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INSTRUMENT ET MUSICIEN


LA HARPE ET SON HISTOIRE, DE LA TECHNIQUE AU JEU SUR L'INSTRUMENT

Dans les médias, l’instrument fait peu parler de lui, pourtant il est là au détour d’une œuvre classique, d’une musique de film ou au sein d’un groupe de musique traditionnelle. La harpe, quelle que soit le modèle, transmet sa sonorité délicate et magique depuis la nuit des temps…


CONTEXTE HISTORIQUE DE LA HARPE : LA DÉLICATESSE DES CORDES PINCÉES

Les instruments à cordes pincées remontent en des temps très anciens. On trouve des représentations de diverses lyres et harpes dans l’art égyptien et sumérien datant de quatre ou cinq mille ans. Pour les historiens, la première harpe est sans doute la ‘harpe cintrée’, dérivée de l’arc musical. Un autre modèle postérieur, la ‘harpe angulaire’, possédait plus de cordes, mais celles-ci étaient moins tendues.

© pxhere.com

Du temps de l'Antiquité, le philosophe Platon incite les Grecs à renoncer à la harpe qu’il juge trop voluptueuse. La mythologie grecque renforcera l’idée en montrant les deux représentants de la musique et de la poésie que sont Apollon et Orphée jouer de la lyre et de la kithara. Plus tard, les Romains feront de même en utilisant ces deux instruments pour animer les fêtes et les danses.

Au 12e siècle, la harpe portative voit le jour et devient l’instrument des troubadours et des Minnesänger dans les contrées françaises et germaniques. Puis, au Moyen Âge, son utilisation se répand chez les bardes et poètes celtiques. Transmise au fil des générations, elle conserve encore aujourd’hui des traces bien vivantes en Pays de Galles et en Irlande.


LES PREMIERS PERFECTIONNEMENTS DE LA HARPE

La harpe est au Moyen Âge un instrument rudimentaire, même si la différence avec les plus anciennes diffèrent par la présence d’un renfort incurvé aux deux extrémités. Cette forme restera inchangée durant près de mille ans.

Dès la renaissance, la harpe médiévale diatonique – donc à tonalité unique – est jugée insuffisante vis-à-vis du luth ou de l’instrument à clavier, le virginal, deux instruments chromatiques. Cette différence notable dans l’utilisation limitée de la harpe diatonique pousse les facteurs à mettre au point une harpe capable d’interpréter des demi-tons. L'aboutissement d’une harpe chromatique va demander plusieurs siècles.

Un premier pas est franchi au 15e siècle. La harpe est garnie de deux rangées de cordes parallèles, un mimétisme hérité des instruments à clavier avec ses touches blanches et noires. Le compositeur Monteverdi en fera usage dans son opéra Orfeo en 1608 ; un témoignage qui installe pour la première fois la harpe au sein d’une œuvre orchestrale avec sa partie écrite.

Au 16e siècle, une expérimentation est tentée et ne durera qu’un temps : la ‘harpe galloise’. Sa particularité est d’avoir non deux mais trois rangées de cordes. Celle du milieu est réservée aux notes altérées tandis que les deux autres aux notes naturelles. Trop de cordes, et surtout trop de cordes rapprochées, rendront l’instrument très difficile à jouer.


LE CHROMATISME RECHERCHÉ ET CONVOITÉ

Vers la fin du 17e siècle, la console de la harpe est munie de crochets que l’on fixe au-dessous de chaque clé dans l’intention d‘élever la note d’un demi-ton. Si ce dispositif est astucieux, il pose le problème du jeu sur l’instrument, puisque le harpiste doit obligatoirement actionner les crochets d’une main tandis qu’il joue de l’autre (chaque crochet ne modifiant le ton que d’une seule note).

Au 18e siècle, un autre dispositif plus performant se dessine grâce aux efforts des luthiers Hockbrucker en Allemagne et de Cosineau en France : la réalisation d’une harpe dotée d’un mécanisme à sept pédales permettant de modifier l’accord sans cesser de jouer.

© Joalland - Armelle Gourlaouën, Harpiste aux 3 harpes

Tous ces perfectionnements successifs démontrent avant tout que la harpe n’est pas encore arrivée à un stade de perfectionnement technique qui lui permet d’être suffisamment autonome pour s’attaquer à n’importe quel répertoire. Son utilisation reste encore rare dans les orchestres jusqu’en 1830, même si quelques témoignages de grands compositeurs tentent de démontrer le contraire : Haendel à l’époque baroque, puis Gluck (Orphée et Euryce) et Beethoven (Prométhée).

Le stade final de l’évolution de la harpe - celle qui existe encore aujourd’hui – nous le devons au facteur de pianos Sébastien Érard qui, après plusieurs années de recherche, met au point dans les années 1810 la harpe à ‘double mouvement’.

Son principe de fonctionnement repose sur la modification de l’usage des crochets. Érard a l’idée de substituer à chacun d’eux deux disques équipés d’un bouton en saillie entre lesquels passe la corde. Ensuite, lors du jeu, la rotation des disques pince la corde entre les deux boutons. Le premier disque élève la note de la corde à vide d’un demi-ton, le second d’un demi-ton supplémentaire (chaque pédale commandant successivement la rotation des deux disques, Érard limitera leur nombre à sept).

