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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

LE KHÖÖMII, LE CHANT DIPHONIQUE ANCESTRAL DE LA MONGOLIE

La Mongolie est un pays de moins de quatre millions d’âmes, délimitée au nord par la Russie et au sud par la Chine. Si l’on retient le nom de l'illustre fondateur de l'Empire mongol Gengis Khan, l'une des nombreuses singularités de la Mongolie est d’avoir donnée naissance au chant diphonique, un chant qui produit en même temps deux notes de hauteurs différentes…


DANS LES STEPPES DE LA MONGOLIE

En Mongolie, le chant diphonique est comme une respiration, une invitation qui renvoie directement à la beauté de la nature. Dans ce pays où meurent à l’horizon de vastes étendues sauvages et où la steppe règne jusqu’aux imposantes montagnes de l’Altaï, le berger mongol est toujours en relation constante avec la nature, si essentielle et vitale. Le chant suit ici le même chemin en s’invitant respectueusement.

Alors que le vent libère ses forces et que son souffle répand sa musique, un autre chant bien plus étrange et ancestral se fait entendre, le Khöömii. Son bourdonnement mélodique s’élève pour se répandre dans les immensités lunaires de la steppe. Ce chant libre, presque incantatoire et d’une beauté saisissante, a bien failli disparaître au début du 20e siècle en tombant petit à petit dans l’oubli. À l’origine sans paroles, il permet à celui qui sait et qui vibre particulièrement à ce chant spirituel de produire simultanément deux sonorités de fréquences différentes.

© Yaan - Un paysage de Mongolie avec au premier plan une yourte


À L’ORIGINE DU CHANT DIPHONIQUE

Le Khöömii chante le destin du peuple Mongol dont l’origine supposée proviendrait des hautes montagnes de l’Altaï situé à l’ouest de la Mongolie, non loin du lac Khar-Us et de ses marécages. Dans ce lieu reculé, au premier abord inhospitalier malgré sa pureté, se produit parfois des tempêtes d’où s’élève un vent violent et capricieux. S’écrasant contre les montagnes sacrées du Khairkhan, l’entrechoc naturel produit entre la dureté de la roche et la mobilité du vent, laisse échapper des sons étranges, pour ne pas dire angoissants.

À l’abri, dans leurs yourtes, les mongoliens connaissent bien ce bourdonnement singulier qui envahit toute la steppe, imitant en cela le son guttural de la basse du chant Khöömii. Cette étrangeté sonore est le point de départ d’une expression vocale qui n’a rien à voir avec un quelconque rugissement animalier. C’est bien autre chose. La métamorphose du chant diphonique est avant tout une expression de la pensée, un développement nuancé qui réclame une grande attention et une technique toute particulière. La mélodie gutturale peut se suffire à elle seule, mais il n’est pas rare qu’elle s’accompagne d’un ou de plusieurs instruments traditionnels et de paroles pour célébrer les terres natales.

Hier encore, le peuple nomade qui était loin de tout, loin de la fureur des civilisations avancées, loin des bruits artificiels aussi, a développé le chant diphonique en étant seulement à l’écoute de la nature environnante, de ses bruits, comme le chant des oiseaux, le ruissellement de l’eau ou le souffle du vent. Le Khöömii, qui signifie en langue mongole le pharynx, est d’abord un chant instinctif, c’est comme une plainte en réponse aux différentes « nuances musicales » émises par les éléments.

Son origine remonterait à plus de 1000 ans et aurait pris racine dans le mode de vie des nomades en rythmant les tâches quotidiennes de la vie pastorale. Ce chant traduit les croyances animistes. Leurs pratiques libèrent l’esprit, la force vitale qui anime les êtres vivants et les éléments naturels. En Mongolie, dans un monde rural très pauvre, cette dévotion a la particularité de ne point exiger l’élévation d’un sanctuaire, d’un temple ou de tout autre édifice, un simple cairn (amas de pierres) peut suffire pour pratiquer cette foi spirituelle. La croyance animiste part du principe que l’homme et la nature sont connectés, qu’ils ne font qu’un. Elle est d’une grande sagesse. Elle rayonne de partout à travers le monde, bien que sa pratique ne soit pas aussi diffuse que les autres formes de croyance et de religion. On peut prier pour le bien être de sa famille, pour sa propre sérénité ou pour d’autres louables raisons.


MÉTHODES DU CHANT KHÖÖMII
Dans cet extrait issu d’un documentaire, le maître du chant Tserendavaa expose différentes façons d’exprimer le chant Khöömii. La rencontre, entre le son du saxophone et le bourdonnement produit par la voix, est à ce titre instructive en formant un ensemble sonore très harmonieux.

LA SURVIVANCE D’UN CHANT ANCESTRAL

Au début du 20e siècle, l’héritage immatériel du chant Khöömii a bien failli disparaître. Les peuples nomades ne devaient pas échapper à la sédentarité provoquée par la naissance et l’extension des grandes villes dont la capitale Oulan-Bator. À la fin du 19e siècle, les maîtres de la tradition du chant diphonique étaient déjà rares. Cependant, la Russie toute proche, influente pendant la majeure partie du siècle dernier, allait redonner une lueur d’espoir grâce à sa politique culturelle.

Quand la Mongolie passe sous influence soviétique en 1921, l’État Mongol s’appuie sur la culture pour fédérer la population et construit, comme en Russie, des « Maisons culturelles populaires ». Le Khöömii va bénéficier de ce déploiement culturel. Dans les années 50, le chant diphonique se déplace des steppes pour se produire dans les villes sur de petites scènes théâtrales. Les plus talentueux des diphoneurs sont alors sélectionnés et partent en tournée dans quelques pays étrangers sous le contrôle de l’État.

Puis en 1992, à la chute de l’URSS, le chant diphonique reprend ses droits en célébrant une Mongolie indépendante. Le Khöömii est alors élevé au rang de musique nationale ; une distinction culturelle protégée au titre de « patrimoine culturel immatériel de l’humanité » par l’UNESCO.

Encore aujourd'hui, sur les terres arides de Mongolie, le Khöömii se transmet oralement de façon autodidacte par de vieux maîtres. Pour pérenniser ce chant ancestral, ils forment des apprentis qui initient à leur tour les jeunes enfants. Cependant, au regard de cette filiation quasi familiale, à Oulan-Bator, il n’en est déjà plus question. Dans la grande métropole, le chant ancestral s’enseigne déjà dans les écoles et à l’université. Le Khöömii s’écrit sur des partitions comme d’autres musiques. Cette professionnalisation permet au Khöömii de survivre, d’autant que le pays a su renouveler son image culturelle en adoptant, grâce à la jeunesse, le monde numérique.

Les jeunes artistes s’enthousiasment à l’idée de défendre sur scène et dans les lieux de culte bouddhistes le Khöömii, en mêlant au chant traditionnel des éléments provenant des musiques actuelles, n’excluant ni le rock ni les sons électroniques. Une rencontre entre passé et présent qui dynamise la jeunesse dans un pays qui, comme tant d’autres, est passé d’un art de vivre respectueux de la nature à une vie sédentarisée où abonde les problèmes d’environnement et de chômage.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 06/2021)

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