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CHANSON

ISABELLE BOULAY, INTERVIEW/PORTRAIT 'EN VÉRITÉ'

Ne se considérant pas comme une chanteuse à voix, malgré le fait que c’est bien grâce à ses capacités-là qu’elle sera remarquée en 1991 grâce à son interprétation d’Amsterdam de Jacques Brel au 'Festival de la chanson de Granby', la voici six ans plus tard conquérant le public français grâce à l’opéra-rock Starmania. Portant une affection toute particulière au duo (Serge Lama, Patrick Bruel, Francis Cabrel…), la chanteuse Isabelle Boulay est très populaire chez nos cousins québécois, mais aussi en France avec plus de 4 millions d’albums vendus à ce jour. Aujourd’hui, elle vient nous rendre visite avec la parution de son 13e album, un chiffre symbolique couronné par un titre aussi cours qu'éloquent : ‘En Vérité’.


INTERVIEW/PORTRAIT ISABELLE BOULAY

Il est toujours amusant de rencontrer pour la première fois une personne, parce que malgré nous, on se projette sur elle. On se dit : « Elle doit être grande, elle est comme ceci ou cela… »...

Isabelle Boulay : non, je vous rassure, je ne suis pas grande ! (rires). Il est vrai que les gens sont impressionnés de me voir dans la vie parce qu’ils s’imaginent que je suis grande. En fait, c’est la télé qui fait ça, et puis la scène, ça sublime toujours. Je ne fais qu’un mètre cinquante-et-un.

Vous êtes un petit gabarit, mais un joli gabarit… Plantez-moi votre décor d’enfance, Isabelle…

J’ai grandi dans un petit village à Sainte-Félicité, en Gaspésie, une petite péninsule du Québec. Ma famille avait l’un des restaurants du village situé sur la route principale. Il s’appelait ‘Le Gourmet’ et était tenu par mon père et ma mère…

En tant que fille de commerçants, de quoi avait-vous été témoin ?

De pas mal de choses, mais surtout j’ai été témoin du chagrin des grandes personnes, ce qui fait que c’est certainement à cause de cela que je chante. La plupart des gens qui venaient, étaient des ouvriers… Le restaurant était un refuge. Mon père y accueillait ses amis. La plupart étaient des hommes. Il y avait très peu de femmes. Les rares qui venaient, étaient des personnes avec beaucoup de caractère, beaucoup de personnalité aussi… mais c’est surtout du chagrin des hommes que je me souviens le plus, les bagarres aussi… mais ça, c’est moins drôle.

© (flickr.com)

Vous venez donc d’un milieu modeste, mais avez-vous connu des manques ?

Je pense que l’on en a tous des manques… Je pense que l’enfance pure et simple, c’est probablement quelque chose qui aurait pu me manquer, mais j’ai l’impression que je la retrouve en vieillissant. Il y a aussi mon fils. Cela m’a replongé dans l’enfance en le voyant grandir. Pour lui, je me rends bien compte que je n’ai pas eu la même enfance que lui. Tant mieux… Mon fils adore chanter et il voudrait participer à des concours de « voice kids »…

Et vous, vous ne voulez pas…

Non, je ne veux pas. C’est trop tôt, d’autant plus que moi, quand j’avais son âge, je chantais déjà. J’étais sérieuse (rires)

Vous êtes partie de chez vous quand vous aviez 16 ans pour suivre des études littéraires au Québec. Être émancipé, couper le cordon familial, la famille, cela vous a fait du bien ?

Quand je suis arrivé à Québec, j’étais chez une de mes tantes qui me laissait beaucoup de liberté, beaucoup d’espace, pourtant, je me souviens de m’être senti très coupable d’avoir quitté mes parents. Mais j’avais besoin de partir, même si j’aime beaucoup l’endroit d’où je viens… Je me sentais appelé par quelque chose d’autre. Je voulais être indépendante et aimer qui je veux.

De quoi êtes-vous le plus fier ?

D’être restée moi-même. D’être restée très près de mes valeurs.

Et c’est difficile ?

En fait, c’est un exercice de tous les jours. De trouver sa place, c’est déjà une chose formidable dans la vie. C’est un cadeau… mais la garder c’est autre chose. Cela demande un peu plus d’effort.

'1995' est une grande date pour vous… C’est Starmania.

Oui, ce fut une aventure fabuleuse.

