L’album What’s Going On représente un tournant dans la carrière du chanteur Marvin Gaye. Nous sommes en 1971. Alors que la guerre du Vietnam s’enlise depuis plusieurs années et qu’elle sert de joute pour les futures élections présidentielles, le peuple Noir américain traîne toujours sa misère dans des quartiers mal famés où le chômage règne en maître. Marvin Gaye, sensible aux événements qui secouent son pays, décide d’utiliser sa notoriété et de dénoncer par quelques mots mis en musique toute la souffrance d’un peuple, mais également la corruption politique comme la pollution urbaine. L’album What’s Going On va traduire cette vision. Marvin Gaye, en changeant de style, va musicalement adopter des rythmes plus posés et concevoir des textes politiquement engagés…
À ses débuts, Marvin Gaye est un musicien de studio qui officie principalement au piano. Engagé par le label 'Tamla Motown', il travaille comme accompagnateur pour Martha Reeves & The Vandellas et The Miracles de Smokey Robinson. Outre son charme physique, Marvin Gaye possède une voix envoûtante avec des intonations sexuellement troublantes qui ne laissent pas indifférent Berry Gordy, le patron de la Tamla. Dès lors, le musicien de studio fait face au micro et impose quelques-unes de ses chansons. Influencé par Nat King Cole, le jeune compositeur interprète est rapidement plébiscité par le public féminin qui aime ses ballades sensuelles.
Dans les années 60, la production Tamla Motown est très stéréotypée. Elle est le moteur de la musique noire et possède un ‘son’ caractéristique. Les musiques délivrées par Stevie Wonder, Al Green, Curtis Mayfield, The Temptations ou The Four Tops ont de nombreux points communs, aussi bien dans l’agencement des textes que dans la construction des orchestrations.
Les nombreux succès de Marvin Gaye n’échappent pas à cette norme : Can I Get A Witness (1963), qui sera repris par les Rolling Stones, Take This Heart Of Mine (1966), I Heart It Through The Gravenine (1969) – une autre version verra le jour avec Creedence Clearwater Revival. Ses compositions sauront se prêter également à des duos plein de charme, dont ceux avec Tammi Terrell (Ain’t Nothing Like A Real Thing -1968).
Alors que Stevie Wonder ne s’est pas encore imposé comme un leader de la soul music et que Curtis Mayfield demeure aux avant-postes du ‘Mouvement des droits civiques’, le potentiel créatif de Marvin Gaye cherche à se frayer un autre chemin, plus ambitieux et plus proche de sa sensibilité.
L’album What’s Going On délivre un message d’amour universel, celui d’un homme marqué par la guerre du Vietnam, la pauvreté, le chômage et la drogue. Musicalement, l’album est un album sophistiqué qui a demandé trois années de réflexion… et cela s’entend au fil des neuf morceaux de l’album. Le ‘Brother’ est bien là, dès l’ouverture du titre phare ‘What’s Going On’. Marvin Gaye se pose en visionnaire et se demande ce qu’une telle société pourrait bien laisser à ses enfants. Cependant, cette prise de conscience politique n’est pas dans l’air du temps et Berry Gordy voit d’un mauvais œil un de ses artistes majeurs s’écarter du ‘droit chemin’. Mais Marvin Gaye est bien décidé à se battre pour obtenir cette liberté, d’autant plus que l’année précédente, la disparition de son amie chanteuse Tammi Terrell enfonça l’artiste dans une profonde mélancolie ; l’artiste allant jusqu’à refuser tout net les concerts qui se présentaient à lui.
La chanson What’s Going On était prévue au départ pour être chantée par The Originals, un des nombreux groupes que produisait alors la Tamla Motown ; mais Renaldo Benson et Al Cleveland, qui sont les coauteurs de cette chanson au texte engagé, pensent que celle-ci serait bien mieux exploitée par Marvin Gaye qui les a aidés à finaliser la chanson. Le chanteur accepte de l’interpréter et la soumet à Berry Gordy. Ce dernier reste persuadé que la chanson sera un échec en naviguant entre un jazz qui n’en est pas un et un rhythm and blues qui n’en a que les contours. Peut-être par feeling ou par intuition, Marvin Gaye insiste, sentant que cette chanson va devenir comme un appel d’air, un nouveau départ pour sa carrière. À contrecœur, Berry Gordy finit par accepter, mais voit rapidement son amertume se transformer en rayons de soleil quand la chanson devient en quelques jours un succès. Dès lors, Marvin Gaye va obtenir de Gordy une totale liberté d’entreprise, mais par prudence et pour gagner en indépendance, Marvin Gaye décide de produire la chanson et celles qui suivront.
Ensuite, tout va aller très vite. La pierre angulaire étant posée, il suffisait au chanteur de suivre le même chemin, de poursuivre la même esthétique. Le travail en amont allait être récompensé… En moins d’un mois, l’album était là, prêt à être consommé. What’s Going On allait devenir un chef-d’œuvre de la soul music. Marvin Gaye signait là un de ses albums les plus personnels de sa carrière, mais également un des albums les plus passionnants de l’histoire de la musique noire. Dans l’époque trouble de la guerre du Vietnam et des corruptions politiques, l’album, contrairement à toute attente, sera bien reçu par le public comme par la presse, qui verra là un des chefs-d’œuvre de la musique du 20e siècle.
MARVIN GAYE - RIGHT ON
De What’s Going On à Right On (son accompagnement pianistique est un modèle du genre, conjuguant sobriété et efficacité) et en passant par Inner City Blues, les chansons de Marvin Gaye atteignent un sommet dans un style que paradoxalement l’artiste ne reconduira pas. Ainsi, après avoir créé une minirévolution au sein de l’écurie Tamla Motown et donné des ailes, pour ne pas dire des idées à Stevie Wonder, l’artiste retournera à des chansons plus épicuriennes. Une page était tournée. Le ‘Marvin Gaye’ des années 70 allait musicalement poursuivre sur la même voie, continuer à peaufiner son style basé sur des arrangements toujours sophistiqués, mais en s’appuyant sur des textes aux angles plus arrondis et suggestifs.
Des albums Let’s Get It On (1973) à I Want You (1975), jusqu’à son ultime tube Sexual Healing, la sexualité devient l’épicentre obsédant de l’artiste. Dans un ultime combat visant à fuir les pulsions suicidaires qui l’envahissent jour après jour, Marvin Gaye décide de séjourner quelque temps chez ses parents pour trouver un certain apaisement. Mais un beau jour de printemps, une dispute éclate entre le père et le fils. Saisi d’un moment de folie, son père s’empare d’un pistolet et abat son fils d’une balle en pleine tête. C’était le 1er avril 1984…
Pour Marvin Gaye, l’amour physique était la clé de la société, bien plus que l’argent. Ses chansons ‘sexuelles’ étaient devenues pour lui comme une thérapie. Contrairement à d’autres artistes de l’époque, il évita de sombrer dans les facilités et les musiques à la mode (disco). Jusqu’à la fin, il resta fidèle à la voie musicale qu’il s’était tracée.
Par Elian Jougla (Cadence Info - 03/2012)
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