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SON & TECHNIQUE


LA PSYCHOPHONIE EN QUESTION

Brigitte Delzenne, psychophoniste et chef de chœur : « Pour moi, la psychophonie c'est savoir écouter, savoir observer, prendre en compte la globalité de l'être pour ensuite avoir un regard plus fin. Mes moyens d'action sont la voix chantée, le travail du souffle et de la posture, la voix parlée. J'étais musicienne : apprentissage de la trompette puis du piano au conservatoire de Lille, bac musical. Je ne savais où aller ensuite. Je me suis inscrite en psychologie à la faculté. Juste en face se trouvait le C F M I (Centre de formation aux intervenants en milieu scolaire). Comme j'avais l'habitude d'animer des colonies de vacances, que j'aimais les enfants et que j'avais le niveau requis, je suis entrée au C F M I. Durant ces deux années, on a travaillé l'histoire de la musique, la culture musicale, l'analyse, l'instrument, l'improvisation, toutes sortes de répertoires et le chant. C'est là que j'ai découvert la psychophonie. »


INTERVIEW BRIGITTE DELZENNE

Laurence Renault Lescure : quels sont les outils de la psychophonie ?

Brigitte Delzenne : ce sont avant tout des vocalises qui touchent certaines parties du corps, selon les recherches effectuées par Marie-Louise Aucher. Ses recherches en tant que professeur de chant l'avaient amenée à obtenir une sorte de cartographie sonore du corps de ses élèves chanteurs aussi bien comme récepteurs qu'émetteurs. Le psychophoniste en séance peut vérifier la qualité de réception des sons qu'il envoie dans le dos de son élève sur une échelle de quatre octaves.

Comment cela s'opère-t-il ?

B. D. : c'est tout un dispositif qui permet d'obtenir ce qu'on nomme le « cliché des sons ». L'élève, laissant son corps totalement détendu, appuie ses bras et ses mains sur le piano qui sert d'amplificateur des résonances. C'est à l'écoute des harmoniques qui se dégagent après l'émission des sons, que je chante, que je peux déceler les zones fragiles ou abimées sur lesquelles on pourra travailler. Cela peut être un organe qui fonctionne mal, une émotion mal gérée, un trouble énergétique. Ce qui est intéressant, c'est que les zones altérées reconnues grâce à ce cliché des sons se retrouvent les mêmes dans la voix de l'élève quand il redevient émetteur.

Marie-Louise Aucher décrit cela avec beaucoup de détails dans son ouvrage « L' Homme Sonore » (1). Cela semble quand même un peu mystérieux, non ?

B. D. : c'est tellement précis qu'il vaut mieux le vivre pour le comprendre réellement.

Ayant montré les premiers résultats de ses recherches à un ami médecin, le professeur Martiny, celui-ci n'avait pu s'empêcher de faire le rapprochement avec les descriptions des méridiens d'acupuncture qu'on trouve dans l'ouvrage de Soulié de Morant. Il avait cependant dit à Marie-Louise Aucher de continuer à chercher par elle-même. Elle disait lui être très reconnaissante de l'avoir ainsi obligée à poursuivre ses recherches sans modèle. Plus tard, elle a publié les croquis de ses recherches comparés aux planches d'acupuncture et c'est passionnant. Cala date des années 1960 et c'était assez révolutionnaire pour l'époque.

B. D. : certes. Ce travail va en effet beaucoup plus loin qu'un travail corporel et touche le corps énergétique.

Dans la méthode, on parle de « cocon énergétique »…

B. D. : ce terme recouvre une liaison de tout le corps comprenant sa base, son tronc, sa tête… Il faut que tout cela soit relié. Il y a des personnes qui sont bloquées tout en haut. Elles vivent comme si elles n'avaient pas de pieds, pas d'ancrage au sol. Il faudra reprendre cet ancrage pour remonter peu à peu. Le « Cocon » est une enveloppe sans aspérité ni faille. Corps et âme sont reliés. C'est complexe, on peut en parler pendant des heures. La vocalise « laïeau », par exemple, va relier le vaisseau gouverneur et le vaisseau conception (les deux vaisseaux extraordinaires de la médecine chinoise) réalisant ce qu'on nomme « la petite circulation énergétique ».

