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MUSIQUE DE FILMS

ALEX NORTH ET LA MUSIQUE DU FILM SPARTACUS

À partir des années 50, la musique des films hollywoodiens commence à être remise en question par des compositeurs qui voient dans ses principes d’écriture classique un frein à leur créativité. Pour le film Spartacus, même si l’écriture musicale de la bande-son fait appel à un orchestre symphonique et semble bien conforme au concept musical hollywoodien, elle n’en est pas moins novatrice pour l’époque. En faisant entendre des instruments inusités, antiques ou novateurs, la musique composée par Alex North va chercher à se démarquer des écritures instrumentales conventionnelles. Devenue aujourd’hui une référence, la bande-son du film Spartacus, aussi belle qu’évocatrice, vaudra à Alex North d’être nommé aux Oscars pour la 7e fois.


L’ARRIVÉE DU FILM PEPLUM

Nous sommes à l’orée des années 60. À Hollywood, les films produits par l’industrie cinématographique s’enchaînent à une cadence infernale. La musique de films baigne depuis longtemps dans ses envolées symphoniques, même si parfois quelques bandes-sons flirtent avec des intonations jazz pour illustrer des scènes d’action d’un quelconque ‘polar’ ou pour traduire l’atmosphère enfumée d’un night-club de la 52e rue…

À cette époque, les comédies, mais également le film policier et surtout le western sont à leur apogée. Si le genre ‘cape et d’épée’ joue parfois les trouble-fêtes sous les traits d’un Lancelot ou d’un d’Artagnan, le film ‘péplum’, qui était mis au placard depuis de nombreuses années par les producteurs, va être relancé et retrouver une ‘nouvelle jeunesse’ grâce à de gros moyens financiers. Le ‘péplum’ va ainsi incarner un nouveau genre de film à grand spectacle, un style cinématographique dont le cinéma Italien se servira pour produire des films de “série B”.

Servant l’imagerie populaire de l’ancien temps, la présence de décors surréalistes et somptueux illustre et représente le film péplum dans toute sa démesure, projetant sur grand écran toute la puissance économique régnant alors dans le cinéma hollywoodien. À coups de millions de dollars, le cinéma américain des années 60 va ainsi produire, grâce à ces films ‘pseudo-historique’ quelques pages glorieuses de l’histoire du cinéma.

Les faits antiques ne manquant pas, les scénaristes sont aux anges et s’épanchent sans retenue sur les différents épisodes historiques de l’empire romain et du christianisme (les légendes grecques auront également droit à de nombreuses aventures cinématographiques). Outre les décors pharaoniques, une figuration imposante sert souvent de point d’appui à des stars du cinéma, trop contentes de se laisser envoûter par cette féerie et par l’aspect financier qui s’y rattache. Tourné en 1959, le film Spartacus va être l’un des premiers témoins de cette nouvelle aventure cinématographique…


LE TOURNAGE DE SPARTACUS

Si au départ, les premières scènes du film sont dirigées par un des grands spécialistes du western, Anthony Mann, face à l’ampleur du projet - qui atteint les 12 millions de dollars - celui-ci est remercié au bout de quelques jours pour des raisons d’incompatibilité d’humeur avec l’acteur principal du film Kirk Douglas, d’autant plus que le comédien voit là une occasion de mettre en avant un jeune metteur en scène du nom de Stanley Kubrick.  

Pour Kirk Douglas, Kubrick n’est pas un inconnu. Deux ans auparavant, le film très controversé Les sentiers de la gloire, relatant des faits historiques de la guerre de 14/18, les avaient déjà réunis. Mais en 1959, Kubrick manque encore d’expérience, il n’a réalisé en tout et pour tout que deux films. Pour ce jeune réalisateur alors âgé de 30 ans, le film Spartacus est surtout un moyen de rentrer par la grande porte, de se construire une réputation, même si plus tard il rejettera le film pour ne pas avoir eu toute sa liberté, prisonnier entre le bon vouloir des producteurs et les exigences d’un film à grand spectacle. Les idées novatrices attendront !

Kubrick n’a pas le choix et doit faire face à une superproduction hollywoodienne qui va durer plus de cinq mois. Les moyens qui lui sont offerts sont dantesques : tournage en technicolor 70 mm, des scènes de bataille avec 10 000 figurants et de nombreux acteurs de premier plan dont Laurence Olivier, Peter Ustinov, sans oublier Tony Curtis et Jean Simmons qui interprète la compagne de Spartacus.


