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CHANSON

LULU GAINSBOURG,
PORTRAIT DE DISQUE EN DISQUE

En février 2018 sortait le troisième album de Lulu Gainsbourg, T'es qui là ?. Musicien touche à tout, à la fois sensible et réservé, l’artiste vit depuis plusieurs années aux États-Unis où il se consacre corps et âme à la musique. Le fils de Serge Gainsbourg trouve son inspiration dans le passé musical des années 60 et 70 qu’il réarrange et réinvente afin d’y trouver une réponse fidèle à sa personnalité...


FUIR LE DESTIN DE PEUR QU'IL VOUS RATTRAPE

Être né au sein d’une famille d’artistes offre certainement quelques avantages quand on souhaite se lancer à son tour dans une carrière artistique, mais dans le cas de Lulu Gainsbourg toute la difficulté a d’abord été de s’émanciper de la figure paternelle. Sauf à prendre une voie qui évite toute comparaison hâtive, suivre les mêmes traces que le papa – composer, chanter, jouer du piano – renforcent certainement la curiosité de savoir si le fils a bien su s’extirper de l’influence du père pour créer un monde musical qui lui ressemble.

Pochette de l'album 'Lulu Gainsbourg'

Si Serge Gainsbourg a développé son art en suivant les chemins de traverse, ce n’est pas le cas de Lulu qui a grandi en suivant les différentes étapes de l’apprentissage musical par la voie « classique », celle du conservatoire de Paris. Contrairement à sa demi-sœur Charlotte qui a vécu assez mal l’autorité (quelque peu tyrannique) du père vis-à-vis des études musicales, Lulu a abordé le piano plus sereinement grâce à sa mère Bambou qui a toujours été présente à ses côtés dans les moments difficiles. Tout en se cherchant, Lulu a grandi avec la musique jusqu’à obtenir à 18 ans son certificat de fin d'études.

Pour Lulu Gainsbourg, la musique est vite devenue un virus, au point que l’ambition inconsciente de suivre les traces du père l’a peut-être poussé à voir plus loin, à exiger de sa personne une approche musicale qui puisse le satisfaire pleinement. Cette ambition a déjà un nom : la 'Berklee College of Music', une école privée située à Boston (États-Unis) où l’attractivité professionnelle, la qualité pédagogique ont souvent des retombés positives pour celui ou celle qui a la chance de suivre son enseignement.

Alors qu’il n’a même pas 20 ans, la décision est prise : partir vivre à Londres pour, d’une part, améliorer son anglais, puis pour accroître ses connaissances musicales (London Conservatory of Blakheath) ; un long séjour nécessaire qui va lui permettre d’entrer à la Berklee deux ans plus tard.

Puis, ce sera l'année 2009 et celle des premières tentatives d’écriture, des premières chansons (Quand je suis seul sur le dixième album de Marc Lavoine) et des premiers défis scéniques. Lulu, qui est encore partagé entre ses compositions personnelles et l'ombre écrasante du paternel, doit alors crever l’abcès. L’album From Gainsbourg to Lulu en 2011 s'imposera comme une réponse nécessaire, une passe d'armes du père au fils.


FROM GAINSBOURG TO LULU, LE PASSAGE DE TÉMOIN

Lulu déclare avoir hérité de son père « la beauté du son, un désir de communiquer à travers la création, d’être ‘Le reflet d’une partition’ ». Son premier album, intitulé « From Gainsbourg to Lulu » (2011), indique clairement l’attractivité inconsciente du père – qui ne le serait pas à sa place ? - D'être aussi, peut-être, le seul moyen idéalisable pour s’exhorter musicalement du legs laissé par un père omniprésent dans la conscience collective. Aussi, excepté un titre écrit par Lulu, on ne s’étonnera pas de voir dans cet album des chansons signées exclusivement Serge Gainsbourg. L’eau à la bouche, La javanaise, Initial BB ou Bonnie & Clyde y côtoient quelques titres en version instrumentale, Intoxicated Man ou Black trombone.

Pochette de l'album 'From Gainsbourg to Lulu'

Toutes les chansons sont revisitées, réarrangées - un mal nécessaire - jusqu’à prendre une certaine distance avec les originaux. À ce titre, les versions instrumentales habillées à la sauce jazz, et pour lesquelles participent quelques pointures américaines – Gil Goldstein au piano et la batteuse Terri Lyne Carrington dans Intoxicated Man et Black Trombone – n’auraient certainement pas déplu à Serge Gainsbourg, étant donné sa filiation avec le jazz durant les premières années de carrière. De même, la version swing manouche du Poinçonneur des Lilas s'impose avec une clairvoyance de style qui imprime l’imaginaire jusqu’à faire oublier l’original (Marius Apostol : violon, Georges Hassan : guitare).

De ce premier album, il faut surtout retenir les saveurs libertines apportées par les différentes interprétations des invités. Citons Scarlett Johansson (Bonnie and Clyde), Marianne Faithfull (Manon), Iggy Pop (Initial BB) Matthieu Chedid (Requiem pour un con) ou encore Vanessa Paradis (Ballade de Melody Nelson) ; la version la plus atypique étant Sous le soleil exactement interprétée par Shane McGowan.

