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LUKE AND TESS PRETTY TENNYSON, INTERVIEW DU JAZZ À L'ÉLECTRO

LUKE AND TESS PRETTY

Je vous propose de découvrir deux jeunes musiciens qui résident à Edmonton au Canada. Un frère et une sœur transportés par un même amour, celui de la musique. Luke, l’aîné, s’occupe principalement des claviers et de la programmation, tandis que Tess officie à la batterie. Après avoir autoproduit un premier album intitulé Diffusion (2010), proposant essentiellement des reprises pop et jazz fusion, un second CD Tennyson est déjà parti à l’assaut de compositions personnelles pleines de promesses…


LUKE AND TESS, UN DUO MUSICAL DE CHOC

J’ai découvert ce duo pas ordinaire en 2010, au hasard d’une recherche d’infos sur Internet. Qu’elle ne fut pas ma surprise en entendant Are you going with me ? de Pat Metheny joué à la note près par deux jeunes adolescents ! J’étais très intrigué et je voulais en savoir plus…

Leur univers sonore, au lieu de reposer sur une musique de leur âge purement électro ou baignée par du hip-hop, était estampillé blues, pop et jazz-rock. Une musique venue en droite ligne des années 60/80. Pour faire court : The Beatle, Chris de Burgh, Pink Floyd, Jimmy Smith, Sade, Jean-Luc Ponty, Alphonse Mouzon et Pat Metheny étaient à leur programme… Mais que se passait-il donc dans la tête de ces ados pour faire abstraction de la techno, de la dance ou du rap ? Entendre du Pat Metheny ou du Jimmy Smith joué à la note près – solos compris – à de quoi surprendre l’auditeur quand les interprètes ont juste l'âge d'être au lycée !

Une des parties de la réponse tient dans la famille. Le père, batteur de profession, a conduit leur premier pas dans la musique. Il a une longue expérience dans le domaine des percussions en ayant joué notamment avec Bobby Cameron, Rusty Reed et Gaye Delorme. C’est d’ailleurs ce dernier qui a, en quelque sorte, poussé Luke et Tess à se produire sur scène.

S’ils ont baigné naturellement dans la musique, l’apprentissage s’est également fait sans contrainte ou presque. Le père leur lance des défis et à eux d’y répondre ou pas. Cela fera bientôt 8 ans qu’ils jouent ensemble et qu’ils se produisent dans des festivals au Canada. Ils ont déjà été les têtes d'affiche du Festival de Blues de Beaumont en 2011 et gagnants la même année du 2e Concours d'écriture pour le ‘Calgary Folk Song Festival’. Luke et Tess sont maintenant habitués au public, ayant même fait quelques apparitions à la télévision et joués dans des émissions de radio.

Chose étonnante, à leur début les rôles étaient inversés. Luke était à la batterie et Tess au clavier. En grandissant, les goûts et les aptitudes naturelles ont finalement choisi leur camp. À la maison comme sur scène, le frère et la sœur utilisent un large éventail d’instruments électroniques de pointe, allant des claviers Korg, Hammond… à la batterie V-Drums et au contrôleur MIDI MPD18 d’Akaï. S’ils ont recours à de la programmation - essentiellement pour les lignes de basse - les autres parties sont interprétées en direct live.

LUKE AND TESS PRETTY

LUKE TENNYSON, LE TOUCHE À TOUT

En dehors des claviers, Luke joue également de la basse et de l'accordéon, mais son intérêt pour les instruments et la musique ne s'arrête pas là ! Lors de l’enregistrement du premier CD, Diffusion en 2009/2010, Luke officiait déjà aux commandes de la console de mixage avec l’aide du guitariste de blues Gary Koliger. Pour l'album suivant, Tennyson, le jeune adolescent s’est investi davantage dans le projet en composant la plupart des morceaux, apportant à ceux-ci une orientation musicale beaucoup plus électro. Le disque est une sorte d’album concept dont l’épicentre est un phare anglais, le Mary Rose, un phare du 16e siècle qui a attiré son attention en raison du mystère qui l'entoure.

La musique de Tennyson est proche du nujazz... « Il y a deux ou trois ans, un ami m'a fait écouter de la musique électronique et je l'ai en quelque sorte rejetée parce que je pensais que c'était de mauvais goût », dit Luke. Aujourd’hui, il l’utilise, mais en y apportant sa propre personnalité. Ses influences électroniques vont de Aoki Takamasa, Radiohead à Squarepusher.

