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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

L'HISTOIRE DE MARILYN MONROE : "LE MAGNÉTISME D'UNE ÉTOILE"

On a tellement écrit sur elle qu'il est délicat de l'aborder sans craindre de répéter ce que d'autres ont su si profondément raconter avec compassion. Sa vie tumultueuse, sa carrière, sa fin tragique, tout a été exposé à maintes reprises et à tous les tons. Mais le personnage fascine. Il est intemporel. L'époque et le contexte ou toutes autres raisons justifiées et injustifiées liées à la star hollywoodienne avivent constamment la passion. On a accusé Hollywood d'avoir tué Marilyn, en rendant sa vie plus difficile, alors qu'elle faisait la fortune des compagnies cinématographiques. En vérité, inconsciemment, Marilyn avait mis sur pied sa propre mort. Les nombreux épisodes malheureux de sa prime jeunesse se traduiront en tourments auxquels elle cherchera à échapper toute sa vie sans jamais y parvenir.


LA BLONDE DE HOLLYWOOD

Le cinéma, d'où qu'il vienne et à toute époque, a continuellement éprouvé le besoin de faire découvrir aux spectateurs de jeunes ingénues, de nouveaux visages d'ange qui, le temps d'une scène, imprime la pellicule de leur silhouette élancée. Aux États-Unis, le cinéma d'après-guerre poursuivait sa quête avec l'espoir qu'un mythe allait surgir. À Hollywood, on conçoit déjà le modèle. Les producteurs tirent des plans sur la comète, à l'image des pinups illustrant les couvertures des magazines : un visage aux sourcils relevés, une bouche pulpeuse, une chevelure d'une blondeur écarlate et un corps se glissant dans une robe moulante.

© oneredsf1 (flickr.com – Marilyn Monroe, premières poses.

Physiquement, à 20 ans, Norman Jean est loin de ressembler à la star photographiée des années 50 et immortalisée par les plus grands magazines. Lors des premiers essais, personne n'imagine tout le potentiel qui sommeille en elle. Elle n'est alors qu'une figurante parmi d'autres starlettes qui se plie aux exigences des studios. Qui peut alors imaginer la Marilyn qui deviendra l'icône du parfum Chanel et le diptyque peint par Andy Warhol, future œuvre majeure de l'art pop ?

En 1948, le nom de la jeune mannequin apparaît pour la première fois au générique du film Les Reines du music-hall, son cinquième film. Le personnage n'est pas encore totalement fini, mais ce film de série B lui permet de chanter avec talent et de démontrer, par ailleurs, qu'elle n'est pas venue là par hasard, qu'elle n'est pas seulement une pinup de plus, pour ne pas dire une potiche choisie par les studios.

Dans ce film, la chanson est là, toute prête à être servi sur un plateau. Marilyn, les cheveux longs blonds et ondulés, surgit sur scène devant un parterre composé d'hommes, pour l'essentiel. Dans une longue robe noire faisant ressortir ses avantages physiques, elle chante avec assurance d'une voix suave Every Baby Needs A Da Da Daddy. Tout de suite, on songe amusé à ce que Tex Avery avait su si adroitement croquer dans ses cartoons : le mâle devenu un loup en quête de proie.

Cette apparition suggestive est l'ébauche d'un programme cinématographique qui va se poursuivre et s'amplifier durant quatorze ans. Toutefois, restons honnête... La carrière écourtée par son suicide, associée à une vie tumultueuse et alimentée d'épisodes médiatiques, surpasseront la qualité de la plupart de ses films. Qui se souviendrait plus d'un demi-siècle plus tard des dramatiques Niagara, Les Désaxés et des comédies Sept ans de réflexion et Certains l'aiment chaud sans sa présence ? En consultant sa filmographie, exception faite de deux ou trois films, on constate la banalité des scénarios qui lui seront proposés, ne servant, pour la plupart, qu'à alimenter le tiroir-caisse des studios hollywoodiens, et ce, au grand dam de l'intéressée.

