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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

L'ŒUVRE DE MAURICE RAVEL, HISTOIRE D'UNE VIE CONSACRÉE À LA MUSIQUE

Cette page est la suite de MAURICE RAVEL PORTRAIT D'UN COMPOSITEUR ANTICONFORMISTE


MAURICE RAVEL, SENSUALITÉ MÉLODIQUE ET RAFFINEMENT ORCHESTRAL

Tout en faisant la part du paradoxe dans cette attitude, on doit reconnaître que Ravel a tout fait pour la justifier dans la plupart de ses œuvres. Il existe dans son approche une sensualité harmonique et une sensibilité mélodique extraordinairement développées. Il obéit volontiers, dans le choix de ses sujets, à des curiosités techniques et à un goût secret de l'exploit sportif ; un tour de force que ne connurent ni Debussy ni Fauré. Il lui plaira de chercher, dans une Introduction et un Allegro, les effets de timbres que l'on peut obtenir en enveloppant une harpe d’une draperie sonore tissée par une clarinette, une flûte et un quatuor à cordes.

© flickr.com

Les trois tableaux pianistiques de Gaspard de la Nuit sont nés du désir avoué de battre, dans le domaine de sa virtuosité transcendante, le record de difficulté de Islamey de Balakirew. Les Valses nobles et sentimentales, La Valse ou encore Le tombeau de Couperin sont de savantes et subtiles transpositions qui pastichent non pas une écriture, mais un climat spirituel. Quant au Boléro, il semble être le résultat d'un amusant pari engagé à la suite d'une controverse sur l'instrumentation. Soulignons au passage le Concerto pour la main gauche qui vient compléter la série des performances spectaculaires qui ont permis sans cesse à ce virtuose de la plume de savourer, égoïstement, la volupté de la difficulté vaincue.

Avec l'âge et le déroulement logique d’une carrière déjà bien remplie, Maurice Ravel développe une tendance au dépouillement et à la simplification d’écriture ; des attitudes que l'on observe assez souvent chez la plupart des maîtres parvenus à l’automne de leur vie. Le compositeur dépense beaucoup d'ingéniosité pour donner l'apparence d'un calcul personnel à cette inévitable dissociation de la sève. Son Duo pour violon et violoncelle, savamment déduit d'un laborieux parti pris, illustre aussi mélancoliquement cette observation que les Sonates de Debussy lorsqu'on rapproche le premier des Miroirs et les secondes du Prélude à l'Après-midi d'un Faune.

Il faut également noter le curieux attrait qu’exerçait sur Ravel la recherche des effets rares et du rendement exceptionnel dans les instruments dont il se servait. Il criblait de questions les clarinettistes, les hautboïstes, les cornistes, les bassonistes pour essayer de leur arracher quelque secret professionnel afin de forcer les barrières que les traités d'orchestration ont traditionnellement élevé entre les « bons » et les « mauvais » registres de chaque outil musical. Il se risquait alors avec une savante audace dans les chasses gardées et les « sens interdits » et se réjouissait des piquantes découvertes qui récompensaient ses dangereux exploits de braconnier.


ENTRE RAVEL ET DEBUSSY

En portant un regard superficiel sur Maurice Ravel, on commet souvent l’erreur de voir chez lui un élève brillant de Debussy. À l’époque 1900 où certaines hardiesses de l'écriture harmonique et orchestrale, communes aux deux compositeurs, frappent seules l’imagination des premiers auditeurs de la Habanera et de la Soirée dans Grenade, cette confusion est excusable, cependant chaque année qui s'écoule fait apparaître plus clairement l’absurdité d’un tel malentendu. Les caractéristiques musicales du Boléro suffisent à prouver la profondeur du fossé qui le sépare du compositeur des Nocturnes. On relève dans les conceptions de chacun de ces deux maîtres des dissemblances frappantes, qu'il s'agisse de leur métier architectural, de l’accent de leur lyrisme ou de leur technique orchestrale.

Ravel, en face d'un sentiment ou d'un paysage, a plus de retenue morale et une vision plus aiguë que son aine. Il s’efface volontairement derrière son sujet et redoute les voluptueux abandons auxquels ne résiste pas toujours l’auteur du Prélude à l'après-midi d'un Faune. Il suffit de juxtaposer le « lever du jour » de Daphnis et Chloé et la sortie de Pelléas pour constater qu'avec deux palettes à peu près semblables, ces deux peintres ont traduit deux impressions visuelles et deux atmosphères lumineuses presque identiques d'une façon très différente.


