L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
MUSIQUE DE FILMS

JERRY GOLDSMITH, 'LA PLANÈTE DES SINGES' ET SA MUSIQUE AUDACIEUSE

Le film La planète des singes est entré dans l’histoire du cinéma, non seulement à cause de l'adaptation remarquable du roman de Pierre Boule par Franklin J. Schaffner, par la transformation physique des acteurs et de leur incroyable maquillage, mais aussi à cause de la contribution musicale révolutionnaire de Jerry Goldsmith qui sera acclamée par la critique et nominée à un ‘Academy Award’…


LE FILM 'LA PLANÈTE DES SINGES'

Ce film d’anticipation et d’exception (en montrant pour la première fois le règne animal dominateur de l’homme) raconte l'histoire d'un équipage d'astronaute qui s'écrase sur une étrange planète. Bien qu’au premier abord la planète semble désolée, les membres de l'équipage survivants découvrent une société dans laquelle les primates ont évolué jusqu'à se voir dotés de la parole humaine. Devenus des espèces inférieures, les humains sont alors traités en esclaves soumis et muets…

Librement inspiré du roman de Pierre Boulle, La Planète des Singes, le grand défi de son adaptation sur grand écran est de rendre crédible des hommes déguisés en « gorilles », de les rapprocher de l’animal tout en pondérant ses attitudes et déplacements, de façon à laisser croire que son évolution morphologique lui a permis d’être presque aussi grand, du moins en taille, que les 1,9 m de l’astronaute George Taylor (Charlton Heston).

Déviant du roman original, le film pose la question du rapport des hommes entre eux, de leur conviction de supériorité vis-à-vis du règne animal, du rapport avec la nature, et surtout de sa dangerosité en ayant détruit sa propre civilisation et sa planète (l’astronaute George Taylor (Charlton Heston) sous-entendant à la fin du film la bombe atomique).

Affiche du film

Outre le sujet captivant du film, la réussite de La planète des singes est aussi due au jeu mesuré des acteurs (Roddy McDowall, Kim Hunter, Maurice Evans) et au maquillage de John Chambers aussi audacieux que crédible. Le succès sera tel qu’il suscitera à sa suite une saga cinématographique composée de quatre autres épisodes tournés entre 1970 et 1973 : Le Secret, Les Évadés, La Conquête et La Bataille. Des films moins « surprenants » que le premier volet, mais qui n'empêcheront pas la télévision de créer à son tour une série en 1974 où l'on retrouve notamment l'acteur Roddy McDowall, le rare rescapé de la série cinématographique.

En 2001, La planète des singes ressurgit sur grand écran avec cette fois Tim Burton à la réalisation. À sa sortie, le film est un fiasco, mais la Fox ne désespère pas de donner une suite ; suite qui interviendra dix ans plus tard avec Les origines, réalisé par Ruppert Wyatt, et inspiré par La bataille de la planète des singes. Ce dernier opus sera doté de la technique dite « motion capture » qui permet de faire glisser un acteur dans un personnage entièrement numérisé.


THE SEARCHERS

LA MUSIQUE DE ‘LA PLANÈTE DES SINGES’

La musique du film est confiée à Jerry Goldsmith. En 1968, le carnet de commande du compositeur est déjà fort bien rempli : un western (Bandolero, avec Dean Martin et James Stewart), un policier (Le détective, avec Frank Sinatra) et une comédie dramatique (Les filles du code secret,avec Dick Bogarde et Susannah York). Malgré l’expérience acquise depuis sa première BO composée en 1957 (L’homme au bandeau noir), Goldsmith n’est pas vraiment préparé à affronter le terrain si particulier de la science-fiction.

L’ancien disciple de Miklós Rózsa, passionné par l’âge d’or de Hollywood s’était fait remarquer deux ans plus tôt pour avoir signé la partition de La canonnière du Yang-Tsé (1966). La planète des singes lui offre l’opportunité de collaborer pour la seconde fois avec le metteur en scène Franklin J. Schaffner, cinq ans après le film Les Loups et l’agneau (1963).

Pour ce film d’anticipation, le compositeur n’a d’autre choix que de se démarquer de ses anciennes productions musicales. Prenant tous les risques, Goldsmith compose une bande originale dont l’orientation est avant tout expérimentale. Les différents thèmes du film sont percutants, déstructurés et dissonants, utilisant si nécessaire le principe du dodécaphonisme.

À travers des dédales harmoniques, Goldsmith utilise des orchestrations minimalistes, mais extrêmement structurées et complexes. On songe alors à Béla Bartók et à Igor Stravinsky, dont l’influence musicale au cours du 20e siècle a souvent rebondi au cinéma chez les compositeurs les plus impertinents, dont Jerry Goldsmith qui n’a jamais caché son admiration envers ces deux compositeurs.