Que Hollywood ait manipulé l'image d'une femme fragilisée par son enfance ne fait aucun doute. D'ailleurs, les réalisateurs prestigieux que sont Howard Hawks, John Huston, Joseph L. Mankiewicz, Henry Hathaway ou encore Fritz Lang et Billy Wilder qui l'emploieront, ne verront en elle qu'une comédienne tout juste indispensable à une exploitation cinématographique d'usage et de convention. D'ailleurs, tout le dilemme de sa carrière proviendra de cet écart d'estime entre le public et la profession.

Marilyn sera loin de demeurer la seule. Toutefois, la concernant, et quelles que soient les responsabilités de chacun, le boulot de séduction construit par les studios dans l'intention de dessiner le personnage avait parfaitement réussi au-delà des espérances. À notre époque, son souvenir inspire encore et toujours. Madonna sera la première à reprendre ses codes, avant que d'autres ne lui emboîtent le pas, comme Ashley Judd et Mira Sorvino, entre autres.


MARILYN MONROE : "EVERY BABY NEEDS A DA-DA-DADDY"
(issu du film "Les Reines du music-hall" – 1948)

« UNE FEMME SAGE CONNAIT SES LIMITES, UNE JEUNE FEMME INTELLIGENTE SAIT QU'ELLE N'EN A PAS. »

Pour compenser des rôles dans lesquels elle se sent enfermée et qui ne la passionnaient pas réellement, Marilyn réagira en s'abreuvant de diverses lectures, passant du classique Dostoïevski à la modernité d'Hemingway ou en lisant des poésies de John Milton. Cette soif cérébrale devait s'accompagner de connaissances en peinture et sculpture tout en suivant, en grande professionnelle qu'elle était, les cours de Lee Strasberg.

À côté de ses films et d'une vie sentimentale quelque peu agitée, l'actrice entretiendra tout au long de son existence un lien particulier avec l'écriture. Marilyn rédigera des poèmes et des textes succincts à la façon d'un journal intime, développant, comme un effet miroir, de profondes réflexions aux paradoxes saisissants sur les relations humaines. En voici trois extraits :

« Je pense que j’ai toujours été profondément effrayée à l’idée d’être la femme de quelqu’un, car j’ai appris de la vie qu’on ne peut aimer l’autre, jamais, vraiment. »

« Seuls quelques fragments de nous toucheront un jour des fragments d’autrui. La vérité de quelqu’un n’est en réalité que ça, la vérité de quelqu’un. On peut seulement partager le fragment acceptable pour le savoir de l’autre. Ainsi, on est presque toujours seuls. »

« Marchant sur les cailloux, avec une vue si imprenable qu’on peut l’admirer sans fin, mais mon regard reste posé sur toi. Tout s’embrouille à l’horizon, et un mince espace d’air s’invite entre nous, en plus de nos nombreuses histoires, trop effrayée pour en parler, alors que je tente de t’atteindre. »

© Farrar, Straus and Giroux (flickr.com) – La couverture du recueil "Fragments, poems, intimate notes, letters"

La maison d'édition HarperCollins réunira en 2010 tous les écrits de Marilyn dans un livre intitulé Fragments, poems, intimate notes, letters. En quatrième de couverture, on peut y lire :

« À travers une série de lettres et de journaux intimes inédits, ainsi que quelques photographies rares, Fragments explore la vie et l'esprit d'une icône, Marilyn Monroe. Un regard unique sur les pensées et les réflexions privées de l'une des stars les plus brillantes et les plus tragiques de Hollywood. Marilyn Monroe a vécu le rêve hollywoodien. Née dans une situation familiale difficile, soumise à une famille d'accueil et à des revendications d'illégitimité, Norma Jean Baker a réussi à passer de son éducation modeste à la célébrité internationale avec des performances comiques classiques dans Certains l'aiment chaud et Les messieurs préfèrent les blondes et bien d'autres. » Mais la belle et charismatique Monroe était hanté par la maladie et la détresse psychologique. Dans l'un des passages du livre, elle écrit : « L'enfance de chacun se rejoue tout le temps », rajoutant « Pas étonnant que personne ne connaisse l'autre ni puisse le comprendre entièrement. »


