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CHANSON

COMMENT DEVENIR CHANTEUR AUJOURD’HUI ?

« Chanter c’est lancer des balles / Des ballons qu’on tape / Pour que quelqu’un les attrape. » fredonnait il y a quelques années Alain Souchon. L’image est belle, mais pour qu’un chanteur puisse de nos jours les lancer, il doit être prêt à se battre, à être sans scrupules…


HIER ENCORE… LE RÊVE DE DEVENIR CHANTEUR

Fini le temps où les producteurs et imprésarios découvraient au hasard d’une soirée un inconnu, un « Aznavour » ou une « Barbara » qu’ils faisaient signer seulement par intuition. Dans les années 50/60, il n’y avait ni loi ni système, mais aujourd'hui une logique s’est installée, une logique qui ressemble à n’importe quelle industrie, et qui force deux univers très différents à cohabiter : celui de la création musicale et de la rentabilité.

Lancer un artiste coûte de plus en plus cher, et face au marasme actuel et aux incertitudes des carrières artistiques, l’industrie est devenue frileuse. Cette crainte se traduit par une attitude conservatrice. Conséquence : les signatures se font plus rares d’où une raréfaction de nouveaux talents. D’une façon générale, l’artiste a moins de temps pour émerger. Le pluralisme ne trouve plus sa place et la marginalité s'estompe.

La situation des chanteurs est désormais la même que dans le cinéma. Le 7e art crée des modes et mise à fond sur des films évènements dont tout le monde a entendu parler avant même la sortie du film. Le but de la manœuvre est de gagner des parts de marché, peu importe alors la « brutalité » de la mise en scène et de son coût si l’opération promotionnelle est rentable.

Les services marketing décident. Soutenir des artistes trop bizarres ou affichant une trop forte personnalité : non merci ! Les majors ont besoin d’artistes, mais des artistes qu’ils peuvent modeler à leur convenance. Comme disait Juliette Gréco : « Nous sommes des produits et j’en suis un, moi aussi. Seulement, j’emmerde tout le monde. Il en a toujours été ainsi. Les gens de ma génération – Barbara, Ferré, Brassens, Brel, Reggiani, ceux d’hier et ceux qui continuent de chanter aujourd’hui – ont un caractère un peu spécial : tous ont à l’intérieur d’eux-mêmes quelque chose qu’ils ont envie de dire et de défendre. Nous, on a fait ce métier comme des artisans de luxe, même quand on était très misérables. » (1)


AUJOURD’HUI PEUT-ÊTRE, MAIS AVEC DISCIPLINE

Ne soyons pas niais. Dans des caves ou dans des locaux équipés répètent des chanteurs, des musiciens, des groupes qui produisent de la musique des années passées et d’aujourd’hui, mais aussi des musiques tournées vers l'avenir, avant-gardistes et audacieuses. Seulement, pour des raisons que le hasard ignore, ces artistes demeureront de parfaits inconnus et disparaîtront avant même d’avoir existé médiatiquement. Jean-François Kahn : « Qui décide désormais de ce que le public a le droit d’entendre ? Les objectifs, d’abord économiques, sont sous-tendus par la nécessité d’une diffusion maximale… Léo Ferré, aujourd’hui, est impossible. Francis Lemarque exclu. Bobby Lapointe, impensable. Fréhel ou Damia n’auraient eu aucune chance. Piaf, à peine. » (1)

Les artistes d’aujourd’hui sont devenus plus pragmatiques. Celui qui souhaite avoir un public s’impose une discipline rigoureuse et une connaissance poussée du milieu dans lequel il navigue : analyse du marché, cible à atteindre, choix du média favorable à déterminer au mieux les contours de sa personnalité…

À cela s’ajoute la discipline scénique. On ne vise pas l’Actor’s Studio, mais presque. Être à l’aise sur scène est essentiel. Le chanteur joue un rôle, avec ou sans casquette vissée sur la tête. Il doit se prendre en main. Il devient responsable de l’image qu’il renvoie à une époque où les médias font la pluie et le beau temps. Il préfère investir dans la nouveauté et aller de l’avant plutôt que de courir après un luxe tapageur.


DES OBJECTIFS ET DES RÈGLES À SUIVRE

Côté producteur, quelques règles commerciales précises sont suivies. Les objectifs sont souvent les mêmes. Après la signature du nouvel artiste par le directeur artistique de la maison de disques, vient le moment du choix des morceaux à mettre en avant, ensuite la scène : où, pour quand et pour combien de temps. Enfin, les médias sur lesquels on peut s’appuyer pour la promotion. Tous ces impératifs n’ont d’intérêt que dans la mesure où l’artiste a déjà un style qui colle à sa personnalité.

La radio est généralement le premier média qui est contacté. Mais le véritable impact, celui qui renverra auprès du public une image crédible de l’artiste, qui symbolisera au mieux ses valeurs demeurent encore la télévision. La promotion télévisuelle, de celle qui annonce une tournée ou une parution discographique, produit habituellement un effet positif sur le public. À tort ou à raison, la télévision vulgarise et met en confiance.

De son côté, la presse servira plus particulièrement à crédibiliser la valeur de l’artiste. Pour le public, il est essentiel de renvoyer une image claire. La promotion, les passages dans les médias doivent être cohérents… Or, avec l'arrivée d'Internet dans la course, rien ne semble moins sûr ! Les résultats obtenus en terme de clics, censés représenter la valeur et/ou la popularité de l'artiste, sont aussi étroitement liés au référencement de la page concernée, à des effets de mode et de génération. Si hier encore le chanteur partait à la conquête des médias, aujourd’hui, c’est le média qui investit et qui modèle le chanteur. Grâce au Net, on peut trouver un public, mais aussi être présent sans jamais le rencontrer. Internet ne garantit nullement la réussite. C’est bien souvent le miroir aux alouettes. Quant à la scène, elle s’est adaptée. Faire le Zénith aujourd’hui est tout juste suffisant à ouvrir la voie d’une notoriété minimale.

Conjointement à la promotion s’installe la distribution. Là aussi, de savants calculs prennent place. Une distribution en grande surface ne vise pas la même clientèle que celle que l'on rencontre à la Fnac ou chez Virgin. « Les lois du marketing veulent qu’on adapte le produit au marché. » précise un responsable commercial de la FNAC. Pourtant, l’artiste adopte fréquemment une attitude contraire, en cherchant à faire venir à lui le marché. Il se base sur son intuition et pense profondément qu’il existe un public pour ce qu’il crée.

En définitive, tous ces objectifs faussement « démocratiques » reposent aussi, et fort heureusement, sur des aléas, du hasard et de l’énergie, que l’on peut traduire par le feu intérieur. Il ne suffit pas d'appliquer quelque recette magique pour que le succès survienne. On ne demande à personne de devenir chanteur. Celui qui se lance doit être absolument convaincu que son talent apporte quelque chose de neuf ; ce qui suppose de sa part une grande capacité à prendre des risques, à oser dans un domaine dans lequel le marketing demeure impuissant.

Elian Jougla (Cadence Info - 02/2014)
(1) Source : L'expansion


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