Avec le temps, le jeune duo est devenu musicalement plus indépendant, les reprises deviennent plus rares. Luke quitte progressivement les solos originaux pour s’investir dans de véritables improvisations. « Quand je commence un morceau, j’apprends le solo note par note. » explique Luke, « Ensuite, je m’en éloigne à fort et à mesure que je le travaille… Je suis impatient de jouer comme mon professeur de piano, Charlie Austin, à improviser et à bien improviser. C'est amusant de faire des choses différentes à chaque fois. »


LUKE ET TESS TENNYSON - 8 COUNTS FOR RITA (2011)
Reprise d'une composition de Jimmy Smith

TESS TENNYSON ET LA BATTERIE, UN TERRAIN CREATIF

Quant à Tess, dont on ne peut reprocher sa maîtrise du tempo, elle a trouvé son inspiration chez le batteur Billy Cobham. Stratus étant un de ses disques favoris. Pour elle, la batterie est un jeu qui s'est transformé avec le temps en terrain créatif. Elle aime les instrumentaux, car ils lui laissent plus de liberté musicale pour réaliser quelques solos.

LUKE ET TESS PRETTY (TENNYSON), INTERVIEW

- Vous formez un duo étonnant. Votre parcours musical est singulier. Il n’est pas sans rappeler celui de Karen et Richard Carpenter qui ont démarré comme vous très jeunes en jouant des reprises jazz et rock. Cependant, à l’inverse d’autres musiciens de votre âge, vous avez abordé la musique à travers des artistes qui ne sont pas de votre génération. Pourquoi un tel choix ?

Luke : Tess et moi avons commencé à jouer ensemble quand nous avions sept et neuf ans. Nous avons commencé par apprendre cinq ou six chansons pop/rock Je prenais des leçons de piano avec un professeur de jazz pour apprendre les bases, tandis que Tess apprenez la batterie. Afin de nous inciter à travailler une musique plus difficile, mon père nous a présenté des artistes de jazz fusion. Nous aimions les chansons que nous jouions, même si à chacune d'elles de nouvelles difficultés étaient présentes. Elles étaient toujours plus dures à apprendre et à jouer, mais bien plus excitantes pour nous.

- Comment avez-vous été initié à la musique, seul, en autodidacte, avec l’appui de votre père qui est musicien… ?

Tess : eh bien, mon père n'est pas seulement un musicien, c'est aussi un éducateur. Il a compris l'importance d'un enseignement précoce dans n'importe quel domaine, que ce soit au niveau de la pratique comme de la connaissance, de sorte qu'il nous a initié très tôt à toutes sortes de choses. Comme nous avons peint des tableaux pour tenir des pinceaux dans nos poings, nous avons tapé sur des tambours bien avant que nous soyons en mesure de tenir les bâtons correctement. Les cours de piano sont venus bien plus tard.

Luke : apparemment, il y avait beaucoup de danse et de musique à la maison lorsque nous étions bébés. Peut-être que notre formation musicale a réellement commencé dans le ventre de notre mère ! Mais pour répondre à votre question, oui, mon père nous a appris à la fois la façon de jouer de la batterie pour ensuite nous orienter vers d’autres enseignements.

- Luke tu joues de plusieurs instruments, piano, accordéon… et toi Tess, tu as quitté le piano pour la batterie. Quelles sont les raisons de ces choix ?

Tess : au départ, j’avais dans l’idée que c’était à moi d'être pianiste et à Luke d’être batteur. Tandis que Luke étudiait la prise de son et la batterie, j’apprenais la danse. Mais avec le temps, même si je continuais d’aimer cela, je désirais jouer de la batterie de plus en plus au détriment du piano. J'ai donc arrêté les leçons de piano et je me suis concentré sur la batterie. Le plus drôle, c’est que maintenant je pense vouloir prendre quelques leçons de claquettes !

Luke : j’aime toujours jouer de la batterie, mais les claviers et leurs différentes façons d’être manipulés, comme l’orgue Hammond et le piano, c'est cela qui m'intéresse vraiment.

- Quand vous abordez un morceau, comment se déroule votre travail ?

Luke : pour moi, la première tâche à réaliser après avoir choisi une nouvelle chanson est de réaliser la programmation. Depuis que nous jouons en duo, différentes parties instrumentales sont nécessaires pour jouer en live. Je programme la basse et les parties supplémentaires en utilisant mon ordinateur. Nous jouons live avec une piste tempo qui est généralement inaudible pour le public. L’intérêt du ‘clic’, c'est qu'il vous entraîne réellement à avoir un tempo régulier, mais son inconvénient est de ne pas pourvoir le modifier une fois en route.

