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MUSIQUE DE FILMS

FRANÇOIS DE ROUBAIX, UN COMPOSITEUR FACE À L'ÉCRAN

À côté de ses classiques que sont Dernier Domicile Connu, La Scoumoune, Le Samouraï, Les Aventuriers ou Le Vieux Fusil, tous de grande valeur, il reste évident que pour celles et ceux qui apprécient la musique de film, François de Roubaix demeure encore, par son approche, un réformateur du genre plus de 40 ans après sa disparition.


UN COMPOSITEUR ATYPIQUE

Ce musicien autodidacte a imprimé de ses mélodies et orchestrations tout un pan du cinéma populaire. Aujourd'hui encore, son œuvre conserve un potentiel et une modernité sans âge. Dans nombre de ses compositions, François de Roubaix a rarement adopté une position formelle, académique, pour tout dire conventionnelle. Chez lui, le développement mélodique s'accompagne souvent de subtils détails qui se glissent imperceptiblement dans les orchestrations pour aiguiser l'oreille de l'auditeur. À titre d'exemple, le film Le Samouraï, dans lequel le jeu des silences et l'économie des moyens personnifient la trame dramatique qui accompagne le tueur Jef Costello (Alain Delon). Autre musique, autre ambiance, pour le générique du film La Scoumoune, avec l'emploi d'une instrumentation atypique servant d'appui à une mélodie mélancolique. Tout semble évident. Toutefois, rien ne l'est moins !

C'est fréquemment dans un cortège sonore insolite que sa musique prend une autre dimension. Chez ce musicien touche-à-tout, rien ne paraît désuet. De Roubaix imposera, à travers une cinquantaine de BO pour le cinéma (sans compter les musiques de court-métrage et un nombre considérable de génériques pour des séries télévisées), un désir constant de fabriquer du neuf, ce qui exclut, de façon manifeste, le recours à la facilité. Dans sa musique, il existe de l'ambition, et présenter de l'ambition, c'est savoir saisir de temps en temps les chemins de traverse.

L'époque dans laquelle sa musique grandit, les années 1960/1970, s'accompagne d'une révolution technologique dont encore peu de compositeurs prennent consciences. La science du son, d'abord, prend les devants, avant même de concevoir le cadre formel de l'autoproduction qui fera de François de Roubaix l'un des premiers artisans, du moins en France. Une dizaine d'années lui auront suffi pour explorer tout un nouveau champ de sonorités et de possibilités techniques.

Quand on évoque cet esthète de la musique, il faut notamment s'attacher à sa démarche artistique. De Roubaix conçoit très tôt, tout comme Vangelis, autre musicien autodidacte, que le plus sûr moyen de personnaliser une musique consiste préalablement à garder le contact avec le connu, avec la dimension « respectable  » de la musique, avant de tout passer à la moulinette en jouant de la plupart des instruments. Dans la forme, la plupart de ses musiques conservent une approche conventionnelle, dans la lignée d'un Ennio Morricone, par exemple. Sans être totalement avant-gardistes ni provocantes, ses compositions conservent néanmoins une forte identité grâce à l'emploi d'une instrumentation audacieuse, parfois inhabituelle et faisant appel à toute une panoplie d'instruments acoustiques et électroniques.


DERNIER DOMICILE CONNU(1970)

AUTOPRODUCTION ET EXPÉRIMENTATION EN HOME STUDIO

Dans son home studio de la rue de Courcelles, le musicien inventait des mélanges sonores aux pouvoirs magiques, du carillon de manège aux bruitages humoristiques, du trombone soliste au piano bastringue, des percussions exotiques au sifflement. Quelques années avant que prolifère le concept du home studio, le précurseur De Roubaix connaissait déjà cette autonomie à vivre la musique en toute liberté. Outre les moyens accordés par l'enregistrement multipiste, il convient d'ajouter l'utilisation des synthétiseurs, dont le contour novateur était encore rejeté par de nombreux compositeurs de musique de films.

Dans ce domaine, les années 1970 seront décisives, la musique électronique prenant une part conséquente dans sa production. Tout comme son homologue Grec, De Roubaix plongera avec passion dans le dédale sonore produit par les premiers outils analogiques. Le sampling n'existe pas encore, mais grâce à son ingéniosité, il réussit quelques tours de force en procédant comme un chercheur de laboratoire.