Si From Gainsbourg to Lulu est un échec commercial, l’album ne manque pourtant pas d’intérêt et de qualité, que ce soit au niveau des arrangements et des interprétations. Toutefois, il est bien évident que tout concentrer sur un seul répertoire, mais un répertoire hérité d’un artiste aussi génial et inclassable que Serge Gainsbourg est déjà en soi une mission suicidaire.

La figure paternelle aurait-elle déteint sur le fils ? Lulu s’en défend. C’est avant tout le public par son exigence et ses comparaisons maladroites, voire absurdes, qui a atteint le cœur du jeune artiste, car From Gainsbourg to Lulu est avant tout un cadeau du fils au père«  un père dont Lulu garde finalement qu'un souvenir très vague (Lulu avait seulement cinq ans quand Serge Gainsbourg s'est éteint).


LULU GAINSBOURG : LADY LUCK (album Lady Luck)

LADY LUCK OU L'ÉTAT DES LIEUX

Laissant à la traîne l'amertume pondérable du premier disque, Lulu Gainsbourg attendra près de quatre ans pour proposer un second album, mais cette fois-ci avec une tout autre détermination et direction artistique. À l’image de ses demi-sœurs Charlotte Gainsbourg (Stage Whisper – 2011) et de Lou Doillon (Places - 2011), Lulu espère bien s'imposer à son tour dans le paysage musical français.

Pochette de l'album 'Lulu Gainsbourg : Lady Luck

Le chanteur à 29 ans quand il publie son second album Lady Luck. D’une nostalgie pop, les chansons enregistrées entre New York et Londres, avec notamment des musiciens de Jamiroquaï (la bassiste Paul Turner et le batteur Derrick Mckenzie), sont toutes chantées en anglais, l’album Lady Luck sonne comme un défi au temps passé.

De nombreux styles musicaux sont abordés. L'album Lady Luck est un véritable « couteau suisse » sonore allant de la ballade romantique à la pop song jusqu’au funk sexy taillé idéalement pour les radios (Lady Luck). Lulu cherche à enjoindre sa propre vision musicale tout en gardant une modestie qui l’honore. Le musicien ne joue ni la carte de la virtuosité ni celle de la technique, il s’en garde bien. L’album Lady Luck, par sa diversité, cherche surtout à faire découvrir ses diverses compétences dans le domaine qu’il affectionne : la musique.

Derrière un piano quasi omniprésent, Lulu Gainsbourg place sa voix tout en recherchant une identité dans la façon de l’exprimer. Outre deux titres dédiés à l’intention de ses parents : Moushka pour sa mère Bambou et Destiny pour son père, Lulu partage une fois de plus sa musique avec quelques amis, dont Mathieu Chedid (Lady Luck) ou à travers quelques duos complices : la musicienne et artiste peintre Ara Strack (It’s always something) et l’actrice Anne Hathaway (The cure).

Le « fils de » semble s’être éclipsé définitivement de la figure patriarcale. Convaincre devient le maître-mot L’impulsion guide les pas. Les chansons écrites en collaboration avec des auteurs américains dévoilent un artiste avec ses doutes, mais aussi ses convictions intimes. Prenant fait et cause vis-à-vis d’une rupture sentimentale douloureuse, Lulu évoque aussi bien la séparation (Trouble) que la manière d’en guérir (The cure). Pudeur, impressions et monde imaginaire (Fantasy) font désormais parties du décor.


LULU GAINSBOURG : JEUX D'ENFANTS (album T'es qui là)

T’ES QUI LÀ, LA PRISE DE RISQUE

Février 2018. Lulu Gainsbourg sort son nouvel album T'es qui là ?. Derrière le jeu de mots, l’artiste a oublié l’anglais et chante dorénavant des textes en français grâce à Lilou (Aurélie), sa muse, la « sexy love » qui a inspiré la chanson Lady Luck du précédent album. T’es qui là a demandé un travail de deux années pour aboutir, des efforts constants qui l’ont conduit aux portes des musiques sixties et seventies, foncièrement prêt à analyser l'agencement de la rythmique, le jeu des guitares et du piano.

Une fois de plus, Lulu livre à travers diverses tonalités ses états d’âme et sa vision de l’amour. Salade composée, Jeux d’enfants ou encore Premier pas annoncent la couleur sans détours. « Le fils de » continue d’explorer, d’avancer, d’exprimer sa propre façon de raconter l'expérience du vécu. Et, comme pour donner plus de poids, de vérité à la musique comme aux textes, les titres de T'es qui là ? ont été enregistrés en prise directe, sans oublier sa voix qui, de son initiative, est venue occuper l'espace du cadre intime de l’appartement parisien de Serge Gainsbourg, au 5 bis rue de Verneuil.

« Gainsbourien » en diable dans les titres Salade composée, Lucien ou Premier pas, Lulu installe sa voix sur des paroles poétiques et emplies d’ironie, embarquant l’auditeur dans un voyage imprégné de rêverie. Cependant, c’est du côté de son univers personnel que Lulu doit convaincre, là où le paternel n’a jamais osé poser les pieds. Le chemin est certes difficile, surtout quand on songe à toutes les empreintes laissées par l’auteur de « Histoire de Melody Nelson », mais cela constituerait certainement un excellent défi à relever par un fils encore trop prodigue au regard du patrimoine sonore laissé par l'homme "à tête de chou".

Par Elian Jougla (Cadence Info - 12/2018)

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