- Luke, parallèlement au duo que tu formes avec Tess, ton évolution musicale s’oriente à présent vers des compositions originales aux couleurs « électro ». En les écoutant, je ressens comme un profond désir d’émancipation, d’aborder le style avec beaucoup d’originalité. Quelles sont tes influences ? Tu travailles toi-même les samples ?

Luke : merci ! C'est très gentil. Et oui, je m'efforce toujours d'être original et de créer de nouveaux sons. Cela aide à rendre la composition plus passionnante... J’ai bien sûr été influencé par un grand nombre d'artistes électroniques de divers styles, et parfois vous pouvez entendre ces influences à travers mes morceaux. Les artistes qui m’attirent le plus sont Clark, Boards of Canada, Lone, Ametsub, Shlohmo, Jon Hopkins, Burial et bien d'autres que je trouve incroyable.

LUKE AND TESS TENNYSON - JULY MDXLV (2012)

- Sur YouTube, sur ta page au nom de Luke Tennyson, j’ai été très étonné par la performance de la vidéo 'The Usual Mr. Nordin'. Peux-tu m’en parler ?

Luke : 'The Usual M. Nordin' est un instrumental que j'ai mis en images. J'ai pensé que différents fragments cinématographiques extraits d’archives et assemblés entre eux pouvaient s'adapter au morceau. J'adore faire ça, car c’est une façon pour la musique de traverser les époques. Mais réaliser une vidéo, même simple, demande beaucoup de temps. Aussi, pour chacune de mes compositions, une vidéo n'est pas systématiquement associée. Je dois aussi consacrer mon énergie à travailler de nouvelles idées.

- Tess, j’ai appris que tu as suivi des cours de batterie sur Internet avec Alphonse Mouzon. Qu’est-ce que cela t’a apporté ?

Tess : prendre des leçons avec un des plus grands batteurs du monde est une expérience incroyable. Sans la technologie, je n'aurais jamais pu le faire. Alphonse est aussi compétent en tant que professeur que comme musicien. Il a tellement à offrir, sans oublier les nombreux succès de sa carrière. Vous pourriez pratiquer tout ce qu'il vous enseigne qu'en faisant référence à ses compositions...

La raison pour laquelle nous avons rencontré Alphonse, c’est que lorsque nous étions beaucoup plus jeunes, nous avions repris une de ses chansons intitulée "Alone in Paris", une belle mélodie bien construite. Quoi qu'il en soit, à travers la communauté Youtube, notre version a trouvé sur son chemin Alphonse, et il était si content qu'il nous a contactés. C'est pas cool ça !

propos recueillis par Elian Jougla

UN AVENIR PROMETTEUR

Ces deux adolescents sont comme des éponges, absorbant musicalement tout ce qui passe à leur portée : jazz, rock, latin, tango... Nul doute qu’ils vont encore progresser. Et si musicalement ils se cherchent encore, le second CD (Tennyson - 2012) est déjà riche de promesses. À l’écoute, j’ai été plutôt surpris par la maturité musicale et les idées mélodiques et rythmiques qu'il contient. D’ailleurs, les artistes ne s’y trompent pas. Le batteur Alphonse Mouzon (ex Miles Davis et Weather Report) s’exprime en ces termes : « Leur musique sonne très bien ! Je suis honoré de voir deux jeunes enfants talentueux influencés par moi et apprenant ma musique presque note à note ! Ces enfants ont un bel avenir dans la musique ! »

Doit-on s’en étonner ? Petits et grands, prenez-en de la graine ! Luke propose déjà son nouveau CD électronique baptisé Supervision (2013). L'instrumental Blamer extrait de l'album a été joué en Australie sur la ABC national. Quant au duo, "Luke and Tess", ils viennent de terminer un 4e CD intitulé Nine Lives, composé de neuf titres live avec des reprises de Avishai Cohen, Martin Tingval, Oz Noy, et Robert Walter (NB : Nine Lives n'était pas encore disponible au moment de la mise en ligne de cette page).

Luke et Tess Pretty n’ont pas bâti leur univers musical autour d’un quelconque mirage créé artificiellement par Internet, mais en étant au contact de la musique dans ce qu’elle a de plus authentique, la scène. Les deux jeunes musiciens se sont déjà produit pour une série de spectacles avec Miles Wilkinson, un producteur et ingénieur du son qui a travaillé avec des artistes comme Emmylou Harris, Anne Murray, Dolly Parton et Willy Nelson.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 11/2013)



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