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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

RESTAURER LA MUSIQUE CLASSIQUE DANS LE CŒUR DU PUBLIC

On estime, à tort ou à raison, que la musique classique détient un langage qui s’adresse à des personnes initiées ou cultivées. Sa porte d’entrée reste pourtant toujours entrouverte pour accueillir chaque nouveau venu. La plus grande chance qui puisse arriver à celui qui s'y aventure est de l’apprécier sans se poser de questions, directement, sans avoir besoin d’un quelconque mode d’emploi, parce que, dans le cas contraire, tout devient plus compliqué... (cette page vient en complément de : La musique classique, enquête au-dessus de tout soupçon)


TOUJOURS ÉLITISTE LA MUSIQUE CLASSIQUE ?

Le malheur du classique serait-il qu'une question de classe et d'éducation ? La question de son déclin revient périodiquement. Les médias nous alarment et s'interrogent sur la place qu'elle occupe dans le cœur des gens. Elle semble comme inaccessible, même si elle n’est pas la seule à être confrontée à un manque d’adhésion. Pour d’autres raisons, la musique de jazz vit la même chose, car depuis ses origines, elle n'a jamais cessé de se fracturer aux idées des uns et des autres. Or, le jazz reste discret, malgré son histoire traversée de racismes et de préjugés.

Ensuite, dire que l’on aime le classique ne signifient pas que l’on apprécie tout le répertoire. C’est même rarement le cas pour la majorité des amateurs de musique qui affinent leurs goûts en fonction de différents critères : l’époque (baroque, classique, impressionniste, contemporain…) ; le genre (chantée, pour grand orchestre, soliste, quatuor…) ou encore suivant les interprètes et les compositeurs ; des filtres qui résument à eux seuls les limites de chacun d’avoir un jour de vastes connaissances dans la musique !

Parfois les médias généralistes viennent au secours. Ils invitent alors la « grande musique » pour la faire découvrir auprès de leur public et, en fonction du cadre et de la destination de l'émission, ils invitent de courageux musiciens et chefs d’orchestre réputés dans l’intention de dédramatiser l’« image vieillotte » qui entoure le classique. Armés de pures intentions et d’un discours bien rôdé, les invités témoignent, souvent ravis d'évoquer la musique qu’ils aiment.

Évoquer ses expériences, son parcours, pour légitimer la musique que l’on chérit, et répondre aux questions des « non-spécialistes » de façon concise, peut permettre à un auditeur de se rapprocher de la musique classique en lui apportant une image positive. La cause est entendue. Or, quelle que soit la réputation de l’invité et la qualité de son discours, celui-ci est bien placé pour savoir que si la musique adoucit les mœurs, le classique, même dans sa forme la plus courue, génère une forme d’ennui et de lassitude chez l’auditeur qui conçoit - sans fondement réel - le classique comme une musique pour laquelle il n'a pas sa place.

Les préjugés étant tenaces, cette mise à l’écart infondée devient si dévastatrice que les maisons de disques sortent régulièrement des « compils » de grands tubes classiques et invitent les chanteurs lyriques à suivre le mouvement en enregistrant quelques airs classiques populaires mélangés à des chansons de variété.

En réalité, le problème majeur de la musique classique et de ses acteurs est d’avoir une vision arrêtée sur ce qui est bien et ce qui est mal. Elle est traversée de part en part par des jugements de valeurs, des principes qui se retrouvent dans son enseignement, dans ses échanges, et qui lui font beaucoup de tort. La question n’est pas de se dire si telle œuvre est moins belle que telle autre, sinon la cause serait entendue et elle aurait disparu des radars d’elle-même dans la majorité des cas. Non, la réelle faiblesse de la musique classique est de ne pouvoir se remettre suffisamment en question pour soulever un réel enthousiasme auprès du plus grand nombre. Si quelques « acteurs » du monde classique s’évertuent à répandre la « bonne parole », la majorité conserve encore une vision conservatrice avec un discours qu’il est impossible d’accorder au contact d'une société qui ne cesse de remettre les pendules à zéro, avant d'avoir fait le tour du cadran !