Son neveu et successeur Pierre Érard devait enrichir la sonorité de l’instrument et ainsi permettre à la harpe de glisser du concert privé à la salle de concert. Dès lors, la harpe si bien perfectionnée allait inciter certains de ses utilisateurs à devenir des virtuoses de l’instrument, imitant en cela les plus grands pianistes et violonistes de l’époque.

À la fin du 19e siècle, tout s’accélère. Berlioz, Liszt, Wagner ou Tchaïkovski s’emparent de l’instrument et conçoivent pour la harpe une place qui lui est réservée. À l’orée du 20e siècle, grâce notamment aux compositeurs français Debussy puis Ravel, la harpe déteint « innocemment » dans le cœur de nombreux harpistes.

Au début du 20e siècle, un autre facteur de pianos bien connu, Camille Pleyel, construit une harpe chromatique sans pédales avec l’avantage pour le harpiste de jouer tous les demi-tons avec les deux mains, ceci grâce aux cordes croisées. Danse sacrée et danse profane de Claude Debussy sera écrite à l’intention de la harpe Pleyel. Toutefois, c’est le système Érard à double mouvement qui est universellement adopté. Hors de France, d’autres facteurs d’instruments chercheront en vain d’autres solutions plus avantageuses, techniquement parlant, notamment Lyon et Early aux États-Unis et Salvi en Italie.


PRÉSENTATION ET JEU SUR LA ‘HARPE MODERNE’

© La musique et vous - Les différentes pièces d'une harpe moderne

La tessiture de la ‘harpe moderne’ est la plus étendue de tous les instruments présents dans un orchestre symphonique, soit plus de six octaves. Elle se compose de 48 cordes tendues entre le corps sonore et la console.

La colonne en « col de cygne » permet à l’ensemble des cordes d’avoir une même tension vis-à-vis de leur longueur. La colonne renferme les tringles qui transmettent le mouvement des pédales au mécanisme fixé sur la console.

Les cordes sont en acier, mais recouvert de laiton pour le grave et en acier filé de soie pour les médiums. Les aigus sont en nylon et plus rarement en boyau de mouton. Pour faciliter leurs repérages, les cordes donnant le « do » (pédales en positions intermédiaires) sont rouges, tandis que celles donnant le « la » sont bleues ou noires.

Chaque pédale à trois positions. Quand elles sont toutes levées, les cordes sonnent à vide et donnent la gamme diatonique de 'do bémol majeur'. Quand les pédales sont en position intermédiaire, les notes sont haussées d’un demi-ton pour obtenir la gamme de 'do majeur', alors qu’en position basse, les notes sont haussées d’un ton entier pour obtenir la gamme de 'do dièse majeur' (l’équivalent enharmonique du 'ré bémol majeur'). La combinaison de ces différentes positions des pédales permet à la harpiste d’obtenir n’importe quelle tonalité.

Le corps de la harpe repose sur l’épaule droite. L’instrumentiste doit pouvoir pincer les cordes individuellement, tout en restant accessibles avec le bras tendu. Chaque main est généralement destinée à occuper un espace : la main droite pour les aigus et la gauche pour les graves. Tous les doigts de chaque main sont utilisés sauf l’annulaire. Donc, le harpiste dispose d’une polyphonie de jeu de huit notes.


LA HARPE, PRÉSENTATION
Anne Le Roy Petit, harpiste à l'Orchestre National de Lille, présente son instrument.

Le jeu de la harpe est d’une grande subtilité et demande une grande adresse dans l’attaque de chaque corde. Si sa technique impose d’emblée de pincer les cordes, il est courant de les arpéger. De même, le glissando est un effet facile à restituer que la musique de films ne se prive pas d’utiliser lors de relance ou de transition orchestrale.

Si l’on utilise plusieurs doigts, il est possible de créer des ‘glissandi’ parallèles. À la façon des guitaristes, la harpe permet également de réaliser des harmoniques à l’octave en appuyant le poignet au centre de la corde et en la pinçant simultanément.


UN USAGE RÉSERVÉ ?

Très souvent, on remarque que la harpe est utilisée par la gent féminine. Des représentations en tableaux ou en bas-reliefs remontant au Moyen Âge et même au-delà, montrent fréquemment des femmes en train de jouer de la lyre ou de la harpe, dont les muses de la mythologie grecque, Érato et Terpsichore.

© Etan Tall - Emily Levin, une candidate au 17e concours international de harpe en Israël (2009)

Si la délicate sonorité de la harpe jaillit des mains féminines, l’explication trouve sa réponse dans la pratique instrumentale et ses conventions. Celle-ci est décidée en amont de manière arbitraire par des préceptes et des normes qui font que les cuivres et les percussions sont plutôt réservés aux hommes et le violon comme la flûte aux femmes. Dans ce même ordre d’idée répandue, la harpe n’y échappe pas. Fort heureusement, face à des « valeurs sédentaires », familiales ou éducatives, la personnalité et la vie des jeunes femmes d'aujourd'hui cherchent à accorder leur choix en toute liberté. Cette émancipation est d'ailleurs à l’image de la musique qui se démocratise et se diversifie chaque jour davantage. Et c'est tant mieux !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 07/2021)


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