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MUSIQUE DE FILMS

AL JOLSON ET THE JAZZ SINGER (LE CHANTEUR DE JAZZ), L'ARRIVÉE DU CINÉMA PARLANT

Avec le film The Jazz Singer (Le chanteur de jazz), une nouvelle ère s’ouvre à Hollywood, celle du cinéma parlant. Le parlant, une véritable révolution qui va transformer en profondeur toute la façon d’élaborer un film, des décors à la mise en scène, du scénario aux jeux des acteurs, sans oublier la musique qui va devoir partager la bande-son avec les dialogues et les bruitages.


LE VITAPHONE

En 1926, le système Vitaphone est enfin au point. Commercialisé par les frères Warner sous le label Western Electric, cet ingénieux procédé permet la synchronisation entre un enregistrement sonore diffusé sur phonographe et la projection d’un film. Le système Vitaphone, qui n’intègre pas le son à la pellicule, n’empêche pas la même année le tournage d’un premier film, Don Juan, avec John Barrymore.

Dans Don Juan, si les voix des acteurs ne s’entendent pas, l’enregistrement sonore intègre des bruitages et une longue partition musicale (interprétée par le New York Philharmonic). Préalablement, pour rassurer les spectateurs sur ce qu’ils allaient voir, mais surtout entendre, le film fut précédé d’une annonce sous forme de présentation parlée.

Grâce au Vitaphone, de 1926 à 1930, ce sont des dizaines et des dizaines de courts métrages qui vont être réalisés. Par la suite, le Tobis, un procédé d’origine allemande, plus performant et plus fiable, lui succédera.


THE JAZZ SINGER

Quelques mois après la réalisation du film Don Juan est présenté au public new-yorkais le premier film parlant, The Jazz Singer (Le Chanteur De Jazz) adapté d’un show de Broadway extrêmement populaire (d’après la pièce de Samson Raphaelson, The Day of Atonement). Si le film n’est qu’une pâle imitation de la comédie, l’histoire a surtout retenu un nom, Al Jolson, un acteur qui mettait au point ses propres numéros de music-hall en se noircissant le visage avec de la suie.

C’était l’époque du blackface, un registre ambigu où l’on parodiait les Noirs du Sud en puisant dans l’exubérance de leur répertoire. Le blackface était une convention théâtrale utilisée sur scène, qui inspira non seulement Al Jolson, mais également d’autres acteurs fameux comme Bing Crosby, Fred Astaire et même Doris Day !

Involontairement, sans mesurer avec précision son véritable impact, The Jazz Singer va ouvrir une brèche dans un art qui commençait à ronronner gentiment depuis déjà quelques années. Ce film, qui est entré dans l’histoire du cinéma grâce à son statut de ‘premier film parlant’, va en quelques mois tout bousculer. Abandonné, délaissé, le cinéma muet vit alors ses derniers jours de gloire…

Depuis que le cinéma s’est installé à Hollywood, le film muet était devenu une véritable institution, capable de transformer et de propulser un simple acteur issu du théâtre en une grande vedette du grand écran en quelques mois. Cet art majeur du divertissement était tellement bien installé que personne ne songeait un instant à sa disparition.

Face à cette ‘hégémonie sonore’, par superstition ou par crainte, l’acteur et réalisateur Charlie Chaplin va jouer à l’équilibriste dans ses premiers films parlants, entourant les rares dialogues d’une musique symphonique omniprésente et envahissante. Dans ces circonstances, à défaut de sous-titres, l’emploi d’une voix narratrice n’était pas rare (cf. La ruée vers l’or, muet lors de sa sortie en 1925, fera l’objet d’une reprise en 1942 dans une version sonorisée par son auteur, Charlie Chaplin).


AL JOLSON LANCE LE PARLANT

Après la sortie du film The Jazz Singer, des acteurs de renom vont aller jusqu’à refuser de grands rôles, pensant risquer leur carrière avec cette folle invention. Il est vrai qu’après seulement quelques essais, leur voix et leurs grimaces héritées du jeu théâtral produisaient des personnages au verbe et à la gestuelle ridicule. Ils devenaient, après quelques tours de manivelles, des acteurs ‘ringards’ totalement incapables de se mesurer avec ce nouveau cinéma, si exigeant. Al Jolson n’aura pas la même attitude et acceptera sans crainte ce projet ambitieux et un peu fou de film sonorisé, d’autant plus que 25 % des recettes générées par le film devait lui revenir d’office !

Pour les cinéphiles, Al Jolson est une découverte, une heureuse surprise, mais pas pour les spectateurs de music-hall, car Jolson est loin d’être un débutant. Ce prince des boulevards est depuis le début des années 20 remarqué par ses prestations scéniques, sa voix aux accents blues et gospel, et ses envolées lyriques mêlant bel canto et mélodies yiddish. "Il incarnait la poésie de Broadway", disait Charlie Chaplin. D.W Griffith, l’auteur de The Birth of A Nation (La Naissance D’une Nation – 1915), lui apportera un rôle taillé sur mesure en 1923 avec le film Mammy’s Boy (Le Petit Chéri).

Même si sa carrière cinématographique tourne court après le succès de The Jazz Singer, Al Jolson était pour le public un crooner avant l’heure, provoquant une véritable hystérie notamment auprès des femmes. Il gesticulait, se contorsionnait, chantant des romances et des bluettes à la mode. Derrière le masque du Noir grimaçant, Jolson osait tous les excès à une époque où le racisme frisait le bon ton.

Premier ménestrel du ‘cinéma moderne’, sa gloire disparaîtra avec la grande dépression qui s’annonçait. Al Jolson reviendra toutefois sur le devant de la scène grâce à une biographie filmée, The Jolson Story en 1946, avec Larry Parks qui mimera ses chansons (une suite sera réalisée en 1949, Jolson Sings Again, peut de temps avant la mort de l’inspirateur).


THE JAZZ SINGER ET APRÈS

Ce talkie (film parlant) sera raconté, non sans humour, dans la fameuse comédie musicale Singin’ In The Rain (Dansons Sous La Pluie, avec Gene Kelly - 1952). Même des réalisateurs comme Martin Scorcese ou Woody Allen salueront à leur façon cette ‘première voix sonore’ dans leurs films (The Aviator de Martin Scorsese, Hannah Et Ses Sœurs de Woody Allen).

Il n’existe pas de bande originale du film The Jazz Singer, et si le film conserve de nombreuses scènes muettes (l’histoire y est encore racontée à l’aide de sous-titres), on peut entendre, ici ou là, quelques chansons qui serviront de signatures à cette première comédie musicale cinématographique des temps modernes : Toot Toot Tootsie, de Dan Russo et Ernie Erdman, My Mammy, de Walter Donaldson, Sam Lewis et Joe Young et Blue Skies, d’Irving Berlin.

Malgré la polémique engendrée par le film (le maquillage d’Al Jolson était considéré comme raciste), The Jazz Singer allait faire école en unissant l’univers de Broadway et ses comédies musicales avec Hollywood et ses fresques aux décors grandioses… Ironie du sort, malgré la portée médiatique du film, Al Jolson, le ‘roi de Broadway’, n’aura même pas droit à son étoile sur les trottoirs de Hollywood.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 07/2012)

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