Plusieurs thèmes significatifs illustrent la BO. Dès le début du film, sa partition d'avant-garde doit renforcer l'idée que la planète foulée par les astronautes est une terre inconnue, hostile, déserte. La musique doit échapper aux poncifs du genre en ne faisant aucunement appel à des instruments électroniques. Goldsmith utilise alors le plus souvent des percussions dissonantes qu’il mélange astucieusement à des flûtes, des cors où à des lignes de basse jouées au piano.

Pour The Searchers, Jerry Goldsmith crée une vision apocalyptique effrayante à travers des cordes pincées, un glissement de basse et une multitude de sons métalliques. Le but est d’illustrer la lente progression des astronautes sur le sol d’une planète dont ils ignorent encore que ce n’est autre que la Terre, des siècles plus tard. L’équipage conduit par Taylor (Charlton Heston) traverse des paysages désertiques jusqu’à leur première rencontre avec les primates...

Vient alors l’inquiétant The Hunt, illustrant la chasse à l’humain. Pour l’illustrer, le compositeur applique une formule orchestrale aussi efficace que les maquillages du génial John Chambers, en utilisant une corne à bélier – censé renforcer l’idée de la chasse par des « gorilles » à cheval – et un cuica, dont les effets sonores se mêlent aux cris des humains pourchassés.

THE HUNT

Autre ambiance avec No Escape où Goldsmith utilise un piano (courtes lignes de basse) qu’il accompagne de tambours, d’un güiro, de cuivres, de flûtes et de cordes avant que l'orchestre tout entier atteigne son point culminant au moment où Taylor est capturé et accroché tel un animal sauvage.

La musique composée par Goldsmith est extrêmement nuancée. Dans un registre plus léger, elle introduit à l’occasion quelques motifs de flûtes soutenues par d’amples mouvements de cordes, un sage habillage qui contraste avec l’illustration d’autres scènes plus cauchemardesques. La bande sonore s’achève avec The Revelation, quand Taylor et sa compagne Nora, après avoir traversé la « zone interdite », découvre la Statue de la Liberté à moitié enterrée.

© MGM - La scène finale


UNE PARTITION AVANT-GARDISTE

Remarquable par son écriture ciselée et fourmillant d’ingéniosité, la musique de Goldsmith aurait été impossible à déchiffrer sans l'examen approfondi de ses partitions, ce qui a permis de relever le rôle joué notamment par les cordes (utilisation des harmoniques, diverses techniques d'archet), les cors (inversion des becs) et certaines percussions.

Les points forts de l'instrumentation livrée par Jerry Goldsmith privilégient les instruments de percussions. Le xylophone, le vibraslap (instrument en forme de « U » composé d'une boule de bois qui vient frapper une caisse de résonance), le cuica (tambour brésilien avec une tige insérée au milieu qui, en frottant, imite des cris d’animaux) et le angklung (instrument indonésien en bambou) servent à ponctuer un certain nombre de scènes, dont la fuite de Taylor dans la 'Cité des singes' et la séquence des fouilles archéologiques. L'ingrédient final revient à des bols en acier provenant de la cuisine de Goldsmith, de son propre aveu. Son seul « artifice électronique » sera l’utilisation de l’Echoplex employé pour créer essentiellement les effets d'écho des cordes pizzicato (Goldsmith réutilisera ce moyen dans la BO du film Patton avec une trompette, mais aussi dans les films Tora! Tora! Tora! et Alien).

Par Elian Jougla (Cadence Info - 06/2020)


NEW IDENTITY

LES TITRES DE ‘LA PLANÈTE DES SINGES’ (version intégrale 1996)

  • 01. Twentieth Century Fox Fanfare
  • 02. Main Title
  • 03. Crash Landing
  • 04. The Searchers
  • 05. The Search Continues
  • 06. The Clothes Snatchers
  • 07. The Hunt
  • 08. A New Mate
  • 09. The Revelation
  • 10. No Escape
  • 11. The Trial
  • 12. New Identity
  • 13. A Bid for Freedom
  • 14. The Forbidden
  • 15. The Intruders
  • 16. The Caven
  • 17. The Revelation, Part 2
  • 18. Suite from Escape from the Planet of the Apes

À CONSULTER

'BANDES ORIGINALES', LA MUSIQUE DE FILMS VUE À TRAVERS SES PÉRIPÉTIES (LIVRE)

Écrit par Thierry Jousse, le livre 'Bandes Originales - B.O. ! Une histoire illustrée de la musique au cinéma' - aborde de long en large l'histoire de la musique de films à travers ses paradoxes, ses réussites et ses difficultés. Cet ouvrage de près de 300 pages s'accompagne de portraits de compositeurs français et internationaux, ainsi que de précieux documents photographiques.

PORTRAIT DU COMPOSITEUR JERRY FIELDING

Spécialiste durant les années 70 des musiques de films d'action, le compositeur Jerry Fielding commença sa carrière dans le cinéma à l'âge de 40 ans et a travaillé tout particulièrement avec Sam Peckinpah et Michael Winner.



RETOUR SOMMAIRE 'MUSIQUE DE FILMS'
FB  TW  YT
CADENCEINFO.COM
le spécialiste de l'info musicale