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STEVIE WONDER, BIOGRAPHIE/PORTRAIT DU PRODIGE DE LA SOUL

Stevie Wonder est l’un des rares « petits prodiges » que la soul music a engrangé dans les années 60 et qui a poursuivi sa carrière de façon homogène et exemplaire. Il suffit d'écouter les chansons de The Song In The Key Of Life pour comprendre à quel point il a su réaliser, comme personne, la synthèse fulgurante entre un rock blanc abrupt et une musique soul sophistiquée, entre le versant Beatles et le versant Sly Stones sur fond de paroles sociales et de visions mystiques.


LES PREMIERS SUCCÈS DE 'LITTLE' STEVIE WONDER

« S’il y a un génie, alors c’est lui. Je crois que c’est d’abord une question d’oreille puisqu’il ne voit pas ! », déclara un jour Bob Dylan. Né Steveland Morris, le 13 mai 1950 à Saginaw (Michigan), un mois avant terme, Stevie devient aveugle suite à un manque d’oxygène de la couveuse. Entouré de ses quatre frères et sœurs, il fera ses premiers pas de chanteur au sein du Whitestone Baptist Church Choir.

Stevie Wonder se réfugie dans la musique et devient très rapidement un multi-instrumentiste d’exception ; d’harmoniciste, il deviendra claviériste, puis batteur. Ses premières influences seront Little Walter, Jimmy Reed et bien sûr Ray Charles : « Tu possèdes quelque chose de très rare en toi, une immense foi dans ce qui tu chantes en public ; je comprends pourquoi celui-ci t’adore. » Tous deux aveugles, excellents musiciens et interprètes, et possédant un même mimétisme scénique, certains penseront que Little Stevie était le successeur naturel du grand Ray (NB : le second LP de Stevie, Tribute To Uncle Ray, est composé presque exclusivement de compositions de Ray Charles).

Le jeune enfant est découvert par Ronnie White, l’un des Miracles de Smokey Robinson en 1962. I Call It Pretty est le titre de son premier enregistrement discographique qui sera suivi de Work Out, Stevie, Work Out. Stevie a alors douze ans. Déjà, il se produit à l’Apollo de Harlem en août de la même année avec l’harmonica entre les mains. Fingertips, son second disque enregistré en public, deviendra le grand succès de rhythm and blues de l’année, restant trois semaines consécutives n°1.

En 1964, Stevie Wonder, qui vient d’enregistrer Hey Harmonica Man, laisse tomber son surnom de « Little » (petit) et apparaît dans les films de série B Bikini Beach et Muscle Beach. Ce formidable harmoniciste et chanteur poursuit sa jeune carrière sans rien perdre de ses remarquables dons. En mars 1965, il visite les Anglais qui vont l’adopter illico et le 13 avril, c’est au tour de la France de découvrir « The little Stevie » pour la première fois à l’Olympia où il passe en première partie des Supremes de Diana Ross.

De cette époque va jaillir une succession de tubes dont le premier sera Uptight. Ce titre est un succès mondial. Il passe tout le temps à la radio, et s'invite sur les pistes de danse. Stevie, avec ses uppercuts rythmiques, fait délirer et chante l’amour et la réconciliation entre les hommes, comme les premières communautés hippies qui investissent la Californie. En 67, un autre succès international lui tend les bras, I Was Made To Love Her, coécrit avec sa mère Lula Hardaway, crescendo forcené hérité du gospel, en version pop. Son album de 67, Uptight, et sa collection de tubes (For Once In My Life, Shoo Bee Doo Bee Doo Da Day) témoignent de l’excitation d’une époque en convulsion qui danse en mini-jupe et délire avec un autre « Black » azimuté, Jimi Hendrix. Entre temps, Stevie rendra hommage à Dylan, un Blanc juif et contestataire, un routard qui s’habille de noir, en reprenant l’un de ses grands succès, Blowin’ In The Wind.

© Motown Records - Stevie Wonder (1973)

Pour Stevie Wonder, musique doit rimer avec qualité. À dix-neuf ans, il séjourne à l’Université de Californie du Sud afin d’améliorer ses connaissances musicales en théorie, et en composition. En 1970, il contribue aux premiers succès des Spinners sur le 'label Motown' tout en poursuivant sa propre série de hits nationaux et internationaux. Sa révolte contre son statut de star et de privilégié se dessine. Pour enfoncer le clou, il renvoie l’ascenseur aux Miracles qui l’avaient découvert, en co-écrivant les 2 min 54 de l’extraordinaire The Tears Of A Clown, l’un des grands succès de l’année 70.


LA SOIF D'INDÉPENDANCE ET DES ALBUMS CONCEPTS

L’année 1971 est une date charnière dans sa carrière. Conforté par ses tubes et une popularité considérable, il se libère du carcan de sa maison de disques, la Tamla Motown, en acquérant un statut d’artiste indépendant au sein de la même société. Un contrat de 120 pages, sans précédent, lui confère une totale liberté d’entreprise. Il aura artistiquement tous les droits d’édition et une garantie substantielle par enregistrement livré.

Après Where I’m Coming From premier album "adulte", en 1972, sa participation en première partie de la tournée des Rolling Stones lui ouvre les bras du public blanc. Dans les stades américains, il casse les barrières musicales et raciales. En mars 1972, Music Of My Mind est l’expression d’un visionnaire libre ; il découvre les synthétiseurs et retrouve les accents africains de ses ancêtres.

