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VANGELIS PAPATHANASSIOU : PORTRAIT GRÉCO-ROCK DU COMPOSITEUR

Il fut un temps où le compositeur grec Vangelis incarnait la musique électronique dans ce qu’elle avait de plus innovant, de plus stimulant. Nous naviguions aux confins des années 70/80, à une époque où chacun de ses albums nous transportait par la pensée bien au-delà de notre cadre existentiel exigu… En 1981, Alain Dister, photographe et auteur de nombreux ouvrages consacrés à la musique rock, avait dressé un portrait très imagé du célèbre claviériste en lui rendant visite au cœur de son fatras de matériel électronique, à Londres, non loin d’Hyde Park. Voici de larges extraits de ce témoignage…


VOYAGE AU CŒUR D’UN STUDIO D’UN AUTRE TEMPS

La première fois que j’ai déboulée dans son studio, ça m’a fait un choc. Je n’avais jamais vu autant de claviers empilés dans tous les coins, à l’usage d’un seul homme. D’extérieur, ça ne payait pas de mine : une ruelle derrière Marble Arch, dans un quartier de fringues et de grands magasins. L’entrée avait l’air d’un garage, le genre à vous envoyer au fond d’un couloir entre des piles de cartons, dans l’odeur rance de la mécanique qui trempe dans la graisse. Et puis, au sommet d’une volée d’escaliers, une porte blindée, vaguement sinistre. Et au-delà… la caverne d’Ali Baba en personne, tout ce que n’importe quel flippé de musique a toujours rêvé de voir un jour chez lui, étalé devant ses yeux, multiplié par dix, cent. Avec d’abord, la console, le 24-pistes et tous les bazars pour enregistrer. Et juste derrière une vitre, les premiers monstres : le grand synthé Yamaha, le même que celui de Stevie Wonder, les Korg, Crumar, Roland, Fender, Moog, AKS, Prophet, tous au rendez-vous, impeccablement alignés ou superposés. Ce n’est pas possible que dix doigts seulement viennent caresser toutes ces touches ! Et pourtant…

Vangelis se promène, gigantesque, Zeus descendu de son Olympe natal, au milieu de ses trésors. Pour exciter l’oreille du visiteur – ou sa jalousie -, il titille un clavier de temps à autre, démontre les dernières ressources de tel ou tel, bref, fait joujou, comme si la musique ne devait jamais être autre chose qu’un jeu, une danse légère où nymphes et satyres se font des agaceries dans un décor champêtre.

Vangelis, c’est plutôt la faune, la bête puissante qui règne sur le petit peuple des bois et des rivières. Et quand les subtilités harmoniques des orgues commencent à le lasser, il n’a qu’à faire quelques pas pour taper sur la plus invraisemblable collection de percussions réunie dans un si petit espace : des gongs, des tambours, des tympanons, des batteries, des bongos, tout ce qui a permis à l’homme de rythmer ses festivités, en Chine, en Afrique, en Europe, et peut-être même sur la planète Mars.


VANGELIS OU L’INDÉPENDANCE MUSICALE ASSURÉE

La musique s’est emparée de Vangelis sur le coup de ses quatre ans. Compréhensifs et attentionnés, ses parents décident de lui offrir les services d’un professeur, que le déjà bouillant Athénien renverra à ses tablatures le plus promptement du monde : « J’ai toujours senti qu’on ne devrait jamais emprunter le savoir aux autres. C’est l’expérience et le développement personnel qui comptent, qui sont d’une importance cruciale. ». Alors, le petit Vangelis plonge avec délices dans tout ce qui n’est pas très académique…

Au début des années 60, il monte son premier groupe pop : Formynx. Avec le mélange des cultures, cela va donner naissance à tout un courant spécifiquement gréco-rock et le groupe va devenir une gloire locale énorme. Il va remplir les stades, juste avant de décider, vers 1968, qu’il va faire autre chose. Avec Demis Roussos, Vangelis crée Aphrodite’s Child, mais alors qu’ils doivent s’embarquer pour l’Angleterre, les voici coincés en France à cause des événements de Mai 68. Qu’importe : le groupe récolte le succès là où il se trouve, grimpe à l’assaut du hit-parade, avant de se séparer, pour cause de bisbilles entre Demis et Vangelis, pas vraiment d’accord sur la démarche musicale. L’un est trop pop, l’autre trop romantique. Vangelis reste quand même encore un moment en France, travaille avec Frédéric Rossif pour qui il écrit la musique de L’apocalypse des animaux.