Passionné de plongée sous-marine, il est alors question de retranscrire cet univers qui, au bout du chemin, provoquera sa perte. Ce n'est pas la musique du Grand Bleu, d'Eric Serra, c'est autre chose. De Roubaix exprime à sa façon le désir de retrouver les sons aquatiques et la solitude des grands fonds tels qu’il les entendait. De cette volonté surgira L’Antarctique en 1974, une musique de documentaire destinée à illustrer un des films du commandant Cousteau. Mais l'explorateur océanographique ne possède pas « l'oreille d'Or  » et le compositeur obtient une fin de non-recevoir. Pour la première fois, De Roubaix comprend que sa musique est refusée pour ne pas avoir été assez conventionnelle.

Ce genre de refus arrive à bien d'autres compositeurs de talent, mais chez François de Roubaix, ce sera le signe évident que son appel à vouloir faire vivre la musique électronique n'est pas encore parvenu à maturité. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé diverses ouvertures, comme en témoigne cette autre tentative en autoproduction, vraiment formidable, que l'on peut entendre dans le film Les Anges (1973). Le musicien s'y livre avec tout son talent dans un étonnant mano à mano avec le jeu débridé de quelques percussions, les doigts posés sur les touches du piano. Avait-il ressenti que l'avenir de la musique se jouait là, aux frontières de l'acoustique et de l'électronique ? Nous ne le saurons jamais. Mais il est certain que s'il avait survécu à la plongée sous-marine (une passion qui l'emporta à 36 ans), il aurait certainement honoré sa carrière de nombreuses réussites. Comme en douter, d'ailleurs ?


LES ANGES (1973)

Pour pénétrer correctement l'univers du compositeur, il est essentiel de saisir la ligne conductrice de la plupart de ses BO, souvent contrastée, comme en témoigne Dernier domicile connu (1970), qui passe de l'orgue à l'orchestre jusqu'à la guitare acoustique. De Roubaix jouait fréquemment sur les contrepoints sonores pour souligner sa différence. Cette vision toute personnelle se retrouve aussi dans sa dernière musique de films, Le vieux fusil (1975), dans lequel Julien Dandieu (Philippe Noiret) exprime son chagrin insoutenable, sa part de bonheur perdu face à l'assassinat de sa femme (Romy Schneider) et de sa fille par des soldats SS. De Roubaix, ne vise pas alors prioritairement l'aspect dramatique. Il produit au contraire une partition musicale légère servant de contrepoint à la violence des images, comme une parenthèse nécessaire.

François De Roubaix avait compris qu'il était parfois nécessaire de prendre de la distance avec le sujet pour que la musique ne demeure pas l'esclave des images. De plus, son indépendance artistique et son autonomie à concevoir lui avaient permis de transfigurer l'usage des instruments les plus courants comme les plus insolites. Sa virtuosité lui a ainsi permis de se frotter à des instruments aussi divers que l'ukulélé, l'ocarina, la flûte de pan et le sitar, sans compter les percussions, la guitare, le trombone, le piano et les synthétiseurs (j'en oublie, sans aucun doute). Cette soif, d'affronter et de s'affronter aussi, se retrouve de la même façon dans les courts-métrages (La couleur de la mer de Gilles Behat, Le Gobbo, qu'il avait réalisé en 1969...), les séries télévisées qu'il a pleinement servies (Les secrets de la mer Rouge, Les chevaliers du ciel...), sans compter les émissions pour la jeunesse (Chapi Chapo, Pépin La bulle...).


LE MONDE ÉLECTRONIQUE DE FRANÇOIS DE ROUBAIX (album complet)
Successivement des extraits des films La Scoumoune, La Mer est grande, R.A.S, L'Antarctique, Le Jardinier fou suivis de quelques maquettes inédites.

À notre époque, le témoignage de son parcours artistique se retrouve livré en cadeau partagé sur Internet, et l'on constate que le compositeur est loin d'avoir été oublié. C'est certainement sa vision atypique de la musique à l'image qui retient toute l'attention. Ses belles mélodies nostalgiques, simples et efficaces, ses errances sonores et son brin de folie n'ont jamais cessé de vivre, et on ne peut que s'en réjouir. D'ailleurs, quelques compositions proches du "lounge" servent de temps en temps d'interlude, la nuit, sur France Info et d'autres stations. Cet amateur de sport extrême incarnait idéalement l'artiste aventureux et audacieux. Un compositeur prolifique également. Son parcours a été à l’image des années qu’il a connues, condensées, pleines d'énergie et de surprises. Aujourd'hui, la musique n'a pas encore trouvé de porteur de flambeau pour lui succéder, et l'on peut sûrement le regretter. Une question d'époque, sans doute !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 11/2023)

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On doit à ce musicien autodidacte quelques musiques de films célèbres comme 'Le Vieux Fusil' et 'Le Samouraï'. Son portrait est suivi de sa filmographie et d'un interview.


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