Music Of My Mind est le premier album technologique qui inaugure une formule qu’il fera désormais sienne : il fait tout, tout seul (ou presque), joue avec les niveaux vocaux et instrumentaux et rivalise avec les nouvelles grandes gueules de la communauté noire urbaine, les Isaac Hayes, Curtis Mayfield de Shaft, Tough Guys et Superfly, les Quincy Jones et autres Miles Davis jazz-rock, sans oublier quelques participations aussi surprenantes qu’inattendues dont celle de John Lennon et Yoko Ono au Madison Square Garden de New York.


SUPERSTITION, MOI JAMAIS !

En novembre 72, parait Talking Book. Sur le recto de pochette, Stevie se montre sans ses lunettes noires. Son look a bien changé : il est sagement assis, portant un boubou de velours marron, des bijoux bibliques et des nattes. Talking Book confirme ce que l’on percevait déjà dans Music Of My Mind, mais en mieux. Sa musique écrite, produite et arrangée par ses soins est grandiose. L’album est composé de dix titres dont certains deviendront historiques, notamment You Are The Sunshine Of My Life dont l'adaptation française (Tu es le soleil de ma vie) sera immortalisée par le duo Sacha Distel et Brigitte Bardot.


STEVIE WONDER : SUPERSTITION (1972)

De l’album s’échappera également Lookin’ For Another Pure Love, Blame It On The Sun et surtout Superstition qui, avec sa partie clavinet rythmiquement cassante et ses riffs de cuivres ravageurs, provoquera chez les Noirs revenus du Vietnam un sursaut d’énergie. Superstition et son funk endiablé sont le produit de séances avec le guitariste anglais Jeff Beck, pour lequel il avait été écrit à l’origine, et que Stevie conserva afin de mieux négocier son contrat avec Motow.

Grâce à ce titre, il réalise le mariage parfait entre la guitare instrument des années 60 et le synthé, nouveau joujou des « seventies », entre tradition, mythologie populaire et idées du moment. Talking Book lui permet de définir une nouvelle soul music au moment même où se pointe un autre mouvement : le disco. Sa marginalité musicale, au contraire de le desservir, va propulser l’artiste au devant de la scène en étant l’instigateur d’un style basé sur l’emploi de l’électronique et en devenant un réformateur des structures fondamentales de la musique noire.

© Motown Records - Stevie Wonder Talking Book (1973)

Un an après la romance Sunshine Of My Life paraît en 1973, Innervisions. Au moment de la sortie du disque, Stevie Wonder vient d’échapper miraculeusement à la mort dans un accident de voiture le 6 août. Stevie serait -il un visionnaire ? Un fin observateur ? Parmi les titres figure la chanson Living For The City, une déflagration artistique qui célèbre les beautés des grandes villes américaines éclatées, déjà au bord de la décadence. Avec ce disque naît la première black pop star, bien avant Michael Jackson. Stevie rêve d’un Jésus pacificateur et provocateur revenant sur terre. La séance restée inédite enregistrée à Los Angeles avec les deux ex-Beatles, Paul McCartney et John Lennon, Midnight Special, témoigne de l’impact et de l’influence du chanteur sur le monde artistique.

Dans Fullfillingness First Finale (1974), il devient un poids lourd, un perfectionniste à tête chercheuse. Il prouve une nouvelle fois qu’il est capable des évolutions les plus déroutantes, se dirigeant vers une musique moins « immédiate », mais toujours aussi attachante et inégalée. Boogie On Reggae Woman célèbre joyeusement les femmes noires tandis que Heaven Is 10 Zillion Light Years Away dénonce l’injustice et en appelle de nouveau à Dieu. Des artistes sont invités : les Jackson 5, Paul Anka, The Persuasions assurent au fil des plages différents chœurs, mais aussi Michael Semballo, Deneice Williams et Syreeta Wright que l’on retrouvera pour l’album phare de sa carrière : The Songs In The Key Of Life.


LES CHANSONS CLÉS DE LA VIE

Le choc. En vingt-deux titres, The Song In The Key Of Life réalise la synthèse fulgurante entre un rock blanc et une musique soul raffinée, entre le versant Beatles et le versant Sly Stones sur fond de paroles sociales et de visions mystiques. Ses arrangements brillants le placent au niveau d’un Duke Ellington, roi du jazz, mort en mai 74 et auquel il rend hommage dans Sir Duke.

N°1 aux USA pendant un trimestre, Songs In The Key Of Life est le premier album de l’histoire de la musique enregistrée à entrer directement n°1 dans les classements d’Outre-Atlantique. Pour ce disque, Stevie Wonder a vu les choses en grand. Autour de lui, de nombreux artistes n’ont pu résister à l’invitation. Citons : les guitaristes George Benson et Michael Sembello (qui sera l’auteur de Maniac de Flashdance), la flûtiste Bobbi Humphrey (que l’on entend dans Another Star), les claviéristes Ronnie Foster et Herbie Hancock (qui improvise dans As), et une section de cuivres déjà prête à swinguer (Glen Ferris, trombone ; Jim Horn, Hank Redd et Trevor Lawrence, sax ; Steve Madaio, trompette).


STEVIE WONDER : I WISH (Live in London - 2009)

Contrairement aux albums précédents, le son a changé. L’orchestration est peut-être plus conventionnelle, mais toujours différente, surprenante. Chaque nouvelle plage ne ressemble en rien à la précédente. Le double album est d'une grande richesse musicale. Ce qui retient aussi l’attention, c’est la diversité des influences, tantôt jazz (Sir Duke), jazz-rock (Contusion) ou encore gospel (As réinvente les fondations comme jamais). En termes de popularité les titres I Wish et Is’nt She Lovely deviendront les alter ego d'As ou de Sir Duke.



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