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CLASSIQUE / TRADITIONNEL


CLAUDE DEBUSSY, UNE VIE CONSACRÉE À LA MUSIQUE

La carrière de Debussy n'a été ni facile ni héroïque. Le compositeur se jouera des parties dangereuses, mais les gagnera. Au milieu des déboires auxquels l’exposait la nouveauté de son style, le musicien aura eu la chance d’être aidé par les circonstances et de triompher du mauvais sort...


LA DÉCOUVERTE DE LA MUSIQUE ET DE LA MER

Claude Debussy est né en 1862 à Saint-Germain-en-Laye, dans une famille de commerçants. Son enfance n’est pas choyée. Sa mère, qui est chargée de son éducation, châtie durement ses étourderies, son indiscipline, ses distractions et son indolence de rêveur. Mais lors de ses séjours à Cannes chez sa tante et son oncle, il a la chance de découvrir la musique, ce qui lui permet de déplier un peu les pétales closes de son âme sensible. La mer et ses moments heureux sont également une découverte.

Une sœur de son père, Mme Roustan, lui donne ses premières leçons de piano et lui ouvre le paradis artificiel dans lequel il allait désormais vivre dans un enchantement halluciné. À Paris, où ses parents se sont installés, le jeune Debussy est ensuite présenté à Mme Mauté de Fleurville, la belle-mère de Paul Verlaine, une excellente pianiste qui se dit élève de Chopin. Celle-ci propose de lui donner des cours, décelant chez l’enfant des dons musicaux, adjurant même son père de renoncer aux ambitions navales qu’il nourrissait pour son fils. « Je lui dois le peu de piano que je sais », dira modestement Debussy. Les parents, visiblement encouragés par les propos de la pianiste, décident que leur fils a peut-être une carrière de pianiste concertiste qui s’ouvre devant lui et l’incitent à poursuivre dans cette voix.

Grâce à Mmme Manté de Fleurville, Debussy entre au Conservatoire en 1882. Sans le savoir encore, il va vivre douze ans d'un dur apprentissage. Son tempérament très indépendant a bien du mal à s'adapter à un mur de convenances qui brise sa spontanéité et sa fantaisie. Comme une réprobation à son comportement - « Debussy aime la musique plus que le piano », dira son exigeant professeur de piano Marmontel - son talent s’effacera toujours dès qu'il sera confronté aux exigences de ses professeurs. Fort heureusement, quelques enseignants seront plus compréhensifs face à son malaise. Ce sera le cas d’Albert Lavignac qui lui fait découvrir Haydn et Mozart.

Claude Debussy au piano l'été 1893 dans la maison de Luzancy (chez son ami Ernest Chausson), avec de gauche à droite : Yvonne Lerolle, Mme Lerolle, Raymond Bonheur, Henri Lerolle, Ernest Chausson, Claude Debussy, Christine Lerolle, Mme Chausson, Etiennette Chausson.

Debussy aime par-dessus tout exprimer sa liberté, et peu importe que ce soit Bach ou Mozart qu’il ait ou pas à interpréter. Il est un temps, que nous, bien heureux musiciens d’aujourd’hui, n’avons connu ! La moindre liberté étant sacrilège, Debussy n’avait envie que d’une chose : se laisse aller à improviser sur ses accords préférés, même s'il devait recevoir en réponse le couvercle du piano sur ses doigts ! Une attitude quasiment militaire, un frein à l’épanouissement qui ne peut que nous interroger sur ce qu’aurait été l’évolution de la musique si elle avait été enseignée autrement. Dès lors, on imagine tous ses apprentis en herbe qui, au fil de leur apprentissage, ont été exclus faute de convenances.

La sanction tombe. Debussy n'obtient aucun prix de piano, même si les souvenirs laissés par ses contemporains témoignent d'un jeu remarquable traversé de moments de violence, d'âpreté, laissant brusquement place à des épisodes d'un moelleux insaisissable. Ses parents qui voyaient en lui l’étoffe d’un grand pianiste sont déçus, jusqu’à renier ce fils indigne qui, fort heureusement pour lui, découvre d'autres ressources, dont celle d’être un fabuleux compositeur.


DEBUSSY "MUSICIEN À TOUT FAIRE"

En 1880, à 18 ans, Debussy s'inscrit au cours de composition d'un jeune professeur, Ernest Guiraud. Cette rencontre est capitale, car cet enseignant, proche par l’âge, l’est aussi dans son attitude altruiste. Le relationnel à ses yeux compte tout autant que le don musical. Guiraud s'intéresse à ses élèves au point de devenir leur ami, partageant avec eux des sorties nocturnes et d’âpres discussions dans les cafés. Cette sympathie bienvenue ne peut que séduire le jeune Debussy à une époque où il cherche l’assurance de bien faire ; méditations bien éloignées d'ailleurs de la musique que l'on pouvait découvrir dans le Paris de 1880, prisonnier de la domination germanique et dont Wagner le premier, avec ses opéras, produira quelques scandales dès 1861.