La vocalise se définit d'ordinaire comme une formule mélodique chantée sur des voyelles. Les vocalises de Marie-Louise Aucher sont souvent construites sur des mots images.

B. D. : oui. « La belle eau », « Miam… », « Il fait beau /chaud » sont des paroles évocatrices, parfois même à double sens. « Miam… » peut être l'évocation de quelque chose de bon à manger (quelque chose qui fait saliver) mais si je pense à quelque chose que je n'aime pas du tout, ma bouche va se déformer, mon niveau salivaire va être perturbé, la couleur de ma voix va être modifiée.

Il y a une relation entre l'image mentale et le timbre vocal.

B. D. : bien sûr ! Je le sais pour l'avoir vécu.

Dans le travail avec les chorales, j'ai remarqué que les vocalises proposées sont toujours transposées en montant vers l'aigu pour reprendre dans le grave pour toutes les voix.

B. D. : en effet, le grave aide à construire les aigus. Beaucoup de gens arrivent avec des a priori du genre : « Je ne peux pas monter plus haut ! ». Moi, je me suis rendue compte durant mes études que j'avais pu élargir mon potentiel. Je ne fais que suivre les chanteurs dans leur ascension. Il faut que chaque personne se rende compte par elle-même qu'elle est capable d'aller plus loin dans les graves comme dans les aigus. En ce qui concerne le rôle des graves, je m'appuie sur mon expérience personnelle d'instrumentiste à vent où on travaille les graves pour faire sortir les aigus. Comme j'avais cette expérience, cette façon de faire m'a tout de suite intéressé. Bien sûr, tous les psychophonistes n'utilisent pas cette façon de travailler. Au début de mes études de chant, je n'avais pas de registre grave, mais je n'avais pas ouvert la région du bassin. Chaque étendue de la tessiture correspond à une zone du corps. C'est une des particularités de ce travail : chaque note correspond à une zone corporelle. Il faut noter que les hommes étant directement dans leur bassin, il faut transposer une octave en dessous. Sauf pour les contre ténors. Marie-Louise Aucher a réalisé des planches anatomiques extrêmement précises et on se sert de ces planches.

Cette rencontre vibratoire se fait sur la base du LA 440 ?

B. D. : ne serait-ce que parce que je me sers d'un piano ! Mais j'ai un élève chanteur baroque qui transpose très naturellement la technique quand il travaille ses textes. Quand je travaille, j'observe beaucoup, j'écoute. J'écoute la façon qu'a la personne de se tenir, de respirer, de regarder. Rien qu'à sa façon d'entrer dans la salle, j'ai déjà une cartographie de son état général et je me dis qu'il va me falloir proposer un travail sur telle ou telle zone : les lombaires, le cou, les épaules…

Un peu à la manière d'un ostéopathe ?

B. D. : je crois que je suis plus une « clairaudiante ». Pendant les vocalises, j'entends autant que je vois. La vocalise terminée, je sais ce que je dois faire et sur quelle zone. Il n'est d'ailleurs pas rare que la personne elle-même m'indique par geste ou en la nommant la zone en question.

À quoi servent tous ces rouleaux et ces ballons que je vois là ?

B. D. : avec ces ballons, on fait beaucoup de choses. Par exemple, on prend conscience de la respiration abdominale lorsque le ballon qu'on tient devant soi pousse sur le ventre et que le jeu est justement de repousser le ballon avec le ventre. C'est très important de retrouver cette respiration où le ventre se bombe à l'inspire. Même chose avec les lombaires ou les dorsales, suivant la position que l'on donne au ballon. Le ballon peut aussi servir à travailler sur son équilibre. On peut s'allonger sur le ballon… Marie-Louise Aucher faisait souvent appel aux animaux. Je peux m'étirer comme un chat et chanter ainsi. On se sert aussi de bâtons tenus à chaque bout pour travailler l'ancrage.

