L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LA MUSIQUE DU FUTUR PLACÉE SOUS CONTRÔLE

Comment sera la musique de demain ? Aura-t-elle le même éclat ? Sera-t-elle dirigée par des ordinateurs et quelle place tiendra-t-elle dans notre société ? Dans le domaine des arts, il faut toujours rester prudent, aussi me contenterai-je d'exposer des hypothèses plutôt que de prétendre détenir un plausible scénario.


POSONS LE DÉCOR

Chaque découverte, chaque avancée technologique détiennent toujours des points positifs et des points négatifs. Du clou jusqu’à la navette spatiale, chaque « progrès » à ses revers. Malheureusement pour nous, les points positifs – c’est-à-dire les aspects pratiques - dominent souvent tout le reste, et quand les points négatifs se révèlent, il est souvent trop tard pour reculer. Mais qu’en est-il de la musique, de cette science que l’on range volontiers dans les arts et qui se pose parfois en victime ?

Pour anticiper l’avenir, il faut agir avec circonspection, sans emballement. En musique, deux certitudes pourraient s’affronter. La première qui estime qu’une musique inscrite au patrimoine ne peut pas s’effacer de la mémoire collective, être oublié, parce que nécessaire à la compréhension de notre évolution ; la seconde qui, malgré la profondeur, la richesse et l’émotion qu’elle suscite, ne voit en elle que le résultat d’une valeur subjective, et dont la qualité sera peut-être un jour dépréciée pour diverses raisons jusqu’à être oubliée. Même s’il est hautement improbable que la « grande musique » soit totalement délaissée ou abandonnée, ne faut-il pas se poser la question de savoir surtout sous quelle forme elle survivra ?

Dans les années 50, face à l’avenir de la musique, les compositeurs avaient-ils simplement une idée de la place qu’occuperaient un jour le magnétophone, le synthétiseur ou l’ordinateur dans leur travail  ? Non, certainement pas ! Pour eux, ces outils étaient perçus comme une chance d’explorer les méandres de la musique d’une tout autre façon. Ces outils étaient là, c’est tout ! Le reste - l’avenir - n’était que supposition. Tout comme aujourd’hui, il y avait ceux qui les avaient acceptés et les utilisaient, et les autres qui les combattaient ardemment comme s’il s’agissait d’un mal mystérieux remettant en cause l’intégrité de leur talent.

Il ne faut jamais oublier que la survie d’une musique est toujours liée à une société ou à des formes de civilisation. Tout enchantement procuré par des sons implique une valeur, un pouvoir de fascination qui justifie pleinement sa présence. En conséquence, la « grande musique » a toutes les chances de subsister dans un futur lointain. Pour autant, le monde numérique qui nous entoure aujourd’hui nous confronte déjà à de nombreuses questions...

La première étant de savoir quel regard porterons-nous sur la musique dans 20, 50 ou 100 ans. Plus que jamais, la musique est devenue un phénomène planétaire. Elle échappe normalement à la plupart des tourmentes, des conflits, sauf quand elle se matérialise et qu’elle entre dans le monde économique. Dès lors, la musique n’est plus une forme d’art, mais un bien matériel entraînant à sa suite des profits et des intérêts qui amenuisent ses origines et ses authentiques valeurs.

Par essence, si le compositeur cherche à capturer la ‘musique des sons’, c’est parce que la vertu de la musique est d’être insaisissable et que son ingéniosité vit dans des sphères autrement libres et sans frontières. Nous pourrions même dire que si telle ou telle musique existe, ce n’est pas un hasard. Quelque chose en nous, nous pousse à la faire naître. D’elle, nous en retirons une identité, un style de vie, une attitude qui la justifie pleinement. La musique est là pour stimuler nos pensées et pour nous offrir quelques clés afin de nous élever.


MUSIQUE ET MONDE NUMÉRIQUE

De nos jours, disques, CD, DVD, MP3, mémoire virtuelle, disque dur sont des mots qui sont entrés dans notre langage, au point de nous demander qui de l’ordinateur ou de l’homme aura la main sur l’autre au bout du compte : l’ordinateur (on s’en défend) et l’homme (on l’espère toujours).

Au début des années 80, côté ordinateur, il n’était question que de deux ou trois mégaoctets de mémoire vive et encore ! Les musiciens qui travaillaient chez eux en MAO (musique assistée par ordinateur) se contentaient de peu. L’imaginaire faisait le reste et n’a jamais empêché des musiques fantastiques de voir le jour. Bien évidemment, vu sous cet angle, et avec ce recul, l’intérêt de la puissance numérique d’aujourd’hui bat aussitôt de l’aile ! Pourtant, quarante ans après la naissance des ordinateurs de bureau, qui aurait pensé un jour voir un opéra de Verdi ou un concert de Bob Marley tenir dans une clé USB ?

Cependant, il ne faut pas oublier que les CD, DVD, MP3, etc. ne sont que des moyens de reproduction. La créativité musicale se niche ailleurs, et si demain, elle trouve place dans de nouvelles formes d’expression, à travers des instruments d’un nouveau type, c’est toujours avec le secret espoir que le musicien continuera d’en avoir le contrôle.

De nos jours, alors que nous évoquons avec une certaine crainte l’intelligence artificielle comme étant à la fois un bien et peut-être un mal, la musique, quant à elle, semble suspendue à cette attente, ne sachant si un jour un ordinateur sera là pour supplanter le créateur, dans l’alternative où ce dernier serait surpassé par sa suprématie à calculer logiquement la moindre des hypothèses sonores.