UNE ACTRICE ENTOURÉE D'HOMMES

Au cinéma, dans n'importe quelle direction que nous fixons notre regard, tout autour d'elle, il y aura des hommes : des boys dans les comédies musicales (La Joyeuse parade, Le Milliardaire avec Yves Montand), des êtres esseulés (Clark Gable et Montgomery Clift dans Les Désaxés) ou d'autres prisonniers de ses charmes (Tom Ewell dans Sept ans de réflexions). Sexualité lascive, glamour imposé, que ce soit ou non fantasmée, Marilyn n'existait qu'à travers le regard de la gent masculine. Aujourd'hui encore, l'« effet Marilyn » reste accrochée aux désirs, comme une image antique revenant hanter nos pensées de temps à autre. Alors, je me mets à imaginer la blondeur platine de cette chanteuse de music-hall chantant I Wanna Be Loved By You dans le film de Billy Wilder, Certains l'aiment chaud, ou à cette jeune femme délivrée de ses strass et paillettes, et embarquée dans une aventure avec Robert Mitchum dans Rivière sans retour.


MARILYN MONROE : "DOWN IN THE MEADOW"
Marilyn interprète la délicieuse chanson Down In The Meadow dans le film Rivière sans retour d'Otto Préminger (1954). Ce sera l'une des occasions rarissimes de voir l'actrice seule avec un enfant (Tommy Rettig), et c'est peut-être pour cette raison que cette scène est d'autant plus poignante. Sa voix est douce et son visage radieux, détendu. Ses merveilleux yeux bleus, empreints d'une expression de tendresse, participent à ce moment de bonheur partagé.

La poétesse Marylin demeurera jusqu'au bout cet enfant fragile, névrosé, qui tentait d'échapper aux intentions d'une gent masculine peu scrupuleuse. « Forte comme une toile d'araignée dans le vent, j'existe davantage avec le givre froid et scintillant. » Cette phrase illustre parfaitement ce que l'actrice ressentait à la fin de sa vie. Elle incarnait idéalement la femme désirée dans un monde géré par les hommes. Jusqu'au dernier film inachevé, Something's Got to Give, pour lequel elle devait partager l'affiche avec Dean Martin, ses retards répétés, devenus légendaires, ne feront qu'alimenter ses nombreux désaccords avec la profession. Loin d'imaginer ce qu'était réellement l'existence de l'actrice, le public recevra l'annonce de son suicide dans une totale incompréhension, ne saisissant nullement le pourquoi d'un geste aussi désespéré.

Au début des années 1960, alors que la vie de la majorité des femmes reste compartimentée dans la tradition familiale d'élever les enfants et de préparer les repas, à l'écran, Marilyn incarne cette belle femme fatale, jalousée, mais admirée pour son courage et sa détermination à s'opposer aux conditions mise en place par les hommes puissants de Hollywood. (1)

© Antonio Marín Segovia (flickr.com) – Marilyn Monroe et Clift Montgomery dans le film "Les Désaxés" (1960).

Cherchant une liberté qu'elle ne trouvera point, elle avait adopté la voie difficile du cinéma pour accéder à la gloire et avait porté son fardeau, à sa manière. Jusqu'au bout, et malgré ses traumatismes infantiles, elle conservera son sens de l'humour, son rire resplendissant, à l'écran comme à la ville. Quand Marilyn se sentait déprimée, elle pouvait ne pas le montrer. Seul Arthur Miller, son dernier mari, savait décoder les signes qui ne trompent pas.

