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MUSIQUE DE FILMS

MAURICE JAUBERT, PORTRAIT ET TÉMOIGNAGES DE RENÉ CLAIR, JULIEN DUVIVIER ET JEAN VIGO

Maurice Jaubert, compositeur du cinéma français d'avant-guerre, comprend d'emblée que la musique de films, loin de limiter l'inspiration des compositeurs, est le reflet de sources neuves et ouvre des voies inexplorées. Pour lui, le nouveau cinéma ne sera pas un moyen de créations inférieures, tout ce qui touche son métier doit être pris au sérieux, même la légèreté des détails. Maurice Jaubert savait qu'il n'y a pas de forme d'art dans laquelle le talent ne puisse s'affirmer.


MAURICE JAUBERT, UN COMPOSITEUR AU SERVICE DE L'IMAGE (TÉMOIGNAGES)

René Clair (metteur en scène) : le film "14 Juillet"

« Je préparais à ce moment-là le film "14 juillet" et un jour par hasard, mon ami Jean Grémillon, metteur en scène comme moi, mais également musicien distingué, me joue au piano quelques valses de sa composition et dans l'une je trouve l'idée que je cherchais. J'en parle (cela était un peu embarrassant) à Maurice Jaubert et dès nos premières conversations, je m'aperçois que je suis tout à fait d'accord avec ce qu'il pense sur la collaboration de l'auteur du film et du compositeur. Cet homme voyait avec ce sérieux qui le caractérisait, ce que devait être la musique au cinéma ; une musique qui n'était pas au premier plan, qu'il fallait en supplément de l'action, de l'atmosphère du film ; donc notre collaboration pour "14 juillet" commença et la partie musicale fut construite en somme par une seule chanson, un seul air appelé "la valse du 14 juillet". »

En 1933, pour Zéro de conduite de Jean Vigo, pour la séquence du ralenti, au dortoir, voulant donner une équivalence sonore à la distorsion des images, Maurice Jaubert a l'idée d'enregistrer un thème de valse à l'envers, de re-inverser la bande au montage, donc restituant l'ordre des notes, mais inversant leur émission, ce qui fait une sorte d'aspiration extraordinaire de la musique.

Procédé technique aujourd'hui très utilisé dans les musiques échantillonnées, mais ici avec un demi-siècle d'avance ! L'autre élément important à retenir de Maurice Jaubert, est son souci d'intégrer sa musique dans le discours sonore du film ; le meilleur exemple est sans doute dans L'Atalante où le thème d'amour démarre sur un rythme commandé par le moteur de la pellicule.

Julien Duvivier (metteur en scène) : "Carnet de bal"

« La musique dans les films est un peu la parente pauvre. On la considère en général comme un élément sonore destiné à occuper les oreilles, lorsque pèse pour de rares instants la dictature des mots ; et c'est sans doute pour cette raison que la critique, et derrière elle le public, ne s'attarde guère à discuter la qualité d'une partition musicale d'un film. J'ai toujours pensé que la musique était un des éléments essentiels du spectacle cinématographique. J'ai toujours apporté beaucoup de soins dans le choix du compositeur et dans notre collaboration. »

« C'est à René Clair que je dois d'avoir rencontré Maurice Jaubert, Je le vis un matin arriver au studio "François 1er" dans la poussière et le vacarme des décors que nous plantions pour le film "Carnet de bal". Je recherchais un thème musical, celui-ci devait être en accord avec le fond dramatique du film ; une mélancolique confrontation entre le présent et les espoirs déçus du passé. J'expliquais mon sujet en quelques mots à Maurice Jaubert. Je désirais quelque chose comme la valse triste de Sibelius, une musique poignante et évocatrice. Le lendemain même, Jaubert m'apporta la valse que le film et surtout le disque ont rendu célèbre. Cette valse, on ne peut l'entendre sans être plongé tout vif dans un monde féerique qui, plus encore que l'image, ressuscite toute la tristesse des amours passés. »


MAURICE JAUBERT : UN CARNET DE BAL (Valse)

Marcel Carné (metteur en scène) : "Quai des brumes"

« Maurice Jaubert venait constamment au tournage, ce qui est rare pour un musicien. Il disait s'imprégner de l'atmosphère du film. Il demandait qu'on lui projette les "rushes" (ce sont les scènes "brutes" tournées le jour même sans montage). Il venait le plus souvent possible, puis il commençait à prendre les minutages des séquences du film. À ce moment-là, il travaillait de son côté jusqu'au jour où il me jouait au piano certains des thèmes qu'il avait imaginés. Jaubert apportait dans son travail un sérieux, une gravité indéniable comme dans "Quai des brumes" »

Jacques Prévert (scénariste, dialoguiste)

« Il faisait la petite bouche et la sourde oreille, un garçon tellement doué. Maurice travaillait comme un ouvrier. Les metteurs en scène l'appelaient pour travailler avec lui. Sa musique devenait de plus en plus belle. Une musique pleine d'amour, de tendresse, de compassion pour les plaisirs et les malheurs du monde ; pleine de révoltes aussi pour la misère des hommes. Parce qu'il comprenait le cinéma, le cinéma devenait plus sûr de lui… alors, ceux qui méprisaient le cinéma, ceux pour qui le cinéma n'était pas un art, s'intéressaient quand même à lui, car bien que n'étant pas un art, le cinéma, c'est tout de même, ce qui n'est pas à négliger, une industrie. Ils se résignèrent alors en haussant les épaules et en soupirant, en proposant à leur tour de la musique de films, de la musique de droit d'auteur. »

