La voix parlée est-elle musique ? Sans aucun doute. Qu’elle s’illustre de façon narrative sur fond musical ou qu’elle improvise face à un micro, la voix parlée conserve toujours sa musicalité. Tout comme la voix chantée, elle est capable d’émouvoir, de transmettre des émotions. La radio d’aujourd’hui l’a bien compris en la déclinant sur plusieurs tons.
Qu’elle soit grave ou aiguë, chantante ou sobre, la voix de radio participe activement au succès des émissions par la tonalité qu’elle impose. À la différence de la télévision, la voix de radio n’interfère avec aucun phénomène visuel, d’où l’importance donnée à son élocution, son rythme et son timbre. En devenant le témoin des événements qui animent la station, la voix est pour l’auditeur le lien direct.
L’alternative à la voix étant le silence, celui-ci a été depuis longtemps considéré à tort comme son ennemi juré et occupe aujourd’hui de moins en moins de place dans les radios qui sont non-stop. L’auditeur est considéré comme un client qui ne doit en aucun cas s’échapper pour aller voir ce qui se passe chez la concurrence. La multiplication des radios sur la bande FM et plus récemment sur Internet a considérablement modifié la distribution des rôles. Que ce soit dans les radios généralistes, comme spécialisées, fidéliser l’auditeur devient très difficile. De fait, l’absence de “blanc” est alors considérée comme le meilleur remède anti-zapping. Quant à la panne technique, même si elle est moins présente que par le passé, elle demeure pour les stations de radio leur premier ennemi.
Les premiers critères d’une voix agréable de radio reposent avant tout sur son élocution et son timbre. La voix de radio raconte des faits, des événements, des histoires. Elle pose des questions, des suggestions ou des affirmations sur un ton charmeur, humoristique ou vindicatif. La voix de radio est d’autant plus importante et responsable qu’elle donne à l’auditeur le sentiment de partager l’événement, créant parfois une sorte de lien intime avec l’animateur. D’autre part, la voix de radio joue sur les moyens interactifs dont elle dispose pour donner pleinement confiance à son auditeur. Les jeux, l’interview d’artistes et les témoignages d’invités ou d’auditeurs sont notamment les moyens dont elle dispose.
La voix de radio illustre également la mémoire du temps passé. À l’écoute des archives, on perçoit le changement de ton. On entend la voix monocorde haut perchée du journaliste lançant ses tournures de phrases, en appuyant de tout son poids sur certains mots. Avant la télévision, la radio usait de son monopole médiatique. Elle représentait la modernité et avait toute la confiance de ses auditeurs (même si de temps en temps l’information - manipulée - ne servait que le pouvoir en place).
Il était considéré comme tout à fait normal, qu’en face d’un événement majeur, la voix du commentateur prenne le ton solennel de circonstance, quitte à verser dans le dramatique lors d’un enterrement ou d’un mariage médiatisé. Mais elle pouvait prendre également un ton plus dégagé, à coup d’arguments parfois folkloriques ou imagés lors d’une exposition, d’une foire ou d’un commentaire sportif… L’événement commandait et prenait le pas en faisant autorité. Aujourd’hui, même si l’info impose toujours ses lois sur les radios généralistes, elle joue dans le spectaculaire, voire dans la surenchère. Heureusement, la multiplication des radios spécialisées, musicales ou autres, en offrant d’autres alternatives, permet à l’auditeur qui le souhaite d’échapper aux dictats de l’information.
Quand les radios libres sont apparues légalement au début des années 80, elles ont donné, pendant un temps, le sentiment que la voix de radio reprenait des forces. Un nouveau vent de liberté naissait. Les radios militantes, comme les radios musicales, seront ainsi les premières à s’installer sur la bande FM. Nombreuses sont celles qui ont bataillé dur pour trouver un petit coin de paradis sur cette bande si étroite ! Avec des moyens souvent dérisoires et un amateurisme bon enfant, certaines radios locales tentaient de trouver leur propre tonalité et y réussissaient parfois.
Hélas, l’arrivée des radios “commerciales”, en imposant leurs lois, a mangé, broyé sans vergogne les radios amateurs locales. Et aujourd’hui, même si la maladresse de l’animateur des radios libres a disparu, son remplaçant a dû répondre à des critères précis et fuir le charme de l’accent régional, comme de l’émotion non contrôlée. Exempte de fautes ou presque, la voix professionnelle a franchi les échelons pour devenir le standard de la bande FM, créant son lot d’animateurs baptisés et sous contrôles (dont certains issus des premières radios libres).
Suivant cette logique, les stations de radio “commerciale” ont joué le jeu en recherchant de préférence des animateurs connus du grand public. Ceux-ci doivent jongler avec les coupures publicitaires, tout en étant capables de trouver les mots justes et le ton pour installer une certaine complicité avec les auditeurs.
La voix des radios “commerciales” agit également par mimétisme, surtout quand les auditeurs prennent l’antenne pour relayer, avec leurs mots, ce qu’ils entendent parfois venir de plus haut… (les hommes politiques étant en première ligne : le ton « Gaulliste », suivi du « Mitterandiste » est remplacé aujourd’hui par le ton « Sarkozyste »). La radio fabriquerait-elle alors des auditeurs courtisans ?… Peut-être bien ! C’est en tout cas le reflet de ce à quoi l’on assiste de nos jours lorsqu’on écoute leurs réactions : la volonté d’appartenir à un même cercle, de s’identifier à une même classe en se faisant l’écho d’une idée, en devenant le témoin d’un projet.
Les radios, sans devenir le complice de leurs auditeurs, doivent être à leur écoute (un message très répandu dans les radios des années 60/70). Celles d’aujourd’hui n’ont pas pour unique mission d’être des radios de divertissement ; elles doivent être capables également de répondre de façon revendicative, quand l’injustice, la souffrance ou toute forme de malaise généré par la société frappe à sa porte.