L'actrice avait appris à réprimer ses ressentiments depuis son enfance, et quand sa confrontation avec son « moi » arriva, ce fut trop tard. Marilyn ne pouvait survivre à des désirs si contradictoires sans autres conséquences. Un psychanalyste qui traita sa maladie dira : « Pour résumer, elle était dénuée d'amour, asexuée, meurtrière d'elle-même et malade dans la mesure où elle vivait dans un monde fictif, coupée de la réalité. »

C'est certainement à travers le dernier film achevé par l'actrice, Les Misfits, que la détresse et les espoirs de Marilyn se révèlent à nous. Quelques dialogues écrits par son dernier mari deviennent les témoins de sa dépression. Quand Gable lui recommande : « Contente-toi de vivre », elle réplique : « Comment fais-tu pour te contenter de vivre ? » Puis, à un autre moment du film, Gable lui demande : « Tu es vraiment une femme magnifique, mais pourquoi es-tu si triste ? » Plusieurs fois dans le film, Marilyn lancera en retour des appels déchirés : « Aime-moi ! Aime-moi ! » et « Aide-moi ! ». Mais la réponse, dans la vie réelle, ne viendra point. La phrase la plus saisissante de ce que fut son dilemme se déroule dans la scène finale, quand Gable et Monroe roulent dans la nuit et qu'elle lui chuchote : « Comment fais-tu pour trouver ton chemin dans ce noir ? »

Le personnage de Marilyn Monroe n'est en fait que la revanche de Norma Jean sur tous ceux qui l'ont blessée pendant sa vie, sur ceux qui l'ont utilisée sexuellement, puis qui l'ont abandonnée, la laissant se débrouiller seule dans un monde sans pitié, dénué d'amour, d'affection et de fidélité. Elle était en pleine gloire et avait trente-six ans. Marilyn, qui désirait par-dessus tout un véritable père, pas seulement un mari, avait conservé en elle son caractère enfantin. En octobre 1962, trois mois après sa mort, un article de Clifford Odets s'éleva comme un éloge posthume : « Une nuit, il y a quelques semaines, l'âme de Marilyn s'est envolée. Elle ne reviendra pas. Nous ne pouvons pas connaître ses derniers mots, ses dernières pensées, mais il est probable qu'ils renvoyaient au ver de Yeats : "La vie m'apparaît comme une longue préparation de quelque chose qui n'arrive jamais". »

Par Elian Jougla (Cadence Info - 04/2023)

1. Avec Bus Stop en 1956, Marilyn Monroe produit son premier film lancé en lettres géantes grâce à sa société de production, la "Marilyn Monroe Productions" qu'elle monte avec son ami, le photographe Milton Greene. La première raison : tenter de renverser le rapport de force avec le système, pour s'émanciper autant que possible. La seconde : lui garantir des revenus plus conséquents, tout au moins à l'égal de ses partenaires masculins.

À CONSULTER

MARILYN MONROE, DE FILMS EN CHANSONS

Au cours de sa carrière, Marilyn Monroe a enregistré quelques chansons devenues le témoignage incontournable de la grande période hollywoodienne. Libre de son corps, d'une sensualité claire comme de l'eau, Marilyn Monroe l'était autant dans sa vie et dans ses propos. À défaut de la conduire, on lui emboîtait le pas...


2e PARTIE : LA CONSÉCRATION ET LA FIN TRAGIQUE. Marilyn est à sa consécration. Elle humanise l’image de la blonde dont les studios l’ont affublée. Enfin, elle joue au plus près de sa véritable personnalité comme le font les plus grands comédiens...

"LES HOMMES PRÉFÈRENT LES BLONDES", LA COMÉDIE MUSICALE METTANT EN SCÈNE LE DUO MARILYN MONROE ET JANE RUSSELL

Fonctionnant autour du duo composé par Marilyn Monroe et Jane Russell, la comédie musicale 'Les hommes préfèrent les blondes' de Howard Hawks permet d'aborder deux sujets alors tabous pour l'époque aux États-Unis, le sexe et le rapport à l'argent.

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