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CHANSON

LES DIVAS DES TEMPS MODERNES ET LEUR HISTOIRE : CÉLINE DION, WHITNEY HOUSTON ET MARIAH CAREY

En musique, les divas ont une place à part. Si la plus connue de toutes demeure Maria Callas, des tubes provenant des années 90 vont révéler trois voix exceptionnelles : Céline Dion, Whitney Houston et Mariah Carey. Ces trois divas de la chanson pop déchaîneront les foules dans un contexte artistique qui leur est favorable. Bien plus que des stars, elles deviendront des divinités grisées par le succès.


LA DIVA, COME-BACK ET MISE EN SITUATION

Le mot “diva” nous renvoie dans le passé, au 19e siècle. Issue du milieu de l’opéra, la diva (la déesse en latin) a pour elle toutes les qualités techniques qui lui sied, mais elle possède aussi ce petit plus qui la différencie de la cantatrice par sa façon de captiver et de subjuguer le public. Quand la renommée la précède, une diva n’a pas besoin de démontrer à tout bout de champ ses qualités vocales exceptionnelles. Il suffit, par exemple, qu’une seule note inaccessible au commun des mortels jaillisse pour que le discours musical sorte de sa “routine” et s'interrompt à travers un moment magique, miraculeux. Chez les Divas, un nom nous vient alors immédiatement en tête : Maria Callas, la légende lyrique du 20e siècle. Son talent jamais démenti, sa vie romanesque avec le milliardaire Aristote Onassis et sa personnalité complexe suffisent à définir la première diva des temps modernes.

Trop longtemps cantonné dans l’univers musical qui l’a vu naître, le personnage de la diva s’échappe de sa prison dorée dans les années 60 pour envahir des répertoires beaucoup plus populaires. La musique afro-américaine aura sa première diva en la personne d’Aretha Franklin. Chez elle, il y aura bien sûr la voix, puissante et généreuse, mais aussi des engagements visant à aider l'émancipation de la communauté afro-américaine et le féminisme. L’autre chanteuse symptomatique de ces années-là est sans aucun doute Barbra Streisand. Avec elle, la diva envahit le grand écran et les scènes de Broadway. L’espace réservé aux divas allait encore s’élargir bien des années plus tard en glorifiant trois chanteuses pop : Whitney Houston, Céline Dion et Mariah Carey.

Ces trois chanteuses seront d’une grande importance dans le domaine de la chanson au regard d'un monde de plus en plus tourné vers l’apparence et la performance. Alors que la musique pop n’est généralement pas prompte à servir ce genre de modèle, ce retour en force des "chanteuses à voix" sera une façon habile de concilier un rapprochement entre le chant d’opéra et la chanson. Les compositeurs seront les premiers à réagir en aménageant pour ces voix d'exception un répertoire taillé sur mesure.

© Lytechaser (flickr.com) - Céline Dion

Chanter, tout le monde peut le prétendre, mais chez les divas traîne l’idée que c’est un don, une exception, comme un cadeau envoyé par Dieu. De par le monde et les continents, nombreuses sont les divas en puissance qui s’ignorent (et que l'on ignore). Ces personnes-là ne prennent pas toujours conscience du potentiel de leur voix et de leur charisme. Souvent une grande pudeur, une éducation rigide, des us et coutumes, des traditions séculaires, des mœurs, la chance aussi, sont des raisons suffisantes pour qu’elles ne soient jamais des divas reconnues.


JEVETTA STYLE : "CALLING YOU' (du film 'Bagdad Cafe' - 1988)
Un exemple de voix venu du gospel, sanctuaire sacré du chant afro-américain, dans lequel la chanteuse Jevetta Steele transmet dans l'interprétation de Calling You du souffle et de la gravité, avec ce qu'il faut de retenue pour procurer à cette chanson une profondeur justifiée par l'ambiance du film.


DES VOIX TRÈS TRAVAILLÉES

Qu’il soit discographique ou scénique, le résultat époustouflant obtenu par la voix des divas demande une préparation technique exigeante : souffle, respiration, puissance, élocution, tessiture... Toutefois, l’obtention de certaines notes extrêmes agit sur des mécanismes différents. Alors que les chanteuses pop chantent au maximum de leur possibilité avec leur voix de poitrine, pleine et puissante, les chanteuses lyriques utilisent plus volontiers leur voix de tête pour atteindre les aigus, ce qui produit des notes à la résonance plus aérienne. Notons cependant la rare utilisation de la voix de sifflet chez les chanteuses pop (surtout Mariah Carey) qui n’est pas à proprement parler l’expression d’une note pleinement chantée, mais plutôt un filet de voix très fin et très aigu, proche d’un cri étranglé.

La virtuosité technique ne néglige pas pour autant quelques ornementations improvisées dans le classique et la chanson. La présence de mélismes n’est pas rare sur scène (1). À ceci s'ajoutent la présence scénique et le don d’expressivité, des facteurs de nature plus subtils, mais qui sont souvent nécessaires pour renforcer les qualités exceptionnelles d’une voix chantée.

