Au début des années 90, la vente des disques se portait plutôt bien. Malgré la concurrence des grandes enseignes comme la Fnac ou Virgin, les disquaires indépendants conservaient une clientèle fidèle. À côté des dernières nouveautés, tout un marché de l’occasion existait. Une sorte de troc avait même prit place grâce à des réseaux de magasin disséminés un peu partout sur le territoire.
Pour gonfler son chiffre de vente, l’industrie du disque avait posé un pied dans la publicité télévisuelle, imaginant à travers elle, récolter d’importants dividendes à une époque où le CD battait encore des records de vente. C’était l’époque des compilations tous azimuts, des ‘tops dances’ à prix cassé et des chanteurs propulsés au sommet des hit-parades à coup de matraquages publicitaires.
Confortée par l’arrivée du numérique et ses nombreux avantages, la publicité télévisuelle avait rendu le disque banal, quelconque. Au lieu de le valoriser comme un bien culturel, il était devenu un produit de consommation courant présenté entre un spot pour de la lessive et une autre pour du savon. L’amalgame était né. Produit de consommation courante et produit culturel, c’était la même chose ! La pub, en formatant le disque, avait totalement occulté ses valeurs artistiques fondamentales.
À la décennie suivante, l’Internet à haut débit annonçait une nouvelle révolution, celle de l’abondance des services, de la communication et des sites communautaires. L’avenir ne s’annonçait pas chancelant, mais plein de promesses. Et c'est vrai, la Toile a bousculé bien des habitudes. Elle a créé un univers virtuel insoupçonné, dans lequel nous avons tous plongé tête baissée.
L’Internet a rapidement porté ses fruits. De simples consommateurs, nous sommes devenus des acteurs du marché économique. Notre changement de comportement dans nos habitudes, dans nos valeurs, a fait toute la différence. L’appropriation massive des contenus culturels a servi de révélateur et de déclencheur. La crise du disque était bien-là, bousculant sur son passage des rouages économiques que l’on croyait jusqu’alors solides.
Ensuite, tout est allé très vite, trop vite même ! Dès le début des années 2000, la vente des disques commence à chuter de façon dramatique. On pressent un état de crise avant la ‘crise officielle’. Les compagnies de disques, les médias et les instances politiques doivent s’accorder pour trouver une parade à cette hégémonie grandissante, balisée d’un côté par une technologie numérique galopante et de l’autre par l’arrivée de l’Internet à haut débit.
Tous les ayants droit, du producteur à l’éditeur, en passant par l’auteur et le compositeur, sont confrontés à la vague déferlante du piratage. Le mot est lâché et il fait peur. La panique envahit les maisons de disques. Le plus grave, c’est que les valeurs essentielles de la musique semblent bien avoir disparu. Sa technique, sa complexité, le savoir-faire des professionnels… tout a été dilué dans l’abondance et dans des innovations pas toujours comprises par les consommateurs. La confusion règne de toute part. Le travail de l’artiste, des auteurs, n’est plus représenté à sa juste valeur. Face à cette anarchie, la créativité marque le pas. Tout parais permis et l’internaute devient une proie facile dans un univers alors en construction.
Même si personne ou presque n’ignore les droits d’auteur, les copyrights, le téléchargement illégal se répand très rapidement. Des petits logiciels gratuits de Peer to Peer voient le jour. Napster sera un des premiers logiciels de ce type à rencontrer un vif succès (1999), mais il sera aussi un des premiers à subir les accusations de l’industrie musicale concernant les droits d’auteurs (2001). C’est grâce aux logiciels de Peer to Peer que les premiers réseaux d’envergure voient le jour.
Sur la Toile, tout semble vouloir s’accorder pour que la gratuité devienne le maître mot. Difficile alors pour les ayants droit, de faire face à cette nouvelle hégémonie culturelle avec sérénité. Les multiples rebondissements de la loi HADOPI - qui a trouvé son aboutissement au bout de trois ans de combat, en 2009 - démontrent avec évidence, toute la complexité de la protection des droits d’auteurs chaque fois qu’une nouvelle technologie ose changer les règles.
Pour faire face à ce choc économique, dans les maisons de disques, les studios d’enregistrement, mais aussi dans la création graphique, la cure d’amaigrissement a déjà commencé. Le chômage est là, comme ailleurs (50 % des effectifs ont disparu depuis le début des années 2000). Un tel écrémage s’explique, bien évidemment, par des résultats négatifs corroborés chaque année par une dégringolade des ventes. Le phénomène n’est pas hexagonal, mais planétaire. Un chiffre résume bien cela : celui de la vente des ’singles’ (2 et 4 titres) et par laquelle un artiste pouvait encore se lancer ou prolonger sa carrière. Depuis 2004, il a été divisé par vingt-trois ! Constat cinglant qui explique le cri d’alarme de tous les professionnels du secteur musical.
Outre le disque, les médias sont également touchés par le succès d’Internet, et deviennent des témoins à charge bien involontaires. Tandis que la presse spécialisée recherche sur le Net une nouvelle stratégie moins éditorialiste, la radio envisage un équilibre entre sa diffusion sur les ondes et celle sur la Toile. Quant à la télévision, elle court après les événements, cherchant une porte d’entrée capable de satisfaire son énorme appétit.