Ce grand coup lui vaut d’établir sa réputation à son compte, sans références au passé d’Aphrodite. Mais il en a vite ras le bol de Paris, de l’univers étriqué des musicos. Et en 1975, il part pour Londres, monte son studio avec les royalties accumulées au cours des six dernières années et sort toute une tripotée de disques qui sont, chacun dans leur genre, une facette particulière du bonhomme – tantôt intellectuel épris de recherche (Beaubourg), tantôt esprit curieux pour les musiques lointaines, les structures mal connues dans nos régions (China), ou encore résolument pop, mais damant tout de même le pion à notre cher Jean-Michel Jarre sur le simple plan de l’onirisme, du souffle épique (Spiral, See You Later).


VANGELIS, UNE MUSIQUE INTRA-UTERINE

En grattant un peu, en chicanant, pinaillant, ergotant, on pourrait trouver dans la musique de Vangelis Papathanassiou tous les éléments agaçants du planant à base de synthés, le jus de Tangerine, l’eau de Schultze, douceâtre jusqu’à l’écœurement. Il y a de l’inévitable dans ce genre de piège, une fascination pour des sons qui ont depuis longtemps remplacé la berceuse de maman-gâteau. On plane au milieu intra-utérin, et pour peu qu’un léger battement vienne rythmer l’extase, c’est tout le cœur de la mère qui donne souffle de vie, et donc de bonheur, au fœtus qu’on aurait aimé rester. Les gens comme Vangelis savent cela, plus ou moins consciemment.

Les arnaqueurs sans scrupules, les faiseurs de disco servent la soupe sans une once de sel d’imagination. Vangelis, ô joie, a tout de même essayer d’improviser sur la recette, de ne pas rester planté dans le succès de Rain and Tears, de donner à sa musique autre chose qu’une dimension apaisante comme substitut du divan de psychanalyste. Chez Vangelis apparaît la notion, parfaitement étrangère d’ailleurs, de la fête « dionysiaque », puisque notre homme est grec. Il a retrouvé les rythmes des danses traditionnelles (rituels venus du fin fond des âges Indo-européens, où justement la danse, expression de la vie, reproduit ses rythmes symboliquement et donc rejoint plus ou moins toute cette histoire de battements de cœur et de plaisir liquide).

Vangelis joue avec ses propres racines, enveloppé dans son manteau d’Olympe, tout à tour satyre – il en a bien la tête, le bougre, mais pas au sens de séducteur de petite fille, plutôt à l’image du grand dieu Pan, expression des forces vives de la nature, musicien et homme de cour, de distraction princière, héros transmettant le message aux foules du stade, le genre de situation qu’il a immédiatement vécue en Grèce, à la glorieuse époque de son premier groupe.

Et puis, il y a ce désir de tout faire, ce côté « bricolo » de génie, avec magnétos, consoles, bazar électronique. En grec ancien, le technicien et l'artiste sont un seul et même individu. Technos, c'est l'art. Pas de délégation, de pouvoir, ni d'échelle de classe. L'homme est habile de ses mains, et il crée. De la poterie, des statuettes de Tanagra ou, s'il a le génie de Phydias, les géants des temples, supra-humains.

Au bout des doigts de Vangelis, énormes et en forme de spatules, il y a toute la Grèce, un monde immuable malgré les siècles ou les millénaires de déchirement. Un monde de voyageurs, aussi. Et, comme les Argonautes, il a mis les voiles, en emportant avec lui son ciel, ses dieux, ses nymphes. Parfois, un grand lambeau de brume anglaise traverse l'azur d'un synthé. À moins que ce ne soit la plainte d'un amour déchiré, nouvelle blessure ou vieille cicatrice toujours prête à se rouvrir. Vangelis est instable, affectivement. Comme disait une des femmes de Picasso : « C'est dur de vivre avec un monument historique. ». Alors, de rupture en jeune amour, la sensibilité reste en éveil, le cœur vit ; et la musique s'enrichit…

par Alain Dister (1981) - Visiter le site d'Alain Dister


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