Explications, justification, décodage, la musique classique a-t-elle besoin de cela ? Sans vouloir délibérément comparer l’approche d’autres courants musicaux, il faut bien reconnaître que les amateurs de musiques dites "vivantes" n’insistent généralement pas. « Si cela ne vous plaît pas, changez de trottoir ! », pourraient être leur slogan. Le fait d’insister démontre que la musique classique est ambivalente, qu'elle tient un double discours, même si certains érudits vous diront aussi que la musique classique est indispensable à cause de la place qu’elle occupe dans l’histoire de la musique. C'est vrai et on ne peut le nier, effectivement. Mais par ailleurs, elle semble appartenir à un monde figé. « On ne touche surtout pas, sinon sacrilège ! » Le classique est finalement en totale contradiction avec la société d’aujourd’hui qui remet à chaque instant l’univers du son, les techniques de création, mais aussi l’inspiration et l’ambition de chacun et chacune comme étant les fondamentaux d'une évolution légitime.

Culturellement, dans notre société, la musique classique est maladroitement traduite et exploitée. Les productions musicales actuelles répondent à des courants musicaux qui sont malléables. Du jazz à l’électro en passant par le blues, le rock ou le reggae, toutes ces musiques sont étirées, malaxées, déformées, comme écrasées par le poids des influences. On comprend dès lors qu'imposer une musique sous le seul prétexte qu’elle a d’innombrables qualités ne peut suffire, sinon cela signifierait qu'elle est la seule à détenir une jouissance suprême, celle d'avoir une autorité incontestable sur toutes les autres.

La musique classique est devenue une sorte de produit obsolète que l’on ressort de temps en temps, en fonction des occasions. Sa présence minimaliste dans les radios généralistes et les chaînes télévisées, la promotion trop ciblée (souvent insuffisante) de la part des maisons de disques et la rareté d’œuvres de jeunes compositeurs concourent quelque part à sa diabolisation. D’ailleurs, le fossé est si profond qu’il ne sert à pas grand-chose de vouloir comparer la musique dite « classique » avec les musiques actuelles tellement leurs univers ont un fonctionnement et des intentions artistiques qui s’opposent.


LE MÉLOMANE CONSERVATEUR ET LE COMPOSITEUR

Généralement, le mélomane qui se rend à un concert classique connaît une grande partie ou la totalité des œuvres qui lui sont proposées. Le public classique, dans sa grande majorité, n’aime pas être surpris par ce qu’il va entendre. Il ne faut pas que les lignes bougent trop. Il apprécie que ce qu'il connaît bien. Pour le reste, on verra ! L’histoire de la musique classique résonne de ses événements houleux à la suite de créations d’œuvres proposés par de jeunes compositeurs audacieux. Bienheureux est alors le rare "forgeron" qui, en soulevant des boucliers d’amertumes envers le public, ose franchir le Rubicon et permet à la musique d’avancer. Qu’il en soit remercié !

Cependant, ce courage-là est entaché d’une éducation musicale qui conduit à entretenir un discours élitiste par le musicien lui-même qui, pour défendre son œuvre ou son interprétation, ne peut s’empêcher de prêcher un vocabulaire dont la portée est parfois comprise seulement par un musicien ou un spécialiste. Mais peut-on demander à des artistes qui promotionnent un disque ou un concert de trouver les mots justes, les mots fédérateurs ?

Fort heureusement, pas à pas, petit à petit, quelques amorces de discours simples et directs se font jour (même à 'France Musique' qui ne cesse d'évoluer dans le bon sens en s'ouvrant toujours plus... à cause d'Internet, il va de soi !). Toujours est-il qu'il est difficile de placer sur un même plan une sonate de Mozart, un standard de Thelonious Monk et une chanson de Claude François. C'est normal ! Par contre, il est plus aisé de livrer une musique au plus grand nombre en employant un discours ludique et imagé où chacun se retrouvera. Dans ce cas, on a toutes les chances d'être du bon côté.

