : ce que fait cette jeunesse est subversive ! Tout mouvement, autre que les jeunesses hitlériennes, était considéré comme subversif. Il ne fallait pas miner le moral des soldats et mettre en danger la sécurité de l’État. »

Dans les actualités allemandes, la propagande qualifie le jazz et le swing de musique nègre : « Le swing est en vogue. Nous ne sommes pas en Afrique, mais à New York. Dans ce concours de nègres, la forêt vierge est présentée comme la dernière conquête de la civilisation américaine… Certains Blancs tiennent à surpasser des nègres, comme ces participants d’un concours d’endurance », commente le speaker des actualités.

ARRESTATION PAR LA GESTAPO

PRISON

À Francfort, la Gestapo intervient. La poignée de jeunes gens férue de jazz est considérée comme dangereuse… « Un jour, ils sont venus nous arrêter. Ils nous attendaient devant chez nous. Il y avait deux hommes qui portaient des chapeaux et des manteaux longs. Ils étaient en voiture. Ils nous invitaient à les accompagner au commissariat. Là, ils ont dressé un procès-verbal, où quelque chose dans le genre et puis nous avons été jetés en prison. », raconte Franz Kremer … « J’ai atterri directement à l’isolement. Mes parents ignoraient totalement où j’étais. Personne ne savait où j’étais. La Gestapo avait le droit de faire ce genre de choses. »

Emil Mangelsdorff : « J’ai passé la nuit à la gestapo, dans la cave, puis j’ai été transféré dans un autre lieu où je suis resté 20 jours avant d’être relâché. Il n’y a eu aucune procédure judiciaire, ni aucune action en justice officielle, ni quoi que ce soit. J’ai été incarcéré totalement de façon arbitraire. »

Wolfgang Lauinger : « Au moment de l’interrogatoire, le jeune type a posé le revolver sur la table en disant : si vous vous enfuyez, je vous descends ! Mais où aurai-je pu m’enfuir ? Comment aurai-je pu traverser un bureau, trois couloirs et deux barrages ! C’était vraiment n’importe quoi et si je m’étais rebellé, il m’aurait abattu aussi sec ! »

À la Gestapo de Francfort, sur la Lindenstrasse, on sévit impitoyablement. Les cellules regorgent d’inculpés au chef d’accusation les plus divers. Les passionnés de swing n’échappent pas aux tortures.

PRISON

Franz Kremer : « On m’a sorti de la voiture à coup de pieds. À la Lindenstrasse, j’ai d’abord été interrogé en haut, au premier étage. J’ai reçu des coups, mais ça allait à peu près, comparé à ce qui a suivi dans la cave. On me faisait dégringoler l’escalier qui menait à celle-ci, parfois avec d’autres détenus. Ces interrogatoires n’avaient rien d’une partie de plaisir. Ils nous frappaient sans relâche. Ils étaient de plus en plus enragés. Ils désiraient que je leur dise des choses que je ne pouvais pas dire. Des choses qui étaient fausses, sur mes amis… mais j’ai refusé de mentir. Ils voulaient entendre des choses précises. Tout était déjà préparé. Peut-être même qu’ils avaient déjà tout écrit dans les procès-verbaux pour ensuite informer Berlin de leurs actes de bravoure, de ce qu’ils avaient découvert parmi la jeunesse… une force subversive et criminelle ! Mais je ne pouvais pas leur faire cette faveur. Plus ils me rouaient de coup, plus j’avais peur. Vu leur comportement, je m’attendais au pire… Ma peur face à ces bêtes augmentait à chaque instant. »

Wolfgang Lauinger : « Chacun de ces hommes était prêt à tout moment, pour le compte du régime et avec son plein accord, à commettre un meurtre, sans avoir à se justifier… Ils n’avaient aucune limite. C’étaient tous des assassins en puissance, dépourvus de sensibilité.