Toute une technique très kinesthésique en somme.

B. D. : oui, mais on laisse toujours un temps d'écoute intérieure. Par exemple, si on travaille sur les pieds et qu'on débute, disons, par le droit ; après le travail de massage avec les rouleaux, on restera un petit moment à l'écoute des sensations de ce pied avant de passer au pied gauche. On peut guider cette écoute. Certaines personnes disent ne rien sentir, d'autres remarquent des sensations : plus lourd, plus chaud, plus gros, plus large… en comparaison avec l'autre pied. Je n'oriente jamais les sensations. La personne peut nommer ou non ce qu'on a ciblé, parfois même autre chose.

Cette « conscience du corps », comme la nommait Mosche Feldenkrais*, n'est pas une chose évidente de prime abord. Cela peut prendre un certain temps.

B. D. : c'est très variable d'une personne à l'autre. Bien sûr, un professeur de yoga rentrera très vite dans son ressenti, mais ce n'est pas évident pour tout le monde. Ce n'est d'ailleurs pas la verbalisation qui est importante, c'est être à l'écoute de soi qui est important. D'ailleurs on ne sait pas toujours nommer ce que l'on ressent. On avance de manière très individuelle, car tout cela est vraiment intime. Il ne peut y avoir de programme dans un travail sensoriel. Il ne peut y avoir d'échéance désignée, il faut juste accueillir. On avance avec ce que l'on voit. Le praticien est dans l'écoute, dans l'attention, la patience.

Il en faut de la patience. Quel a été le record ?

B. D. : pour moi, 4 ou 5 ans !

Tous ces exercices peuvent-ils trouver leur place dans le travail avec des choristes ?

B. D. : j'avoue que je suis frustrée de ne pouvoir le faire réellement à mon goût par manque de temps et de local. J'aimerais tant proposer une heure de véritable travail vocal aux choristes.

Il y a quand même le travail sur les vocalises qui sont répétées de nombreuses fois. Ce n'est pas seulement pour les mémoriser toutes ces répétitions ?

B. D. : les vocalises nourrissent le sensoriel. Plus on les répète, plus on a de ressenti. C'est une perpétuelle source de découverte. Au fur et à mesure, elles permettent d'aller plus haut, plus bas, plus fort. La répétition nous apprend à découvrir nos sensations, nos émotions, nos corps, nos voix. Il y a une phrase des Chinois qui dit qu'il faut faire 1000 fois une posture pour la comprendre. Je dirais qu'il faut faire 1000 fois une vocalise pour l'intégrer tout simplement.

De même qu'il y aurait beaucoup à dire encore sur le cliché des sons et les relations avec la médecine chinoise, il y a encore beaucoup à dire sur la description du travail respiratoire. Marie-Louise Aucher décrit avec extrême précision toutes ces respirations différentes : cérébrale, abdominale, costale, claviculaire… La respiration olfactive a particulièrement retenu mon attention.

B. D. : cette respiration est très profonde. Dans un premier temps, elle va réveiller le diaphragme. L'air en entrant dans les narines va mettre en vibration les cils olfactifs. Marie-Louise Aucher faisait humer à ses élèves des Huiles Essentielles qu'elle fabriquait elle-même. Cela peut réveiller des souvenirs. Dans le chant, cela peut donner un son plus riche. L'olfactif est un sens teinté de souvenirs, une sorte de banque de données qui se constitue peu à peu.

On pense à ce merveilleux film sorti il y a peu : « Marie Heurtin », dans lequel l'enfant sourde-muette et aveugle se sert de son sens olfactif pour se relier au monde qui l'entoure (2). Ce sens olfactif n'est-il pas un peu occulté dans notre éducation, dans notre société ?