Dans les années 80, si le passage au CD a fait le bonheur de l’industrie du disque, les majors ont mis du temps à réagir quand les premiers effets du téléchargement illégal se sont fait ressentir. La prise en charge d’une légalisation du téléchargement a pris plusieurs années. Entre-temps, de nombreux acteurs de la profession ont alors proclamé que si rien n’était fait, ce serait la mort du disque à brève échéance. Ce genre d’effet d’annonce rappelle le début des années 70 et l’arrivée de la k7. Le problème est d’ailleurs le même ou presque en remettant en cause la distribution des œuvres, leur protection et les émoluments qui en découlent.
Depuis plus de 10 ans, l’Internet fait office de piraterie industrialisée. Le magnétophone virtuel fonctionne toujours 24 heures sur 24, malgré l’arrivée de la loi française HADOPI ; une loi austère et pas toujours compréhensible, jouant à la loterie en mettant à l’amende quelques malheureux. Dans leur grande majorité, les ‘pirates’ du Net sont des contrevenants occasionnels. Ils téléchargent fort peu. Leur comportement s’explique, le plus souvent, par le prix encore élevé de certains disques (ou DVD). Les volte-faces sont compréhensibles et les explications que les internautes apportent sont souvent intelligemment argumentées à défaut d’être économiquement crédible.
Dans le domaine des droits d’auteurs et des ayants droit, le paradoxe existe là comme ailleurs. L’absurdité poursuit son chemin… Si les utilisateurs d’Internet sont dans la ligne de mire, que doit-on penser des médiathèques qui permettent le prêt de disques et de DVD ? La culture aurait-elle alors deux poids, deux mesures ?… Sur le fond, si le téléchargement illégal a mis à mal l’industrie du disque, il a permis à toute une génération de se cultiver gratuitement, d’écouter, de faire le tri et de se familiariser avec des musiques que sous couvert de légalité ils auraient peut-être ignoré. Le ’streaming’ et le téléchargement illégal possèdent donc des points positifs qu’il ne faudrait pas oublier… s’il vous prenait l’envie de balayer devant votre porte !
Toutefois, il faut garder à l’esprit que le développement d’Internet est suscité par des enjeux qui se veulent avant tout économiques. L’Internet est une carte de visite idéale pour des entreprises de toutes tailles. Les domaines purement culturels ne sont qu’un microcosme noyé dans un univers sans concession. Sur le Net, le partage a ses limites ! Quoi qu’elle fasse, la culture n’aura jamais la capacité de faire bouger les lignes, ou alors temporairement. Quand une loi comme celle d’HADOPI est utilisée, si elle réduit le téléchargement illégal, elle emprisonne également, de façon indirecte, la culture et sa diffusion à grande échelle. La société doit reprendre ses droits : l’économie d’abord, la culture ensuite !
Aujourd’hui, l’Internet a un pouvoir, celui d’être devenu un juge. A travers nos réactions, il encense ou ignore l’artiste. Il peut devenir incontrôlable et réagir d’une façon injustifiée ou intempestive. Tout un système de pensée est mis à mal. Les médias, les journaux n’y échappent pas non plus, prenant le risque d’être discrédités quand ils opèrent de mauvais choix.
Pour les maisons de disques, la promotion passe par les sites communautaires, comme Facebook ou Twitter. En quelques phrases, le slogan publicitaire est lâché et fait son bonhomme de chemin ou pas. Sur le fond, pour l’industrie musicale, rien n’a changé. Les objectifs fondamentaux restent les mêmes : il faut toujours produire et faire connaître l’artiste. Seule la méthode est différente. Question savoir-faire, les maisons de disques ont compris qu’elles devaient faire appel à la jeune génération, à celle des 20/25 ans, plus à même de décoder et d’envoyer les bonnes phrases et les bonnes rimes dans les réseaux sociaux.
Certes, on peut regretter cette mainmise d’Internet sur le marché artistique. La musique est comme tous les autres arts, elle s’enrichit au contact de la liberté. Mais aujourd’hui, le Net est si puissant, si attractif, qu’aucun domaine artistique ne lui échappe. Le chanteur ou le musicien qui désire se faire connaître est tenu d’avoir sa signature apposée sur la Toile. Que cela lui plaise ou pas !
Malheureusement, trop souvent, l’Internet joue avec l’artiste comme ça lui chante. A travers les réseaux sociaux, les sites communautaires, les blogs, la Toile devient l’outil provocateur capable de détourner le créateur et l’interprète de la réalité, faisant croire à des lendemains enchanteurs et à des facilités chimériques. Derrière les opinions écrites, l’anonymat règne en maître. L’invité mystère est parfois calculateur quand il s’agit de brouiller les pistes. Qu’il agisse par jeu ou par intérêt, le résultat final conserve toujours une bonne part de virtualité. Ces signatures anonymes existent partout, en musique, en politique et dans tous les domaines où la communication est essentielle.
Parfois, les médias relayent à leur tour l’événement artistique qui ‘buzze’, triant parmi les vagues d’opinions positives et les vidéos misent en ligne, l’artiste du moment, celui qui ‘cartonne’. L’Internet est devenu un territoire de sondage, d’estimation, semé de pièges, mais aussi et fort heureusement, d’heureuses surprises. En changeant de territoire, le ‘combat artistique’ n’est certes plus le même que par le passé, mais il a préservé l’essentiel : la carte de l’émotion. Véhicule indispensable pour tout artiste en quête d’identité.