Et puis évoquer le déclin de la musique classique ne peut se comprendre que si l’on tient compte de ses diverses étapes historiques. Déjà, du temps de Mozart, lors des concerts, l’attitude du public était bien différente. La musique interprétée était à la fois un spectacle sur la scène, mais aussi dans la salle. Les œuvres se jouaient dans un certain vacarme et non « religieusement » comme aujourd’hui (quoique !). Les compositeurs étaient avant tout des « valets » au service de commanditaires, pas des compositeurs qui font de savants calculs vis-à-vis des ventes et des droits d'auteurs, comme de nos jours.

L’image d’une « grande musique » respectueuse et écoutée n’a commencé à exister qu’au moment où Beethoven s’est imposé ; ce qui ne signifie pas pour autant que le compositeur jouissait d’un statut particulier. Pour l’obtenir, les musiciens devront attendre le 19e siècle et le Romantisme. Ensuite, la spiritualité s’en est mêlée, lui apportant une dimension mystique et un certain vocabulaire réservé à un public instruit. S'enchaînera le 20e siècle, celui des renoncements, du dodécaphonisme et des dissonances appliquées.

La musique classique est comme toutes les autres formes musicales, elle vit et évolue dans l’environnement que les compositeurs et les interprètes veulent bien lui apporter. Les plus critiques disent même : « que le classique est la seule musique à avoir grandi en s’enfermant dans ses propres limites ». Cependant, soyons honnête, le jazz, le rock et même la toute jeune électro fabriquent aussi leur enclave, en ayant des principes, des échanges et un vocabulaire qui leur appartient. L’exigence artistique semble être ailleurs, comme transportée par des modes sans lendemain. Cela fait partie du décor. Les « musiques vivantes » évoluent en fonction du goût du public et acceptent plus volontier la réponse, alors que le monde classique prend d’autres dispositions pour l'accepter.

On peut lui reprocher de trop s’interroger, de trop intellectualiser, sans compter ses nombreuses réticences qui ne peuvent que marginaliser son discours. Manquant de spontanéité, le classique oublie trop souvent qu’avancer est le plus sûr moyen de continuer d'exister ; et comment le peut-on sans une certaine transgression ? Écrire des œuvres avant-gardistes et audacieuses pour une assemblée d’élues et de critiques prétentieux n’est pas nécessairement la solution. Cela se saurait depuis. Par contre, être à l’écoute d’un public reconnaissant à ses demandes, créer des passerelles sans demander le pourquoi ou la raison, sont des motifs suffisamment louables pour que les acteurs du monde classique ne restent pas enfermer dans leur tour d’ivoire et qu'ils s’adaptent au monde tel qu’il est et non tel qu’il voudrait qu’il soit. Mais le veulent-ils vraiment ?

Ou le pourraient-ils ? L'interrogation semble mieux adaptée, sachant qu'une grande partie de l’éducation musicale est à revoir et que les musiciens classiques sont confrontés tout comme d’autres à une société dans laquelle tout est cadré, commenté et vilipendé. Aujourd'hui, pourtant, quelques jeunes artistes classiques osent tout pour exister. Les signes sont évidents : un répertoire ouvert aux musiques actuelles, des comportements de star, des tenues vestimentaires provocantes et des participations à des émissions populaires de variété démontrent qu'une prise de conscience est réellement née. Sera-t-elle suffisante pour restaurer l'image de la musique classique ? Les inévitables désapprobations d'un public hostile à tout rapprochement ne se faisant jamais à grand pas, il faut attendre encore un peu. Toutefois, il est certain que la musique classique devra agir et se battre sans chercher à condamner ou fustiger celui ou celle qui ne suit pas « la même route que ».

Par Elian Jougla (Cadence Info - 09/2022)

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