B. D. : oui, mais quand on dit « je ne peux pas le sentir » c'est bien de l'olfactif, non ?

À propos de sens, Marie-Louise Aucher insistait aussi sur le tact dont elle prétend que nous ne l'utilisons que grossièrement par « manque d'entrainement musical sonore ». Là aussi, on peut faire référence au film sorti en salle en décembre : « La famille Bélier » (3) et à cette très jolie séquence où le père, sourd de naissance, pose ses doigts sur le cou de sa fille pour entendre la chanson qu'elle interprète. C'est bien là un mode de connaissance sympathique qui nous change un peu des apprentissages par concepts intellectuels.

B. D. : cela rappelle le travail avec les sourds où on se sert du toucher sur le piano ou les tambours et où le tact nourrit la réception des sons. Souvent quand je reçois deux personnes, je les fais travailler dos à dos. C'est très enrichissant de sentir la vibration de l'autre. Là, on est complètement dans l'exercice «  émetteur récepteur ».

Qui vient travailler en psychophonie ?

B. D. : parfois, c'est une forte motivation pour chanter qui pousse les gens à venir me voir. Ce ne sont pas forcément des chanteurs. La voix est aussi un outil de la vie. Ce peut être des problèmes vocaux : une corde vocale abimée, un débit trop saccadé qui nuit à la communication dans le travail, une voix mal placée qui se fatigue, des « J'aime chanter, mais je n'ose pas. », « Je veux chanter, mais je chante faux. », et puis des gens envoyés par des thérapeutes que je ne connais pas.

C'est vrai que pour Marie-Louise Aucher l'homme ne pouvait se réaliser totalement qu'en posant sa voix parlée et sa voix chantée.

B. D.  : parlant de sa méthode, elle disait : « Les sons sont notre moyen et notre but. ».

Propos recueillis par Laurence Renault Lescure. (source L'éducation Musicale - mars 2015)



Brigitte Delzenne intervient en milieu scolaire du CP au CM 2, pour des ateliers d'éveil vocal et musical. Chaque année, des projets de spectacles sont montés en aboutissement de ce travail. Brigitte en profite pour mêler enfants, ados et adultes dans ces projets musicaux comme, par exemple, un conte de Noël musicalisé. Car pour elle, quel que soit l'âge de la personne, l'objectif reste le bien-être individuel et la communication avec l'autre à travers la musique.

1 - Marie-Louise Aucher, « L'homme Sonore », Epi éditeur, 1988.
2 - Marie Heurtin, film de Jean Pierre Améris, avec Isabelle Carré et Ariana Rivoire, distribué par Diaphana France. Sorti le 12 novembre 2014.
3 - La famille Bélier, film de Éric Lartigau, sorti en décembre 2014.

Comment se former à la psychophonie ?

Il y a trois degrés initiaux :

  • Découverte des vibrations en relation avec le corps
  • Les richesses qui nous habitent
  • Synthèse de l'être dans sa globalité

Entre chaque niveau, un temps d'arrêt permet l'intégration des informations. Ce temps, à l'origine fixé à 9 mois, maintenant peut être raccourci à 6 mois. On peut à partir de ces trois niveaux devenir soit animateur, soit praticien. Les animateurs n'interviennent que dans des groupes, les praticiens travaillent aussi en individuel. Seul l'IFREP (Institut de Formation, de Recherche et d'Évaluation des Pratiques médico-sociales) est reconnu habilité à délivrer la marque Marie-Louise Aucher. Et en particulier l'IFREPmla, Institut de Formation et de Recherche Européen en Psychophonie Marie-Louise Aucher (www.ifrepmla.eu). Toute une biographie peut être consultée sur internet. Citons, pour mémoire, l'excellent ouvrage de Marie Jo Cardinal et Annie Durieux « Bien dans ma voix, bien dans ma vie. La psychophonie, une thérapie vocale », paru en 2004 au Courrier du Livre.

Il existe aussi des enregistrements de chansons « à la découverte du corps vivant » pour une belle approche sensorielle avec les petits. Une importante partie des applications de la psychophonie sur le chant prénatal et le travail avec les petits n'a pas été traitée dans cet entretien.

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