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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

LE PROLOGUE D'AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA DE RICHARD STRAUSS, DÉCRYPTAGE

Dans le répertoire de la musique classique post-romantique, il existe des œuvres qui marquent les esprits par leur construction musicale particulière. C'est le cas du prologue d'Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra) de Richard Strauss, composé en 1896, et dont les nombreuses utilisations aussi bien au cinéma, dans la publicité qu'à la télévision témoignent de sa place historique dans la musique populaire.


UNE ŒUVRE INSPIRÉE D'UN POÈME DE NIETZSCHE

Pour le compositeur et chef d'orchestre allemand Richard Strauss (qui, par ailleurs, n'a rien à voir avec la famille Strauss et ses valses viennoises), la question était « que faire après Richard Wagner qui était allé jusqu'au bout du système tonal ? » La réponse, Strauss la découvrira dans les premières années du 20ᵉ siècle avec l'arrivée de l'atonalité, du dodécaphonisme, puis plus tard avec le sérialisme. Néanmoins, Ainsi parlait Zarathoustra s'inscrit dans un certain conformisme d'écriture qui ne dévoile aucune audace à même de remettre en cause la tonalité.

© George Grantham Bain Collection (Library of Congress) picryl.com – Richard Strauss photographié en 1920

L'œuvre est jouée dans toute l’Allemagne, puis à l’étranger, mais ne rencontre pas le succès. La critique désaprouve le compositeur, pourtant reconnu à 28 ans comme un chef d’orchestre de premier rang et comme un fidèle héritier de Beethoven et de Richard Wagner. De ce poème symphonique, seule l’introduction de l’œuvre est jugée « prometteuse ». Il est vrai que ce prologue, lumineux et épique, contraste avec la suite, marqué d'abord par un interminable silence, avant d'étaler les autres parties aux contours plus lyriques.

Ainsi parlait Zarathoustra s'inspire directement du poème philosophique éponyme de Friedrich Nietzsche, rédigé entre 1883 et 1885. Le changement d'atmosphère des divers mouvements qui suivent le prologue est à l'image du « récit spéculatif » construit par le philosophe sur des sujets très variés. Zarathoustra – en fait le penseur perse Zoroastre – après un isolement de dix ans, revient pour délivrer son message aux Hommes afin que ces derniers apprennent de leurs erreurs et s'améliorent. Les huit parties qui suivent l'introduction portent des sous-titres directement inspirés de l'œuvre de Nietzsche. Par ailleurs, le titre Ainsi parlait Zarathoustra est, dans le poème, une formule qui termine chacun des discours du philosophe, une formule musicalement traduite par Strauss – du moins, on l'imagine – à travers les premières notes du prologue qui sont rejouées et qui servent de fil rouge à l'enchaînement des divers mouvements.


DES CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES PARTICULIÈRES

À l'origine, Ainsi parlait Zarathoustra réclame un orchestre symphonique particulièrement fourni en cuivres et augmenté d'un orgue. Son prologue quelque peu grandiloquent, pratiquement déclamatoire, est caractérisé par trois appels de cuivres consécutifs joués crescendo et par paliers.

Soutenu par un do grave tenu par le contrebasson, l'orgue et les contrebasses, le premier appel des quatre trompettes s'achèvent sur un accord de do mineur suivi d'une mesure faisant alterner la quinte do – sol aux timbales. Le deuxième appel des quatre trompettes est joué un peu plus fort et opte à la fin du trait pour un accord majeur, invariablement suivi par le martèlement des timbales. Enfin, pour le troisième appel, aux quatre trompettes succèdent tout l'orchestre qui intervient dans une monumentale cadence en do majeur qui se prolonge par l'orgue et la grosse caisse.


ALSO SPRACH ZARATHUSTRA (PROLOGUE)
Berlin Philharmonic Orchestra, direction Karl Böhm (BO 2001, Odyssée de l'espace)

ADAPTATIONS ILLUSTRÉES ET SYMPTOMATIQUES

© wikimedia – Une représentation allégorique de « L'Individu se fond dans le Monde et le Monde se fond dans l'Individu » reprise et adaptée par le lever de soleil aligné sur la terre et sur la lune du film 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick.

Si Richard Strauss avait une prédilection pour la musique vocale (À l'arbre Daphné, Le Soir) et l'opéra (Elektra, Le Chevalier à la rose, Salomé), il connaissait sur le bout des doigts les rouages de l'orchestration, ce que démontrent notamment ses différents poèmes symphoniques : Ainsi parlait Zarathoustra, Don Juan, Mort et Transfiguration, Till l'Espiègle...

Toutefois, il est certain que le prologue d'Ainsi parlait Zarathoustra serait probablement passé inaperçu du grand public si celui-ci n'avait pas croisé sur sa route le cinéma et Stanley Kubrick dont le choix musical, hautement réfléchi, a contribué pour une part non négligeable à la popularité de cette introduction symphonique dans le film d'anticipation 2001, l'Odyssée de l'espace, en 1968.

Utilisée en générique d'ouverture du film et illustrant la vision d’une éclipse solaire (l'alignement de la Lune, de la Terre et du Soleil), mais aussi dans la scène finale du long-métrage, Kubrick avait repris l'idée centrale de l'œuvre, à savoir une profonde réflexion sur l'évolution de l'Humanité.

Ce coup de maître ne restera pas le seul. Bien d'autres éclairages du prologue verront le jour, plus ou mois réussi. Parmi les plus connus, citons le générique d'ouverture des concerts donnés par le King Elvis à Las Végas, celui des journaux télévisés de l'ancienne chaîne française, La Cinq ou encore l'adaptation funky-jazz parfaitement réussi du pianiste brésilien Eumir Deodato (album Prélude – 1972).


EUMIR DEODATO  : "ALSO SPRACH ZARATHUSTRA" (album Prélude – 1972)

Par Patrick Martial (Cadence Info - 07/2023)


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