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JEAN-MICHEL JARRE, OXYGÈNE ET LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE

Le disque a fait le tour du monde. De cet album a démarré la carrière de Jean-Michel Jarre. Entouré de tout un tas de claviers devenus aujourd’hui vintage sans oublier la boîte à rythmes aux sonorités typiquement analogiques, cet ancien élève de Pierre Schaeffer lançait en 1976, Oxygène, un disque venu au bon moment pour secouer une musique électronique en quête d’identité…


OXYGÈNE, LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE VULGARISÉE

Grâce au disque Oxygène, un tout nouveau souffle musical entrait chez l’habitant. Titre prémonitoire pour un consommateur lambda qui découvrait les premières chansons discos chères à Cerrone et la voix lourde et pesante de Barry White. Le grand mérite de ce disque est d’être entré par la grande porte à une époque où la simple vue de l’étiquette « musique électronique » faisait rebrousser chemin.

Jarre a réussi à vulgariser les sons électroniques de l’époque en les rendant audibles, sans y rattacher des notions purement expérimentales. De bout en bout, la musique reste simple, plaisante, mélodieuse, finalement accessible ; tout l’inverse des recherches musicales électro-acoustique qu’avait pourtant fréquenté un temps le compositeur, le bien nommé GRM, le Groupe de Recherche Musicale. Or, Jarre est avant tout un mélodiste, un de ces auteurs qui concilie à la musique des contours apaisants et communicatifs. Dans Oxygène, les structures sont identifiables, souvent plus proche de la chanson avec son refrain que du pur instrumental avec sa ligne mélodique évolutive qui vous conduit on ne sait où.

Jean-Michel Jarre était taillé pour cette route-là. De prime abord, on aurait tort de penser que la figure paternelle, Maurice Jarre, illustre compositeur de musique de films (Docteur Jivago, Lawrence d’Arabie…) y était quelque part pour quelque chose. Le fils avait fait ses propres choix en toute indépendance, d’autant plus que le divorce de ses parents quand il n‘avait que 5 ans et l’éloignement du père parti faire carrière aux États-Unis laissaient peu de place à une quelconque influence artistique patriarcale !

En parallèle à des études de lettres, c’est d’abord vers le piano que Jean-Michel Jarre s’oriente. Il l’apprend au Conservatoire de Paris, ce qui ne l’empêche nullement de prendre sa guitare électrique pour jouer dans quelques groupes de rock. Toutefois, sa rencontre avec Pierre Schaeffer va provoquer en lui des orientations musicales d’un tout autre genre et surtout moins académique.


JEAN-MICHEL JARRE, DE LA MUSIQUE EXPÉRIMENTALE AU SUCCÈS PLANÉTAIRE

Nous sommes en 1968, et le GRM porte bien son nom : "Groupe de Recherche Musicale". Dans ce lieu, c’est l’expérimentation qui prime, mais c’est aussi un espace dans lequel on côtoie des « outils magiques » et des techniques qui ne ressemblent vraiment pas à l’image que l’on se fait du compositeur. Outre les synthétiseurs - qui sont encore des machines obscures pour le commun des mortels -, le compositeur s’arme aussi d’une paire de ciseau pour couper ici où là le bout de bande qui dépasse ou qui est en trop. C’est une image, certes caricaturale, bien que dans les faits cela se pratiquera parfois, vu que le numérique n’est pas encore né !

JEAN-MICHEL JARRE : OXYGÈNE (Part IV)

Le jeune Jarre apprend au contact de cet environnement étrange, mais ses envies sont déjà ailleurs, tournées vers l’extérieur et une musique plus communicative. Au début des années soixante-dix, le voici créant déjà des musiques pour différents formats : album, B.O de film, générique pour la télévision… Il osera même les chemins de traverse en écrivant discrètement quelques paroles de chansons devenues aujourd’hui des classiques : Les mots bleus de Christophe, Où sont les femmes ? de Patrick Juvet. Ces chansons lui ouvrent des portes, mais personne ou presque ne s’attend à le revoir à la tête d’une armada de synthétiseurs pour lequel la conception et tout le fondement d’un album reposent. En France, la parution d'Oxygène, imprimera les esprits ; c’est le premier témoignage réussi d’une pure musique électronique qui vulgarise sans abâtardir l’auditeur. Oxygène étonne et éclaire l'esprit du mélomane.

Le succès est planétaire et l'album se vend à douze millions d'exemplaires dans le monde. Sur ce disque, le musicien ne se cache pas. Le dos de la pochette le montre posant sagement, bien qu’on l’imagine enfermé dans son studio, entouré de ses claviers fétiches ; des instruments qui faisait rêver la plupart des claviéristes d’alors : ARP 2600, AKS, EMS VCS3, RMI Harmonie, orgues Farfisa et Eminent, Mellotron, boîtes à rythmes Korg Minipops 7.

Oxygène est un album concept qui déroule ses six parties, chacune s’enchaînant aux autres. Le monde sonore de Jarre a déjà pris forme. Les compositions jouent avec les nappes profondes, les quelques accents insolites qui libère le bruitage pour que celui-ci ne soit pas seulement un bruit, mais une composante signifiante de l’œuvre. Point de voix ou d'instruments acoustiques, et si tout le monde remarque cela, personne ne s’en plaint. Même la boîte à rythme et sa pulsion mécanique ne troublent en rien les oreilles des auditeurs. Oxygène, pur bijou instrumental, se paiera même le luxe de sortir un single (Part IV) pour animer les dancefloor, les émissions de radio et autres documentaires télévisés.

Oxygène, grâce à sa grande variété de claviers utilisés et sa richesse mélodique, provoquera l'essor du synthétiseur, instrument alors méprisé, voire ridiculisé. C'est pourtant grâce à l'impact de l’album Oxygène, qu’en France, une nouvelle vision de l'art musical populaire allait prendre forme tout en se démarquant des autres courants traditionnels comme le rock, le jazz ou le classique. À travers cet album, Jean-Michel Jarre a construit un lien invisible entre une musique électronique d’avant-garde (celles de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry) et une french touch qui verra le jour plus de vingt après (celle de Daft Punk et de Air).

On a beau dire, ce crâne implanté dans la planète bleue qui orne la pochette - signée Michel Granger - aura, en son temps, fait couler beaucoup d’encre. Son contenu trop convenu pour certains ou trop commercial pour d’autres n'annonçait certainement pas l'arrivée quelques mois plus tard d'un autre univers, celui-ci plus contestataire : le punk. Malgré tout ce qui a été dit, ses six plages marquent le début d’une carrière annoncée, celui d'un artiste hors norme qui confirmera sa singularité à travers les disques qui suivront, mais surtout à travers ses spectacles pharaoniques.

Jean-Michel Jarre - Oxygène
Motors/Polydor, 1976

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2017)


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