Il existe des exemples significatifs où la voix se mesure en performance. En 1995, la reprise de All by myself par Céline Dion est l’un d’eux. La chanson devient célèbre non seulement à cause de son interprétation, mais aussi pour les huit secondes, chrono à l’appui, où la chanteuse québécoise tiendra la “note mythique" en voix de poitrine jusqu’au changement d’harmonie. Cette performance, qui lui permettra d’entrer dans l'histoire des divas des temps modernes, sera aussi, de l’aveu même de la chanteuse, un piège l’obligeant à reproduire à l’identique cette même note pleine et vibrante devant un public qui l'attend avec impatience.

1 - Le mélisme est une figure mélodique composée de plusieurs notes qui s’articule autour d’une seule syllabe. Cette modulation n’est pas écrite, mais seulement improvisée (parfois sous forme a cappella). Le public traduit généralement cet effet comme une acrobatie vocale, comme une réponse à la virtuosité. La source du mélisme est à rechercher dans les ornementations baroques. Aux États-Unis, il sera popularisé par le gospel et plus tard par le jazz, avant de se frayer un chemin sur les scènes internationales grâce aux divas de la pop des années 90.

CÉLINE DION : 'ALL BY MYSELF' (1995)


WHITNEY HOUSTON, MARIAH CAREY ET CÉLINE DION, TROIS PERSONNALITÉS ET TROIS VOIX

© tm_10001 (flickr.com) - Whitney Houston (Allemagne - 1999)

Depuis leur plus jeune âge, Céline Dion, Whitney Houston et Mariah Carey ont grandi dans un environnement musical. Céline est la dernière d’une fratrie de quatorze enfants. Dès l’âge de cinq ans, elle produit ses premiers spectacles dans le restaurant de ses parents. Whitney est la fille d’une chanteuse de gospel et la cousine de Dionne Warwick, célèbre chanteuse de soul. Quant à Mariah, elle est bercée par le chant lyrique grâce à sa mère, choriste au New York City Opera.

De ces trois interprètes, c’est Whitney qui a ouvert la voie par sa façon d’adoucir les angles de la musique soul. Sa manière de chanter a personnalisé le chant des divas et a permis à d’autres interprètes féminines un peu plus jeunes qu’elle d’aller de l’avant. Ce sera le cas de Mariah Carey qui s’inspire de Whitney. Ses prestations en live sont du Whitney “puissance 10” dans l’utilisation du mélisme.

De son côté, Céline Dion apparaît aux États-Unis en 1990. Elle a 22 ans et c’est une découverte pour le public. Personne ou presque ne connaît son parcours et ses origines québécoises, alors que dans son pays, c’est déjà une princesse. Sa grande force est d’exprimer ses origines et son altérité à travers sa puissante voix.

Si les différences sont suffisantes pour avoir quelques préférences, leur point commun est d’interpréter majoritairement des chansons qui tournent autour de l’amour. La passion, la rupture, la disparition de l’être cher s’expriment sur scène en lettres capitales avec une part de féminité revendiquée. Et si la performance vocale est là, alors le public ne peut être que satisfait.

Une part de romantisme, un physique élancé, une belle robe brillante, des talons hauts, derrière une apparence légèrement guindée - mais calculée -, rien ne doit choquer un public souvent BCBG qui n’attend pas autre chose. Les divas de la pop des années 90 proposeront d’abord leurs spectacles glamours sans sortir du cadre qui leur était réservé puis, au fil des années, elles se transformeront en femmes sexy sous le regard du public et du contrôle de leur maison de disques.


WHITNEY HOUSTON : 'I WILL ALWAYS LOVE YOU' (du film 'Bodyguard' - 1992)

LE MODE DE VIE DES DIVAS ET LE RAPPORT AU PUBLIC

Côté vie privée, les contes de fée sont là pour alimenter la presse. Si, en 1993, le mariage de Mariah Carey avec Tommy Mottola, le PDG de Sony Music, ne surprend que peu de gens, dans le cas de Céline Dion, la différence d’âge avec son futur époux et manager René Angelil, de 27 ans son aîné, fera grand bruit. Mariah et Céline seront souvent l’objet de moqueries dans les médias, mais toutes les deux seront protégées par leur mari, des hommes puissants de l'industrie musicale. Conscient de leur talent, ils feront d’elles des divas sur le long terme, jusqu’à ce qu’elles deviennent des icônes en puissance.

© flickr.com - Mariah Carey

Avec le recul, la présence de ces divas nous a beaucoup appris sur les attentes culturelles du public, mais surtout de la place des femmes dans la société. On mesure à quel point l’image artistique de la femme s’est transformée en moins de 30 ans. Leur apparence physique, les thèmes de leur chanson, la façon de se comporter sur scène n’ont qu’un lointain rapport avec les jeunes divas frêles et timides des débuts. La féminité d’alors suivait la définition normative du genre masculin. De nos jours, tout n’a certes pas disparu, car au fond rien ne disparaît vraiment. La séduction qui consiste à plaire aux hommes existe toujours, mais une part d’insolence et de rébellion sont venus s’interposer.

