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CHANSON


MAURANE INTERVIEW/PORTRAIT DE LA CHANTEUSE

Avec plus de 30 ans de carrière derrière elle, la chanteuse aura toujours pris son temps pour produire des albums qui lui ressemblent, entre tristesse et joie, avec ce grain de voix tout de suite reconnaissable et cette fêlure qui poursuit ses interprétations et qui leur donnent une vérité indéniable.


PETIT COMEBACK

Repérée à seize ans dans la comédie musicale Jacques Brel en mille temps, la chanteuse enchaînera dix ans de petits contrats avant de trouver un premier public grâce au rôle de Marie-Jeanne dans Starmania. Mais les six mois de représentation comme « serveuse automate » aura raison de son impatience à vivre d’autres expériences. Malgré les échecs consécutifs de ses premiers disques du début des années 80, Maurane persévère et c’est enfin le début de l’ascension. La chanteuse sort de grands tubes qui font d’elle une chanteuse populaire : Toutes les mamas (1989), Sur un prélude de Bach (1991) ou encore C’est magique (1998) en compagnie d’Eddy Mitchell. Sa voix puissante, jazzy, tout en contrôle, lui permet d’attirer la sympathie d’un grand nombre d’artistes, à commencer par Claude Nougaro, l’ami de toujours.

Au milieu des années 90, l’artiste se fait plus discrète, tout en répondant aux sollicitations de quelques associations caritatives (Sol En Si, les Restos du Cœur). À l’âge de la maturité, la chanteuse sort un album rendant hommage à son idole Claude Nougaro (Nougaro où l’espérance en l’Homme – 2009). Maurane sera attirée un temps par le cinéma en incarnant quelques petits rôles, dans Carnaval de Ronny Couteure (1987), Palais Royal de Valérie Lemercier (2005), et peu de temps avant sa disparition en tournant dans Le collier rouge de Jean Becker (2018).

© Eddy Berthier - Maurane (Fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles le 24 septembre 2011)


MAURANE INTERVIEW 'FAIS-MOI UNE FLEUR'

Cet interview a eu lieu à l’occasion de la sortie de son album Fais-moi une fleur le 11/09/2011.

C.C. : Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ?

Maurane : la toute première partie de l’enfance, c’était merveilleux. C’était l’enfance rêvée. Les parents réunis, une petite fille comblée, aimée, des petits copains de classe, un quartier que j’adorais. Puis, tout a basculé quand mes parents ont quitté Bruxelles pour habiter Verviers et que je me suis retrouvé dans ce conservatoire où il y avait trois étages énormes. Je sentais bien qu’il y avait une tension entre mes parents.

Vous en avez tenu rigueur à vos parents ?

Pendant un temps, oui. Je leur en ai voulu, mais on ne peut pas faire leur procès éternellement. Je ne supporte pas la rancune, et puis je me suis « allongé » pendant quelques années. Je continue de temps en temps d’ailleurs pour éclaircir un peu tout ça.

Ça vous fait du bien…

Oui, ça me fait du bien. C’est une perte de temps d’en vouloir à des proches… Et puis mes parents, je les aime.

Vous dites que vous avez du mal à trouver votre place… notamment à cause de votre mère. C’était une femme qui prenait de la place par sa personnalité ?

Mon papa était directeur de conservatoire. C’est un métier qui appelle une certaine forme d’austérité, alors que mon père avait plein d’humour. Peu de gens l’ont su. Maman, qui n’est plus pianiste aujourd’hui, est toujours là, Dieu merci… Elle est toujours curieuse de ce que je fabrique, mais c’est une femme qui a vécu beaucoup plus dans l’insouciance, tandis que mon père était plus terre à terre. Ma mère, c’est plutôt une grande rêveuse, d’ailleurs je lui en ai voulu de ça, de ne pas s’en faire plus que ça pour moi, de me laisser très très libre finalement.

Vous avez été en rupture avec vos parents très tôt. Vous avez été même marginale à moment donné.

Quand on fait les choses à un certain âge, on ne se rend pas compte. C’est beau l’insouciance, mais vivre avec sa sœur à 14 ans, ce n’est pas commun…

Et puis vous avez fait les 400 coups…

Oui et non, parce que vous savez, quand j’ai chanté dans la rue entre 14 et 16 ans, il aurait pu m’arriver beaucoup de bricoles désagréables. C’était une période où la came circulait. La cocaïne ça avait bien commencé.

Vous y avez touché ?