L'autre interrogation capitale est la suivante : la musique sur ordinateur sera-t-elle un jour dans la capacité d’émouvoir ses auditeurs aussi bien qu’un vrai orchestre, avec de vrais musiciens ? Apparemment, un tel cas de figure est loin d’être farfelu, parce que déjà envisagé à travers quelques tentatives plutôt « encourageantes ». Pour le moment, le terrain expérimental prévaut, mais jusqu’à quand ?

La composition musicale sur ordinateur est déjà un fait acquis. Elle est simplement là. D’assistant, elle a conduit le musicien à devenir un individu assisté, avec une indépendance créative qui s’amenuise au fil des jours. Hier encore, la MAO n’était qu’ennui mortel et indifférence, car l’inspiration qui anime toute musique, actuelle ou passée, lui faisait totalement défaut. Mais aujourd’hui et demain ? L’homme, qui ne cesse de diviser son pouvoir créatif dans de nombreuses directions, manque cruellement de sagesse et de lucidité en jouant souvent avec le feu. Quel sens prennent alors les mots « progrès » et « évolution » ?


DANS UN MONDE D’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Pour le moment, intelligence artificielle et créativité, sont dans des « champs » séparées. Les deux « parties » ne s’ignorent pas, mais ne sont pas encore arrivées au stade d’un jeu dans lequel tout retour en arrière est impossible. Tant que l’homme jouira d’un plaisir à créer de façon personnelle, le mystère qu’est l’imagination musicale ne cessera de le poursuivre et il continuera de composer de la musique. En conséquence, on espère alors que les machines se contenteront d’être de « gentils toutous » seulement programmés pour reproduire, émerveiller et non pour se substituer à l’homme, tuant ainsi dans l’œuf l’idée même de créer quelque chose avec sa propre intelligence.

Il y aura bien sûr encore des musiciens qui prendront plaisir à jouer peut-être une composition personnelle ou une pièce de Mozart revisitée… parce que l’image que nous avons aujourd’hui de Mozart ne sera peut-être pas exactement la même dans 100 ans. Les scénarios du possible sont tellement nombreux quand on les place en face du monde numérique ! Aussi, amusons-nous à poursuivre…

Par exemple, le propre de jouer d’un instrument est de partager son plaisir avec d’autres personnes et non se réfugier dans son petit coin. La musique est partage. Or le monde actuel ne nous y encourage pas. Comment alors le musicien vivra-t-il de son art demain ou après-demain ? Les musiciens ressentent de nos jours ce décalage avec le « vivant », ce besoin de ne pas seulement exister et créer pour congratuler un monde virtuel destructif. Comment livreront-ils leur musique, sous quelle forme et dans quel but ? Jouer d’un instrument, c’est aussi un acte physique : il faut taper, souffler, pincer. Jouer d’un instrument doit rimer avec plaisir et non ennui.

On voit déjà ceux qui lèvent le doigt et qui demandent depuis déjà fort longtemps un moyen d’apprendre la musique de façon ludique et rapide, sans trop de contrainte. Ces désirs, les enseignants y sont déjà confrontés. Peut-être placerons-nous la virtuosité à un autre étage. L’ordinateur se chargera alors de cette tâche, ce qui du coup fera abdiquer tous les prétendants à la performance technique et à ces heures passées pour y parvenir. Un autre plaisir de vivre les émotions ; un autre rapport avec l’instrument en somme !

La musique a toujours évolué et ne cessera de bouger dans ses formes, dans ses appels comme elle le fait depuis des milliers d’années. L’enjeu réel sont nos oreilles. Comment ses paresseuses s’habitueront-elles aux sons du futur ? Comment évolueront-elles quand on sait que l’accoutumance est un processus qui peut demander du temps ? Les exemples ne manquent pas…

Le jazz a demandé combien d’années pour devenir une musique populaire, et l’est-il d’ailleurs vraiment plus de 100 ans après sa naissance ? Et Stravinsky ou Bartók, compositeurs avant-gardistes de leur vivant, que penseraient-ils de la musique d’aujourd’hui ? Oui, en musique, il n’existe pas réellement de cap, mais plutôt des directions qui se résument à des avis contraires.

Aucune musique, présente ou passée, populaire ou élitiste, n’échappe à la critique. Face au discernement d’une mélodie, à la qualité d’une interprétation, tout le monde ou presque a un avis. La plupart des gens refusent la musique de Schönberg ou de Webern pourtant élaborée il y a près d’un siècle. Faudrait-il être un fanatique pour revoir la question de notre rapport à la musique ? La musique classique, pas plus que les autres, n’a échappé aux critiques : Rubinstein face à Tchaïkovski ou Cassiodore, quelques siècles plus tôt, face au chant polyphonique.

Tout ne serait-il qu’une question de sons ou de mélange de sons pour rendre l’inacceptable acceptable ? Serait-il alors déplacé d’imaginer que la musique de demain ne nous semblera pas plus étrange que celle d’aujourd’hui ? Toutefois, en considérant cette dernière hypothèse, il est fort à parier que si nous pouvions l’entendre, il est probable que nous la condamnerions peut-être avec véhémence ! Et vous, qu’en pensez-vous ?

Par Elian Jougla (Cadence Info - 03/2023)

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