Pendant trois étés consécutifs, Debussy est engagé comme « musicien à tout faire » par une noble dame russe, Mme Von Meck, la protectrice de Tchaïkovski. Professeur de piano de ses enfants, accompagnateur également au sein d'un trio, le jeune Debussy fait évidemment une énorme consommation de Tchaïkovski, le compositeur héroïque de ce temps. Mais ces longs séjours, au cours desquels il ne fait que de la musique et où il parcourt toute l'Europe jusqu'à Moscou, ne le détournent pas de son tempérament taciturne et de sa difficulté à se lier aux camarades du Conservatoire. Toutefois, il découvre l’art de la musique tzigane et de la musique russe, dont celle de Borodine, de Balakirew et de Rimsky-Korsakov.

C'est encore en gagnant sa vie comme accompagnateur que Debussy s'attache à une certaine Mme Vasnier, à laquelle il dédie ses premières mélodies, puis à son mari, Pierre Vasnier, architecte, qui lui ouvre sa bibliothèque, lui donne une discipline de travail et le pousse à se présenter au prix de Rome. Or, les réticences de Debussy vis-à-vis d’un conformisme qu’il a déjà connu par le passé, constitue chez lui un non-engagement envers la compétition artistique. Malgré tout, Vasnier trouve les mots et Debussy suit ses conseils, accepte le concours, et obtient la fameuse récompense en 1884, mais non sans mal. En effet, dès son retour dans la capitale, il se heurte aux membres de l’institut appelés à examiner ses « envois de Rome » réglementaires (le Printemps et La demoiselle élue). Les « gardiens de la flamme » acceptent le second, mais refusent le premier, déclaré inexécutable. Debussy, froissé, retire purement et simplement ses deux partitions. C'est à partir de cet instant que le jeune compositeur va se consacrer à son art en toute indépendance.

Sa cantate, l’Enfant prodigue, fait de lui un pensionnaire résigné de la Villa Médicis, mais son séjour dans le palais est mal vécu par le musicien au point de se désintéresser de ce qui l’entoure. Insociable et capricieux, tel le serait un enfant blessé, Debussy n’appelait pas l’amitié de ses camarades. Sa réputation d’« insoumis » l’avait comme précédé et éveillait de la méfiance, ce qui, en retour, ne faisait qu’accroître sa propension au pessimisme et à la misanthropie. Cependant, son séjour lui permet de rencontrer Verdi et d'admirer Liszt lors d’un concert, malgré un ennui latent qui le questionne toujours plus, la musique du compositeur hongrois le place face à lui-même. Douterait-il de ses capacités ? Debussy est certain qu’il doit absolument trouver de nouvelles formes de langage...


DEBUSSY : SUITE BERGAMASQUE (Alain Planès, piano)

LA MARQUE DE L'IMPRESSIONNISME

À la fin du 19e siècle, Paris est le centre d'une étonnante fermentation de vie intellectuelle. D’abord la littérature avec le symbolisme qui, lancé bruyamment par les petites revues qui foisonnent depuis 1880, bat en brèche le naturalisme. Le mouvement littéraire et d'arts plastiques s'efforce de fonder l'art sur une vision symbolique et spirituelle du monde. Claude Debussy fréquente alors les milieux littéraires et rencontre Claude Mallarmé, André Gide, Pierre Louÿs et le journaliste Robert Godet. La peinture suit le même mouvement que la littérature, et l'impressionnisme succède aux œuvres de Courbet ou de Daumier.

Pendant cette période, Debussy découvre les magies de l'exotisme à l'Exposition universelle de 1889. Cet éblouissement de lumière orientale laisse sur lui une marque indélébile. Les messages de ces pays lointains qu’il n’avait jamais visités vont exercer sur lui une influence certaine dans un grand nombre d’œuvres. Puis, la découverte en 1893 de Boris Godounov le bouleverse, car il se sent, avec Moussorgski, des parentés étonnantes tant dans la façon d'aborder le monde harmonique que dans le désir de modeler la forme musicale selon les nécessités de chaque œuvre. Moussorgsky l’affranchira pour toujours des préjugés étroitement académiques de l’écriture officielle française.

Son champ d’action limité aux estrades de concert où il n’apparait que très rarement comme interprète ou chef d’orchestre de ses œuvres et le petit nombre de ses productions ne favoriseront guère les échauffourées spectaculaires. Jusqu'en 1894, aucune œuvre capitale n'apparaît dans sa production, seulement des ébauches, des projets parfois avortés : l'opéra Rodrigue et Chimène, les Ariettes sur des poèmes de Verlaine, Cinq Poèmes de Baudelaire, la Suite Bergamasque pour piano, et surtout le Quatuor à cordes, œuvre cyclique où l'on décèle l'influence de d'Indy et de César Franck. « L'essence mélodique de l'œuvre est concentrée, mais d'une riche saveur. Elle suffit à imprégner le tissu harmonique d'une poésie pénétrante et originale. » dira Paul Dukas.

SUITE : CLAUDE DEBUSSY ET SES ŒUVRES AUDACIEUSES


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