J’y ai touché beaucoup plus tard au Québec, mais ce n’est pas mon truc du tout. Je n’aime pas ça. Déjà que j’ai une tchatche… quand il m’est arrivé de prendre de la « coke », je parle 5 fois plus, je suis fatigante et je me fatigue toute seule… Le pétard, je n’aime pas. Moi, j’aime beaucoup le vin quand j’ai envi d’être un peu ailleurs. J’aime surtout le goût du vin. J’aime le goût du champagne, et j’aime la façon comme ça vous grise.


MAURANE : FAIS-MOI UNE FLEUR

Qu’en faite-vous de votre argent ?

Je suis affreusement dépensière, mais j’en fais profiter les autres. Je ne suis pas de celle qui économise. J’ai heureusement un homme d’affaires (Olivier) qui s’occupe de gérer tout ça, de mettre de l’argent de côté, parce que moi je suis une flambeuse… Je ne joue pas au Casino, mais j’aime bien recevoir les gens chez moi ou au restaurant, les inviter. Je me fais des petits cadeaux, mais je pense qu’il y a des gens plus outranciers que moi dans ce domaine-là… Je n’ai qu’une maison, je n’en ai pas trente-six !

Si vous deviez recommencer une carrière, est-ce que vous iriez dans les émissions style ‘La nouvelle star’ ?

Oui, pourquoi pas ! Plus ‘La nouvelle star’ que ‘Star Académie’ parce que j’aime mieux le principe, de fait que les artistes, les chanteurs, ne sont pas filmés 24 heures sur 24. (Maurane fera partie du jury de 'La nouvelle star' de 2012 à 2014, ndlr)

Ce n’est pas honteux ?

Non. En revanche, est-ce que c’est la vraie vie ? Ça, c’est autre chose ! J’ai eu la chance de commencer par le commencement, de commencer par la base. Là, aujourd’hui, on commence par la télé, alors je pense que ça fausse la route d’un artiste. Maintenant, je pense aussi que c’est une question d’identité, c’est une question d’intelligence aussi, d’instinct… et de ce qu’on en fait ensuite. Il y a des gens qui se débrouillent très bien. Regardez Christophe Willem ! Je pense aussi à des filles comme Jenifer (Bartoli), Nolwenn (Leroy) pour qui j’ai une tendresse toute particulière et qui vient de la ‘Star Academy’.

Vous vous verriez bien faire un tandem avec elle ?

Ça nous est arrivé souvent de chanter ensemble. On a des voix qui s’accordent plutôt bien. On a ouvert les ‘Victoires de la musique’ cette année, alors que les ‘Victoires’ ce n’est pas ce que je préfère. Ça me met dans un état de nerf, de stress, mais c’est un bonheur de chanter avec Nolwenn. On dit de sa voix qu’elle est très apaisante. Bravo surtout pour son album breton (Bretonne - 2010), parce que quand elle chante en breton, on y croit. On voit bien qu’elle vient de là et que ce sont ses racines.

Dans votre album (Fais-moi une fleur), il y a une belle chanson que François Morel a écrite (Pas Belle). Vous y avez pensé à cela toute votre vie ?

J’y ai pensé forcément. Je crois que beaucoup de gens peuvent se reconnaître dans cette chanson. Il y a des jours où l’on se regarde dans la glace, ça va plutôt bien. Aujourd’hui, on va dire que ça va, mais il y a des jours où l’on se sent moche. Vous pouvez être adulé, complimenté, on peut vous dire tout ce qu’on veut, bien des choses positives, et pourtant on n’y croit pas.

À quel moment de votre vie vous êtes vous trouvée la plus séduisante ?

Je ne me suis jamais sentie aussi bien qu’aujourd’hui. J’ai l’impression que plus ça va, mieux je me sens dans ma tête, dans mon cœur, professionnellement…

Des nombres d’années, vous en retirez quelque chose ?

Vous savez, il y a les « bobos » que l’on attrape. On vieillit. Dans ma famille, il y avait beaucoup de gens qui avaient des rhumatismes, de l’arthrite, malheureusement j’ai hérité de ça… mais je me soigne (rires). Mais sinon, je pense que quand le moral va, tout va. Le physique suit et vice et versa.

L’amour rend belle ?

Ça peut contribuer. En tout cas, ça fait quelque chose. Oui, c’est vrai !

Il existe une chanson prémonitoire que vous avez vous-même écrite.

