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CLASSIQUE / TRADITIONNEL


BÉLA BARTÓK PORTRAIT - LES MUSIQUES TZIGANES

Nous sommes au début du 20e siècle et la révolution industrielle est en marche. De plus en plus d’hommes voyagent à travers les continents. La musique, dans cet élan de découverte et de prospérité, suit également le même chemin. Des échanges culturels de plus en plus nombreux naissent un peu partout. Les musiques slaves, orientales ou arabes viennent aux oreilles des compositeurs occidentaux, ce qui pousse certains d’entre eux à rompre avec un certain académisme musical jugé trop convenu. Ainsi, de jeunes musiciens, en quête d’inspiration, hésitent de moins en moins à puiser dans ces nouveaux territoires sonores invitant aux voyages et à la rêverie. Béla Bartók, brillant compositeur hongrois, pourrait être considéré comme l’un d’entre eux, tant les chants traditionnels tsiganes ont eu une importance dans un grand nombre de ses œuvres.


COMPOSITION ET ENGAGEMENTS POLITIQUES

Rien au départ ne destine ce jeune pianiste à devenir un compositeur célèbre. Ses premières créations sont critiquées par ses professeurs, mais Bartók a la foi créatrice et il insiste dans cette voie. Ses premières compositions, il les dédie à une jeune fille, violoniste dont il est épris. Ce seront deux Sonates pour violon et piano.

Parallèlement à la composition, Béla Bartók poursuit ses engagements politiques contre l’emprise de la culture allemande, ce qui lui ouvre les portes des milieux nationalistes de Budapest. Sa rencontre avec le pianiste Kodály en 1904, lui donne l’impulsion de composer des œuvres au caractère musical très nationaliste. Sa Symphonie Kossuth le propulse au devant de la scène du jour au lendemain, même si la première représentation au Conservatoire de Manchester crée un véritable scandale.

C’est lors de son retour en Hongrie, après un séjour à Paris, qu’il décide avec Kodály de recueillir des chants folkloriques Hongrois. Il enregistre alors ce qui passe pour un véritable folklore magyar : le verbunkos.


LA RENCONTRE AVEC LE CHANT POPULAIRE HONGROIS

Le verbunkos, savant mélange de traditions musicales hongroises et turques, était très répandue dans les orchestres tsiganes. D’abord jouée pour l’armée impériale, il gagna rapidement les grandes villes hongroises.

La spécificité de cette musique est de reposer sur une gamme mineure, comportant deux secondes augmentées. La structure rythmique est binaire, sur un tempo qui peut être soit lent, soit vif et rythmé. La formation composée essentiellement d’un violon, d’une clarinette et d’un cymbalum donne à cette musique un timbre sonore si caractéristique qu’elle séduit des compositeurs célèbres comme Brahms (les Danses Hongroises) et Liszt (les Rhapsodies Hongroises). Béla Bartók y succombe à son tour et écrit quelques œuvres dont une Rhapsodie pour piano en 1904.

À l’été de la même année, la découverte du chant paysan ancestral, dans la bouche d’une jeune servante bouleverse le compositeur Béla Bartók au point qu’il confie à sa sœur, Elza : « À présent, j’ai un nouveau projet : je collecte les plus beaux chants populaires hongrois et, grâce au plus bel accompagnement pianistique possible, je les élève au niveau de la mélodie savante. Un tel recueil permettrait de faire connaître la musique hongroise à l’étranger. Ce n’est évidemment pas destiné à nos bons Hongrois ! Ils préfèrent de loin la soupe habituelle dans le goût tzigane, devant laquelle tout musicien et tout étranger cultivé prend les jambes à son cou. »

Après avoir parcouru la Grande Plaine et la haute Hongrie, Béla Bartók et Zoltán Kodály publient en 1906 Vingt chansons paysannes hongroises, correspondant à vingt arrangements pour voix et piano. « L’étude de toute cette musique paysanne fut pour moi d’une importance capitale, car elle m’amena à comprendre comment je pouvais me libérer totalement de la tyrannie du système majeur-mineur qui avait eu cours jusque-là. Ce traitement de la gamme diatonique eut un effet libérateur, avec pour conséquence finale la disposition entièrement libre de chaque son de notre gamme chromatique de douze sons. » raconte Béla Bartók dans son autobiographie.


MUSIQUE TZIGANE ET MUSIQUE HONGROISE

En guerre contre la musique tzigane, Bartók attaque celle-ci dans un article intitulé “Sur la musique hongroise“. Il récidive même en 1931, dans “Musique tzigane ? Musique hongroise ? “, reprochant à une publication d’entretenir la confusion entre chant populaire hongrois, csárdás, népies mûdal et chant traditionnel en langue rom (chant traditionnel tzigane).

Ses compositions continuent à faire scandale comme l’Allegro Barabaro (1910). Son opéra, le Château de Barbe-Bleue, est considéré comme injouable et ne sera pas représenté. Béla Bartók décide alors de voyager avec sa femme dans les pays d’Europe : en Roumanie et en Hongrie (1911), ensuite en Allemagne, en Suède et en Norvège (1912). Lors de ses voyages, Bartók tente vainement d’organiser des concerts folkloriques de paysans, mais il échoue dans ses projets. Il récidive pourtant en 1915 en organisant une “tournée folklorique” en France lors d’un séjour en Normandie.

Ses compositions continuent à être politiquement engagé comme le Mandarin Merveilleux sur un livret de Melchior Lengyel (militant d’extrême gauche en fuite). Après la fin de la guerre, le mouvement révolutionnaire inspiré par la révolution soviétique est en marche. Bartók et Kodály sont promus à des postes officiels. Bartók accepte alors la direction d’une section folklorique, mais rapidement le nouveau régime révolutionnaire est balayé par les troupes de l’amiral Horthy et un régime dictatorial s’impose jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Bartók et son ami Kodály ne seront pas inquiétés. Bartók continuera à composer librement et à enseigner au Conservatoire.


HYMNE AU VERBUNKOS

En 1925, lors d’une conférence, Kodály vante les mérites du verbunkos, véritable danse traditionnelle hongroise, qu’il a écouté dans son enfance à Galánta, aux sons des archets tziganes. Cette danse des campagnes, réservée aux garçons, a la particularité de produire des variantes, chaque village hongrois ayant souvent son verbunkos. Béla Bartók s’en empare dans ses deux Rhapsodies pour violon et piano (ou orchestre) en 1927. Le compositeur ira jusqu’à intituler Verbunkos le premier mouvement des Contrastes pour violon, clarinette et piano (1938), alors que Kodály magnifie les danses anciennes tziganes dans ses Danses de Galánta pour orchestre (1933).

Pour Bartók l’influence du verbunkos a été significative. Elle a influencé le compositeur jusqu’à sa mort en 1945, jusqu’à son Troisième Concerto pour piano, laissé inachevé. Si la musique tzigane et en particulier le verbunkos s’est immiscé dans ses compositions (avec plus ou moins de vérité), la notoriété du compositeur a permis surtout à ce style, un temps haï, d’être applaudi bien au-delà de ses frontières.

Par Elian Jougla (Cadence Info 05/2011)


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