Or, si la gent féminine existe aujourd’hui avec plus d’autonomie et d’indépendance, les divas que sont Céline Dion, Whitney Houston et Mariah Carey porteront souvent à bout de bras les règles de la bienséance. Comme des clichés attendus, elles incarneront la caricature de la diva capricieuse, exigeante et dépensière.

Les tabloïds et les journaux peoples ne se gêneront pas pour faire remarquer leur train de vie en proposant des vues aériennes de leurs superbes et immenses demeures ou une visite de leur imposant dressing. Contre toute attente, ce dépassement des limites n’offensera pas réellement le grand public. Céline, Whitney et Mariah seront justement admirées parce que leur mode de vie n’épouse en rien la vie des gens de peu et les soucis du quotidien qui les accompagnent.

L’image de ces trois divas est donc remplie de contrastes, et la performance vocale n'apparaît que comme un détail noyé dans une sorte d’abondance, sauf bien sûr pour ceux qui aiment absolument ce genre de voix. Pour ces gens-là, la générosité de leur chant est un luxe dont il ne faut pas se priver, quitte à payer la place à prix d'or. Tout ce que l’on raconte sur elles passe alors au second plan. Seule, peut-être, la mise en concurrence de leur voix pourrait faire offense à leur parti pris.

Il est vrai que ce trio de tête n'a pu échapper à des comparaisons souvent maladroites, comme emportés par trop de passion. Au sommet de leur carrière respective, il devenait facile de les placer dans une sorte de concurrence virtuelle tellement leur position artistique était influente. Quand Whitney et Mariah se retrouveront ensemble sur scène lors des 'MTV Awards' de 1998, elles joueront de cette prétendue rivalité avec un air amusé tout en étant bien consciente de ce qui se jouait.


MARIAH CAREY : 'VISION OF LOVE' (1990)

DÉCHÉANCE ET RECONVERSION

Comme décrit dans le portrait consacré à Whitney Houston et intitulé “Whitney Houston, portrait d’une descente aux enfers”, toutes les divas ne sont pas parvenues à conserver cette image de perfection ni dans leur vie privée ni dans leur filet de voix.

Pour Whitney, la cause était entendue depuis longtemps. Son mariage raté avec le rappeur Bobby Brown en 1992 causera sa perte. Malgré des interviews dans lesquels la chanteuse prêchera le faux, les rumeurs qui laissaient entendre des violences domestiques et des prises de drogues conduiront la chanteuse à perdre toute confiance en elle, ce qui ruinera son image de diva. Elle décédera en 2012.

Pour Mariah Carey, le changement d’image se produira en 1997, quand elle divorcera de Tommy Mottola. Elle a alors 27 ans et elle cherche à s’émanciper de son image de diva en se présentant au public sous un nouveau jour. Elle signe sur un autre label et effectue un virage artistique à 360 degrés en chantant du hip-hop et en changeant d’apparence vestimentaire. Sorties en 2001, le film Glitter et l’album qui l’accompagne feront un flop. La critique est virulente et la maison de disque rompt le contrat. Effondrée par les événements qui se succèdent, elle craque et se fait hospitaliser. Le diagnostic révèle alors qu’elle est bipolaire. Mariah, d'abord hésitante, décidera de révéler ses troubles "maniaco-dépressifs” qu’en 2018 de façon digne, comme elle le souhaitait.

De son côté, Céline Dion fera de même en s’ouvrant au public après le décès de son mari René, des suites d’un cancer. Dans ces instants intenses où la souffrance s’invite à chaudes larmes, Céline partagera avec ses fans l’intimité d’un moment devenu universel.

De nos jours, à une époque où nous recherchons de l'authenticité, des moments forts, les confessions tardives de ces divas peuvent être perçues comme un rapprochement visant à sensibiliser leurs fans sur leur mode de vie et leurs habitudes. C’est un peu comme si elles nous interpellaient en nous disant : “Personne n’est parfait en ce bas monde et ce que vous voyez, entendez ou croyez ne reflète jamais ce qu’est la réalité. Ne sommes-nous pas, tout comme vous, des êtres remplis de doutes, de maladresses et enclins à succomber aux êtres que nous chérissons ?”

Au sommet de leur carrière, Whitney Houston, Céline Dion et Mariah Carey possédaient toutes les qualités requises pour être d'immenses stars, et en premier lieu, une aura qui mobilisait l'attention. Sur scène, elles possédaient un magnétisme. Malheureusement, la douleur des stars déchues, pas plus que le bonheur en cadeau partagé, constituent de nos jours une raison suffisante pour freiner l'ardeur d'un public avide de confidences. Les réseaux sociaux sont là, désormais, agissant comme de véritable amplificateur de révélations en tout genre, provoquant autant de curiosité maladive que de dépendance. D'ores et déjà, il est à craindre que les divas en devenir, afin de s'assurer une place pérenne dans le monde impitoyable du showbiz, n'aient d'autres choix que d'affronter de nombreuses surenchères pour garantir leur légitimité.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 09/2022)


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