J’étais sûr que vous alliez y venir (rires)

Opus En "Si Bel Homme Majeur". J’aime beaucoup ce titre. Vous l’avez trouvé facilement ?

Ça m’est venu un jour. J’ai trouvé ça amusant.

Vous n’aviez pas trouvé la bonne personne à l’époque ?

Absolument pas… Ce qui est fou, c’est que j’ai écrit cette chanson il y a deux ans. J’étais bel et bien seule, mais pas désespérée. J’ai vraiment idéalisé un homme, comme ça, en me disant : "si je rencontre encore quelqu’un aujourd’hui, à quoi j’aimerais qu’il ressemble… il ressemblerait à ça". Je me disais aussi : "Ah ! Si je pouvais rencontrer un mec qui ressemble à Al Pacino", et ce qui est incroyable, c’est que cette chanson ait été plus que prémonitoire parce que, effectivement, l’homme est arrivé. Je l’ai rencontré dans un avion…

Et c’était Al Pacino ? (rires)

Ce n’était pas Al Pacino (rires), mais il y a une photo qui est sortie dans la presse où il a reçu un prix à Venise, et c’est incroyable la ressemblance avec ‘Pepito’ qui est mon chouchou, mon chéri, mon amoureux avec qui j’ai le bonheur de partager la scène, parce que c’est un sublime chanteur de flamenco… Il avait fait des voix sur mon album Nougaro (Nougaro où l’espérance en l’Homme), et quand il est venu les enregistrer, je n’étais pas dans le studio. On ne s’est rencontré qu’un an plus tard. La vie est pleine de surprise, mais quand j’ai écrit la chanson Opus En "Si Bel Homme Majeur", je ne croyais plus vraiment rencontrer quelqu’un. Je n’en étais pas triste pour autant, je me disais juste : "j’ai vécu des choses très belles, des choses plus douloureuses, ma vie a été bien remplie."

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Vous vous êtes beaucoup engagé pour des causes humanitaires. Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ?

Il y a forcément des choses. Encore hier, j’étais en studio avec plein d’artistes pour réaliser un single pour l’UNICEF. Un continent comme l’Afrique est souvent mis à l’écart, alors qu’il y a vraiment des choses à faire en Afrique. Il y a beaucoup d’enfants qui naissent sans avoir rien demandé à personne, qui meurent de faim… Je suis indigné par plein de choses, par la surmédiatisation des choses qui n’en valent pas la peine. On ferait mieux de se concentrer vers l’essentiel.

Vous pouvez être violente ?

Oui, tout à fait. Absolument. J’ai des colères.

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MAURANE : PAS BELLE

Pourquoi avoir enregistré votre album à New York ?

Ce n’est pas mon idée. C’est celle de Jean-Philippe Allard qui était directeur chez Polydor. Il avait dans l’idée depuis très longtemps de me faire aller là-bas pour me faire perdre mes repères en France, en Belgique ; d'arriver en studio avec des gens que je ne connaissais pas, de nouveaux musiciens, une nouvelle équipe…

Et ça déstabilise réellement ?

Pas vraiment, sauf peut-être la veille de rentrer en studio. Je suis tombé sur des gens non seulement compétent, mais respectueux, très gentils, très humbles. Les Gil Goldstein, Will Lee... ce n’est pas n’importe qui !

C’est une expérience que vous pourriez réitérer ?

Oui, parce que finalement je me rends compte, ayant dû faire un album aussi vite, dans l’urgence, il se passe d’autres choses. Vous êtes dans les conditions du direct, dans des conditions proches de la scène et ça, c’est très excitant. Finalement, il en ressort quelque chose de plus spontané, vous chantez d’une autre façon. C’est très excitant d’avoir la rythmique, les cordes, les cuivres à ses côtés pendant qu’on chante... C’était court, mais j’en ai bien profité. On n’a absolument pas touché à l’album. On l’a laissé tel quel, même avec les failles, mais ce n’est pas pour me déplaire… Je trouve que les albums actuels sont trop esthétisants, on met beaucoup trop de temps à les réaliser. On réécoute machin, on ajuste la voix, on sophistique beaucoup les choses alors que, finalement, ce n’est pas plus mal d’y aller franco, surtout quand il y a eu un travail en amont. Dans l’album, les auteurs-compositeurs sont bien français, et ce qui m’a intéressé c’est le côté franco-américain, la double culture.

Propos recueillis par C. Ceylac (Cadence Info - mise à jour 10/2018)


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