MAURICE RAVEL : 'LE TOMBEAU DE COUPERIN'
Composée entre 1914 et 1917, la suite pour piano Le Tombeau de Couperin comporte six parties : Prélude, Fugue, Forlane, Rigaudon, Menuet et Toccata, dédiés à la mémoire d'amis tombés au cours de la Première Guerre mondiale. Ravel orchestra par la suite quatre de ces pièces (Prélude, Forlane, Menuet et Rigaudon). Puis, près de 80 ans plus tard, le pianiste et chef d'orchestre hongrois Zoltán Kocsis entreprit d'orchestrer les deux pièces restantes (Fugue et Toccata). C'est cette version orchestrale complète qui est présente ici, interprétée par l'Orchestre Philharmonique National Hongrois dirigé par Zoltán Kocsis.

L’HÉRITAGE LAISSÉE PAR MAURICE RAVEL

On sait quelle fut la terrible agonie morale de Maurice Ravel progressivement emmuré en lui-même par une mystérieuse lésion cérébrale qui lui laissa son intelligence intacte tout en le privant de la possibilité d'en faire usage dans ses rapports avec ses semblables. Pendant les quatre dernières années de sa vie, il a connu le supplice atroce d'un prisonnier condamné à être enterré vif et qui, étroitement ligoté et bâillonné, voit s'élever, pierre par pierre, la muraille qui va le retrancher du monde extérieur et le vouer à une lente asphyxie. Une intervention chirurgicale désespérée, tentée par scrupule de conscience, aura pour seul résultat d'abréger son martyre.

Ainsi disparut en 1937 le magicien basque dont l'extraordinaire maîtrise a exercé et exerce encore sur les musiciens du monde entier une influence considérable. Ses Jeux d'Eaux, ses Miroirs, son Gaspard de la Nuit, son Tombeau de Couperin et ses deux Concertos nous ont révélé une nouvelle technique du piano. Ses pièces d'orchestre sont des leçons saisissantes d'instrumentation ; son écriture harmonique a jeté les bases solides d'un vocabulaire souple et fort dont toutes les audaces se justifient. Partout, il a fait œuvre de conquérant. Ses trouvailles ont modifié le climat de l'art méditerranéen et, bien qu'elles soient spécifiquement françaises, elles n’ont eu aucune peine à s'évader de nos frontières pour s’imposer plus rapidement encore que celles de Debussy à travers les continents.

Ce ne sont peut-être pas les qualités les plus rares de Maurice Ravel qui ont été les éléments essentiels de cette triomphale diffusion. Le Boléro est assurément un agent de publicité plus actif que sa Sonatine et ce sont souvent les vertus mesurées de ce personnage raffiné qui ont internationalisé son prestige. La foule lui a été reconnaissante d'abriter sa haute science derrière des façades rassurantes et bienveillantes. On lui saitt gré des hommages répétés qu'il a rendus à toutes les formes de la danse, qu'il s'agisse d'une Pavane, d'un Menuet, d'une Habanera, d’un Rigaudon, d'un Boléro, d'une Valse ou d’un Fox-trot.

Sans pouvoir analyser leur plaisir, les auditeurs les plus ignorants sont sensibles à l'infaillibilité de sa technique architecturale qui s’impose irrésistiblement à l'oreille. La netteté et le relief de son arabesque mélodique constituent de précieux attraits pour l’amateur ingénu qui ne se doute pas qu'une phrase large et contemplative, comme celle de l’adagio de son Concerto en sol majeur, n'est pas le résultat d’une effusion spontanée, mais le fruit d'un lent et patient tâtonnement. Sensible à l'ironie des choses et aux sournoises mystifications du destin, Ravel doit trouver, dans l'au-delà, une amusante saveur à tous ces malentendus que pimentent sa gloire d'une pointe de cette innocente imposture dont les manifestations l'ont si souvent diverti au cours de son existence.

Mais ceux qui ont compris toute l'importance de l'œuvre ravélienne ne se résigneront pas aussi aisément à de pareils quiproquos. Ils estimeront, au contraire, que, malgré la réussite éclatante de sa carrière, Ravel n'a pas été l'enfant chéri des fées qu'il aimait tant. Sa vie inquiète de « refoulé » et sa fin tragique en sont déjà, à elles seules, de tristes témoignages. Mais il faut souligner, en outre, la malveillance avec laquelle deux génies hostiles ont choisi la date de sa naissance et celle de sa mort. Dans une période normale de notre histoire, son apparition aurait laissé derrière elle un sillage lumineux lent à s'effacer. Or, les voix de deux autres prophètes ont un peu étouffé la sienne. Le premier : Debussy. Le compositeur lui a dérobé, d'avance, une grande partie de ses fidèles, au début de sa croisade. Le second : Stravinsky. Il a surgi à point nommé pour détourner de lui et entraîner dans une direction opposée toute la génération de compositeurs qui pouvait bénéficier de son enseignement et de son exemple.


Par Patrick Martial (Cadence Info - 05/2016)
(source : Histoire de la musique - Ed. Arthème Fayard - 1949)

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