(source : document : la musique sous le IIIe Reich)

La ponctualité de la Gestapo et de ses hommes de main à exécuter leurs basses œuvres au cours des années du IIIe Reich ne prit fin qu’avec la fin de la guerre.


ÊTRE MUSICIEN ET JUIF

Quand les juifs sont écartés et déchus de la nationalité allemande avec les lois raciales de 1935, les musiciens se regroupent en association et se produisent uniquement dans des lieux désignés par le régime. Comme pour la musique jazz, la musique juive est considérée par les nazis comme une musique de dégénérés. Un fossé culturel existe alors entre la musique d’origine allemande et toutes les autres formes d’expressions musicales, traditionnelles ou pas.

Les juifs vont payer là un lourd tribut. Puisqu’il est impossible d’être à la fois juif et allemand, plusieurs milliers de musiciens d’origine juive vont être écartés de toutes les manifestations artistiques du Reich. Malgré leur nombre important (180 000) et une activité artistique importante comprenant de nombreuses représentations, la fédération culturelle juive finit par se dissoudre lorsque la Gestapo reçut l’ordre d’anéantir tous les juifs allemands.

Si l’on exclut ceux qui ont eu la chance de s’exiler à temps, la plupart des musiciens juifs seront soit assassinés, soit déportés dans les camps de concentration.

Chez les juifs déportés, il existait un nombre important d’artistes reconnus, de brillants solistes et des chefs d’orchestre réputés. Très souvent, les musiciens juifs étaient envoyés dans le camp de Terezin. Certains bourreaux nazis, amateurs de musique classique, n’étaient pas opposés à un concert de temps à autre (durant la période d’existence du camp, les Allemands récupérèrent de multiples œuvres écrites).

Dans les camps de concentration, il arrivait que les musiciens rythmaient les exécutions devant tous les prisonniers. La musique, même dans ces circonstances macabres, n’avait pas de repos. Quand on était musicien, il fallait plaire, c’était le seul moyen d’échapper à ses bourreaux, mais également à une mort annoncée.

Quand certains d’entre eux mourraient ou qu’ils étaient envoyés dans d’autres camps pour extermination, ils étaient aussitôt remplacés par de nouveaux arrivants. Il n’y avait pas de temps mort, sauf justement la mort elle-même ! Mécanisme d’extermination savamment calculé, le régime nazi avait pensé à tout ou presque ! Le fait de participer à l’orchestre laissait parfois augurer un moment de répit, une chance de sauver sa peau.

Heureusement, tous les camps ne se ressemblaient pas. Certains d’entre eux situés en zone occupée, notamment les camps de prisonniers constitués de soldats américains et anglais, permettaient d’autres activités culturelles et sportives, avec de temps en temps des concerts de jazz.


PENDANT CE TEMPS-LÀ EN FRANCE...

Comme dans les autres pays occupés, la France a subi de nombreuses représailles uniquement dictées par une foi, un endoctrinement dans les valeurs nazis. Durant l’occupation, un grand nombre d'artistes se sont exilés alors que d’autres donnèrent naissance à des groupes de “résistants”.

Le compositeur Paul Misraki (auteur notamment de “Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine “), d’origine juive, s’exile en Amérique du Sud avant de rejoindre Hollywood, alors que Ray Ventura et ses collégiens (dont Loulou Gasté, Hubert Giraud et Henri Salvador) parviennent à quitter la France et à rejoindre le Brésil à bord d’un bateau, via l’Espagne.

D’autres musiciens comme Roger Désormière, Manuel Rosenthal, Charles Munch, mais également Francis Poulenc, Georges Auric et Louis Durey (3 membres du Groupe des Six), Henri Dutilleux et Claude Delvincourt trouveront appui sur le sol français grâce à l’action combinée de plusieurs musiciens appartenant au Parti Communiste Français. Avec d’autres artistes, ils feront paraître, en 1942, une revue musicale clandestine intitulée “Musiciens d’aujourd’hui“.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 02/2011)


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