Jean Lodz (metteur en scène) : "La Seine"

« J'avais eu l'idée de faire plusieurs films documentaires sur les fleuves de France. Évidemment, je m'étais attaqué au premier qui était sous la main… la Seine. Une fois le film terminé, je repris contact avec Jaubert, car les conversations que nous avions eues auparavant me fit penser immédiatement que nous possédions pas mal d'affinités. Il visionna le film et il composa une musique de film qui est certainement une de ses plus belles, une suite orchestrale qui rehaussa la qualité propre de mes images. »


LA MUSIQUE DU FILM LE MENSONGE DE NINA PETROVNA

Maurice Jaubert était un musicien et un ami précieux comme le montrent ces différents témoignages des gens du cinéma. Cet amour pour le 7e art remonte du temps où le cinéma parlant n'existait pas encore.

Avant de devenir l'un des compositeurs phares du cinéma français des années 1930, Maurice Jaubert a écrit une suite symphonique pour un film, Le Mensonge de Nina Petrovna de Hanns Schwarz en 1929. Comme il était l'habitude dans ce temps-là, la musique était interprétée en direct pendant la projection du film. De cette musique, il n'y avait aucune trace enregistrée, du moins dans son intégralité. Fort heureusement, en 1987, la Radio télévision suisse italienne a eu l'heureuse idée de confier au musicologue Carlo Piccardi l’enregistrement de la partition complète. L'orchestre, dirigé par Giorgio Bernasconi, permet d'écouter avec une qualité sonore irréprochable une œuvre substantielle d’un pionnier décédé il y a maintenant 80 ans.


MAURICE JAUBERT : LE MENSONGE DE NINA PETROVNA (1929 - extrait du film)
Ce drame romantique raconte les infortunes d'un couple illégitime formé par la maîtresse (Brigitte Helm) d’un colonel de l'armée et un jeune aspirant officier (Francis Lederer).

MAURICE JAUBERT ET FRANÇOIS TRUFFAUT

Le musicien, en dehors de ses partitions pour le cinéma, a écrit deux œuvres importantes auxquelles il tenait beaucoup et qui méritent d'être entendues : Quatre romances de Touiet (1924) et Barbe Bleu, un opéra.

En 1939, Maurice Jaubert écrit sa dernière musique de film, Le jour se lève. Une musique complètement athématique, purement rythmique et sensorielle, c'est-à-dire quelque chose d'absolument neuf dans la musique de film de l'époque. Il décédera l'année suivante.

Pendant les 10 années de sa trop courte carrière cinématographique, ce compositeur, pourtant destiné dans sa jeunesse à suivre une carrière d'avocat, aura fait évoluer la musique de films de façon significative et bien plus tard, quand le metteur en scène François Truffaut découvrira ses musiques, celui-ci s'empressera de les utiliser pour quelques-uns de ses films : L'homme qui aimait les femmes, L'argent de poche

Par Elian Jougla (Cadence Info - 01/2020)


FILMOGRAPHIE DE MAURICE JAUBERT
  • 2001 - Éloge de l'amour, de Jean-Luc Godard
  • 1977 - La chambre verte, de François Truffaut
  • 1977 - L'Homme qui aimait les femmes, de François Truffaud
  • 1976 - L'Argent de poche, de François Truffaud
  • 1975 - L'Histoire d'Adèle H., de François Truffaud
  • 1939 - Le Jour se lève, de Marcel Carné
  • 1938 - La Fin du jour, de Julien Duvivier
  • 1938 - Hôtel du Nord, de Marcel Carné
  • 1938 - Le Quai des brumes, de Marcel Carné
  • 1937 - Drôle de drame, de Marcel Carné
  • 1937 - Un carnet de bal, de Jean Vigo
  • 1934 - L'Atalante, de Jean Vigo
  • 1933 - Zéro de conduite, de Jean Vigo
  • 1932 - 14 Juillet, de René Clair
  • 1929 - Le mensonge de Nina Petrovna, de Hanns Schwarz
  • 1925 - Nana, de Jean Renoir


À CONSULTER

MAURICE JAUBERT, POUR MÉMOIRE

Le label 'Disques Cinémusique' répond à un intérêt croissant pour la musique de film de Maurice Jaubert avec un album regroupant plusieurs de ses compositions difficiles à trouver faute de support discographique. Les extraits présentés ont été remasterisés à partir des meilleures sources existantes.

GEORGES DELERUE : BO INÉDITES ET CONCERT MAURICE JAUBERT

Le label 'Disques Cinémusique' propose deux perles rares en CD : les BO de 'Bestiaire d'amour' et 'Mona' composées par Georges Delerue et un concert inédit de Maurice Jaubert, compositeur influent d'avant-guerre.

LES COMPOSITEURS FRANÇAIS D'AVANT-GUERRE

Dès le début de l'histoire du cinéma, des compositeurs français ont réussi à produire des musiques de films originales estampillées à la française. Cette page propose de partir à la rencontre de ces compositeurs aujourd'hui oubliés.


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