Vous repreniez le rôle de Fabienne Thibault…

Exactement. Le rôle de Marie-Jeanne…

Quel est justement le rôle d’un artiste quand il interprète une chanson ?

Vous savez, le rôle d’un artiste et d’amener les gens vers la beauté de la vie, de les connecter surtout avec la beauté du monde, il est si vaste.

Est-ce que les récents attentats ont modifié quelque chose dans vos attitudes, dans votre comportement par rapport à la scène, par rapport au public ?

Cela a plutôt renforcé mes convictions. Je pense que plus que jamais, il faut vivre… Je n’ai pas peur de monter sur scène. Je me souviens de ma tournée « Reggiani » ici, en France. La première ville où nous devions aller était listée comme une ville menacée par les attentats. J’avais alors demandé à tous mes musiciens, les techniciens, s’ils étaient d’accords de faire le spectacle, et tout le monde s’est tenu debout… Il est surtout important de se tenir la main, les uns les autres.

Il faut être solidaire.

Oui. C’est la meilleure réponse à cette violence. Mais c’est triste de voir que notre humanité n’évolue pas tant que ça dans son cœur profond.


ISABELLE BOULAY : UN SOUVENIR

Vous vous sentez comme une chanteuse « réaliste » et non « à voix ».

Mais je suis ravie que l’on me prenne comme une chanteuse à voix ! (rires) En réalité, je me considère comme une « diseuse ».

Comme Juliette Gréco ?

Oui, c’est vraiment la grande dame de la chanson.

Votre voix, vous la travaillez ?

Non, car à chaque fois que je l’ai travaillée, ça l’abîmait plus qu’autre chose… Ma voix me trahit beaucoup… La voix, ça suit les événements de la vie, la ligne des émotions, l’affect. La voix est une empreinte et ça parle de l’humain qui est derrière.

Pourtant, vous êtes quelqu’un d’enthousiaste…

C’est vrai que je chante des chansons plutôt mélancoliques. Quand je suis triste, je descends très profond en moi, puis je me donne une grande poussée et ça repart… Je déprime quand ma vie ne correspond pas aux vibrations que j’ai envie de vivre… mais la dépression peut être aussi un rempart, une alarme qui m’indique que je ne suis pas dans le bon chemin.

Est-ce qu’il faut avoir vécu les sentiments d’une chanson pour savoir les interpréter ?

Si on n’a pas vécu les sentiments, il faut être assez proche de quelqu’un qui les a vécus. Il faut être sensible à la souffrance d’autrui, à la détresse… Je pense qu’à partir du moment où l’on a vécu un chagrin d’amour, on a tous les stigmates pour pouvoir interpréter.

Vous n’écrivez peut-être pas vos chansons, mais vous savez vous entourer : Benjamin Biolay qui a réalisé votre dernier album, il y a aussi La grande Sophie, Cœur de pirate, Julien Clerc, Carla Bruni… Mais pourquoi n’écrivez-vous pas vos propres chansons ?

Peut-être que je viendrai un jour à l’écriture, mais je suis surtout heureuse d’être une interprète, parce que c’est l’un des plus grands luxes de ma vie. Je travaille avec des gens que j’admire beaucoup. Pour moi, c’est un stimulant immense. Il y a un vrai plaisir à recevoir pour ensuite devenir l’interprète… Et puis, je suis tellement exigeante, que je serais bien incapable de me mesurer à ma propre exigence ! (rires)

(transcription juin 2017)


LES DATES CLÉS DE LA CARRIÈRE D'ISABELLE BOULAY

  • 1991 - 1er prix au Festival de la chanson de Granby.
  • 1997 - Tournée Starmania.
  • 2000 - Mieux qu'ici-bas (disque de diamant)
  • 2000 - 1er Olympia en tête d’affiche.
  • 2001 - Tournée ‘Les Enfoirés’.
  • 2001 - Révélation de l’année aux 16e Victoires de la musique.
  • 2002 - Interprète féminine de l’année aux 17e Victoires de la musique.
  • 2011 - Parution de l’album ‘Les grands espaces’ aux sonorités country.
  • 2014 - Parution de l’album ‘Merci Serge Reggiani’ en hommage au chanteur et comédien.

Isabelle Boulay : En vérité
Parue le 19/05/2017 chez Columbia

Visiter le site d'ISABELLE BOULAY

(Cadence Info - 06/2017)


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