ALEX NORTH - SPARTACUS (LOVE THEME)


ALEX NORTH, LE COMPOSITEUR

Le compositeur Alex North est choisi par les producteurs bien avant l’arrivée de Kubrick. Le metteur en scène qui émet des réserves sur sa présence devra faire avec… Âgé de 49 ans au moment du tournage, Alex North possède déjà un petit palmarès cinématographique (sa carrière débute en 1937). Sa chanson Unchained Melody, écrite en 1956, lui apporte une certaine célébrité grâce à ses nombreuses interprétations, dont celle d’Elvis Presley.

Alex North est un compositeur atypique dans le paysage musical hollywoodien. Il est attiré par la musique jazz, mais les films auxquels il participe ne lui donnent que rarement l’occasion de montrer tout son talent d’écriture dans ce domaine-là. (la bande-son du film d’Elia Kazan, Un tramway nommé Désir et ses intonations jazzy évidentes sera l’exception).

L’histoire du film Spartacus, revue par le cinéma hollywoodien, a des allures romancées et éclipse certaines vérités. Les scènes de guerre très réalistes, voire choquantes pour l’époque, sont tournées en décors naturels et offrent une dimension spectaculaire sans concession. Dès les premières scènes, le spectateur suit le destin tragique de cet esclave au tempérament intransigeant et épris de liberté. Semant le vent de la révolte chez les esclaves, il gagnera cette noble cause en formant une armée pour fuir le sol romain. L'ancien esclave refusera toute compromission et pris en tenaille par les armées de Crassus et Lucullus, lui et son armée finiront par perdre la bataille. Les survivants du massacre seront alors crucifiés, tel des martyres, sur la route qui mène jusqu’à Rome.

L’histoire est belle et Alex North en est conscient. Il passe alors beaucoup de temps à étudier le script du film, à visionner des rushes jusqu’à saisir l’atmosphère prenante du film. Aucune note n’est encore écrite. Le compositeur prend son temps et cette approche analytique lui est finalement salutaire. Musicalement, pour sublimer l’atmosphère romancée de certaines scènes, les envolées mélodiques sont nécessaires et le Love thème, qui revient à plusieurs reprises sous différents habillages sonores, illustre parfaitement les qualités lyriques du compositeur. Pour souligner toute la barbarie des scènes de combat, dans l’arène comme dans celles qui opposent esclaves et armées romaines, Alex North déploie une musique plus agressive, avec cuivres et percussions (North, qui a passé trois ans au conservatoire de Moscou, écrira pour le film Spartacus une musique aux intonations russes évidente. Kubrick encouragera d’ailleurs le compositeur à aller dans ce sens).

Malgré tout, la musique écrite par Alex North reste très conventionnelle, voire fonctionnelle. Sa véritable force est d’introduire des instruments antiques pour renforcer les faits historiques. Ainsi, plusieurs scènes du film font appel à des instruments oubliés ou rarement utilisés comme le hautbois chinois, le dulcimer ou le sarrussophone.Toutefois, comme pour provoquer un contraste sonore saisissant, North fera appel à l’ondioline, un instrument électronique inédit dans un tel contexte. (1)


ALEX NORTH ENFIN RÉCOMPENSÉ

Alors que la musique du film Spartacus est en compétition pour la course aux Oscars, contre toute attente, c’est la musique du film Exodus écrite par Ernest Gold qui remporte la statuette en 1960. Nominé quinze fois durant sa carrière, Alex North n’aura pas de chance en ne remportant jamais cette statuette si précieuse. Toutefois, l’Académie des Oscars lui décernera en 1986 un prestigieux prix de consolation rendant hommage à toute sa carrière, un Lifetime Achievement Academy Award.

Huit ans après le tournage de Spartacus, Alex North retrouve sur sa route Stanley Kubrick pour le film de science-fiction aux évocations métaphysiques 2001 : l’odyssée de l’espace. L’exigence du metteur en scène, qui agit alors en maître absolu, effacera d’un coup de baguette magique tout le travail réalisé par le compositeur. La musique composée par North ne verra jamais le jour. Kubrick préfèrera s’en tenir à des thèmes classiques déjà existants ; un choix qui va s’avérer très judicieux et qu’il réitérera pour les films suivants, comme Orange Mécanique et Barry Lindon. Cependant, le travail apporté par Alex North n’est pas oublié. En 1993, deux ans après sa disparition, comme pour rendre un hommage posthume au compositeur des films Les Désaxés et La chevauchée sauvage, un autre grand compositeur, Jerry Goldsmith, enregistrera à la tête du National Philarmonic le score original oublié.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2011)

1. L’ondioline est un petit clavier à l'électronique sommaire, capable d’évoquer de façon étrange le son d’une mandoline mélangé à des percussions. On l'entend dans le thème intitulé Oysters And Snails.

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