Quand la voix transmet les dernières nouvelles, la voix conteuse, modulante, cède sa place à une voix plus monocorde où ne doit transparaître qu’un minimum d’émotion. Exercice difficile pour le journaliste qui doit éviter, à tout prix, toute mauvaise interprétation, tout dérapage. Réputée dangereuse, il sait que la tonalité ou l’intonation employée en fin de phrase peut indiquer une prise de position, une affirmation ou une condamnation.
Mais le terrain émotionnel n’a pas le temps de s’installer, que l’actualité suivante est déjà là ! Les chaînes d’info nous abreuvent de tout un tas de nouvelles à un rythme rapide et cadencé. Dans la précipitation des mots et des sujets, la radio oublie qu’elle existe également pour induire la réflexion chez l’auditeur… mais peu importe, puisque le dynamisme créé convient bien à l’air du temps. Comme issue de secours, les radios ont leur propre site Internet qui est là pour compléter l’information ou pour souligner les ambitions de la station.
Le long développement des sujets laisse place ensuite au flash. Le rythme s’accélère et réduit le silence comme peau de chagrin. L’info est engloutie à la manière d’un cheeseburger. Qu’elle soit indigeste ou pas, peu importe, si l’auditeur est satisfait. La raison de l’info étant commandé par l’audimat et l’audimat étant le fondement même de la pérennité de toute station de radio, son contenu s’en trouve orienté, influencé tel un phénomène de mode par les événements considérés objectivement comme majeur.
Alors que dans les radios d’info, la voix se veut linéaire, tantôt grave ou légère suivant les sujets, elle trouve auprès des jeunes radios une tout autre approche, plus musicale et plus rythmée, jouant sur les corrections sonores pour flatter l’oreille des auditeurs (fréquences médiums abaissées et fréquences basses relevées).
La voix épouse, tel un flux continu, le rythme du morceau qui vient de s’achever. Frénétiquement, la voix de l’animateur vient apporter tout le dynamisme nécessaire pour être en parfait accord avec la politique de la station… et quand un invité est présent pour faire sa promotion, il arrive bien souvent qu’il soit entraîné dans le sillage de l’animateur. Face à mille questions posées à un rythme d’enfer, le malheureux invité n’a alors pas d’autres choix que de s’adapter à la situation, même si celle-ci n’a rien de rassurant. Il est venu pour vendre un produit, un projet, et il doit ressortir avec la conviction que tout s’est bien déroulé. Ainsi, rien n’échappe à la ronde médiatique ; du ton de sa voix, de l’aisance qu’il aura eu dans ses réponses, les auditeurs s’en feront juge.
Les jingles publicitaires provoquent, eux aussi, leur effet. Afin de poursuivre la cadence verbale du message publicitaire, l’animateur tente souvent de reprendre à la volée le même rythme, poussant parfois sa voix dans ses retranchements. Pour l’animateur “branché”, il faut tenir le coup et toujours être dans le bon ton… c’est une question d’autorité verbale, de conviction. À l’inverse, dans les radios visant un public moins jeune, la voix de l’animateur prend le contre-pied, comme pour mieux souligner la différence.
La voix de l’animateur doit avoir un certain caractère et relayer avant tout sa personnalité. Elle est l’émettrice derrière laquelle existe un homme avec sa culture et son histoire. Alors que certains animateurs sont à l’écoute de l’auditeur et privilégient le ton intimiste, voire confidentiel, d’autres visent un public plus large et populaire et jouent le rôle de transmetteur en apportant leurs idées comme leur bonne humeur.
Dans les radios “branchées”, les slogans, les phrases toutes faites ont bonne presse et viennent apporter, clé en main, ce que veulent entendre les jeunes auditeurs. N’ayant ni peur du ridicule, ni du mot déplacé, en verlan ou pas, et imitant maladroitement à l’occasion l’accent pied-noir ou maghrébin, les nouvelles radios ont transformé radicalement par le ton, la forme, le style, la “radio de papa”. Ce rythme, ce phrasé rejaillit même parfois, à l’occasion, sur des radios comme France Culture (un phénomène qui aurait été inimaginable il y a 15 ou 20 ans). Si les émissions de sexe conservent une certaine cote auprès des adolescents, le malaise des banlieues comme les questions d’identité nationale se sont invités pour faire entendre leurs voix discordantes. Les accents des auditeurs, quelles qu’en soient leurs origines, s’imposent d’eux-mêmes et ont pris le dessus sur le ton “parisianiste” en vigueur… mais de là à ce que le phénomène s’étende chez le journaliste ou l’animateur, c’est un pas que je n’oserai franchir !
Non, la voix de radio n’est pas morte. Par son côté organique et invisible, la voix conserve tout son mystère dans la relation qu’elle entretient avec l’oreille de l’auditeur. Si sa musique se décline en plusieurs tons, épousant ici un certain conservatisme, une tradition poussant à adopter un ton suranné ; ou là, le risque de déranger en jouant la “carte jeune”, c’est toujours l’auditeur qui tourne le bouton de la radio ! C’est lui qui accepte ou refuse l’idée d’entendre ce qui est diffusé. La radio n’est que son obligée.
Cependant, la radio n’a pas oublié son cheminement et ses origines. Forte de son expérience, elle a appris à connaître la portée de la voix et de son impact sur l’auditeur. Elle s’est adaptée en décodant les éléments capables de stimuler l’imaginaire du “client” tout en conservant ses propres désirs ; ne gardant souvent l’initiative que pour mieux protéger ses secrets.
Par Elian Jougla (Cadence Info - 12/2010)
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