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MUSIQUE DE FILMS

MILES DAVIS : ASCENSEUR POUR L’ÉCHAFAUD, LA MUSIQUE DU FILM

Il existe parfois des films dont la seule évocation du titre renvoie autant à son atmosphère pesante qu’à sa musique. C’est le cas d’Ascenseur pour l’échafaud, réalisé par Louis Malle en 1957, et dont la BO signée par le trompettiste de jazz Miles Davis transporte autant de mystère que de noirceur douce amère.


LA SYNOPSIS D'ASCENSEUR POUR L'ÉCHAFAUD

Ascenseur sur l'échaffaud repose au départ sur une banale histoire d’adultère et un crime qui se veut parfait…

Un homme, Julien Tavernier (Maurice Ronet), est l’amant de Florence (Jeanne Moreau), la femme de son patron. Dans ce « Facteur sonne toujours deux fois » version Louis Malle, le couple hors-la-loi réussit le crime quasi parfait en assassinant le mari gênant. Voulant effacer un indice compromettant qu'il a oublié, Julien se retrouve bloqué dans l'ascenseur qui doit le reconduire sur les lieux du crime. Pendant ce temps, sa maîtresse l’attend en vain, non loin de là, dans un café… mais ne le voyant pas revenir, elle décide de partir à sa recherche, en vain. Entre-temps, un jeune livreur a volé la voiture de Julien pour épater sa petite amie, mais tue accidentellement deux touristes allemands. Pendant ce temps Julien fait tout ce qu'il peut pour essayer de s'extraire de l'ascenseur…


MILES DAVIS ET LA MUSIQUE D’ASCENSEUR POUR L’ÉCHAFAUD

Dans les années 50, le polar est très tendance aux États-Unis comme en France. Par habitude, par fonction, la musique jazz est souvent invitée dans ce genre-là (Des femmes disparaissent, d'Édouard Molinaro; musique : les Jazz Messengers d'Art Blakey / Je veux vivre ! (I Want to Live!) de Robert Wise, musique : Johnny Mandel / Autopsie d'un meurtre (Anatomy of a Murder) d’Otto Preminger, musique : Duke Ellington...). À tort ou à raison, elle s’insinue là où l’ombre prend autant d’importance que la lumière, là où la violence et le supense s'amuse à côtoyer le sexe et la drogue. Que ce soit dans une ruelle étroite et ténébreuse éclairée seulement par la lueur blafarde d'un réverbère ou encore dans l’atmosphère enfumée d’un club, là où la musique cohabite parfois avec le bruit des couteaux et des fourchettes, le jazz laisse planer avec bonheur ses accords dissonants. Dans Ascenseur pour l’échafaud, il n’y a place que pour lui. Le jeune réalisateur Louis Malle, grand amateur du genre, en avait ainsi décidé.

Ascenseur pour l’échafaud est son premier long métrage. Cet ancien assistant de Jacques-Yves Cousteau (Monde du silence – 1955) partage avec le cinéma de la Nouvelle Vague plusieurs caractéristiques. Le réalisateur est vigilant, voire critique, et lors de la finalisation de son film, il est mécontent de la bande son qui lui est proposée. Ce passionné de jazz joue sur les codes du film noir et remet en cause la dramaturgie du cinéma classique en souhaitant offrir à la musique une fonction essentielle, celle de construire un trait d’union entre l’image, l’action et le son.

Ses deux assistants, que sont François Leterrier et Alain Cavalier, lui soumettent l’idée de faire appel à Miles Davis par l’intermédiaire de Marcel Romano, un organisateur de concerts et une figure bien connue de la scène jazz française. À ce moment-là, Miles Davis effectue une tournée européenne en compagnie du pianiste René Urtreger. Rien n’est sûr, mais l’idée arrive néanmoins aux oreilles du trompettiste. Ce dernier assiste à une projection privée et séduit, finit par signer un contrat seulement deux jours avant d’entrer en studio.

Miles Davis, qui n’est pas un spécialiste dans le domaine de la musique de films, va toutefois parvenir à synthétiser l’atmosphère de ce film noir en usant d’un jazz modal dont il expérimentera l'usage dans plusieurs compositions (album KInd of Blue). Le soir du 4 décembre 1957, entourés de René Urtreger au piano, Pierre Michelot à la contrebasse, de Kenny Clarke à la batterie, sans oublier la nouvelle recrue, Barney Willen au saxophone, Miles Davis assiste devant un écran géant à la projection de quelques séquences, notamment celles qui montrent Jeanne Moreau en train de marcher le long d’un trottoir des Champs-Élysées et celle du motel de Trappes.

Dès lors, tout va alors aller très vite… car toute la BO qui va être enregistrée ce soir-là va reposer sur de l’improvisation. La classe des musiciens accompagnateurs, leur expérience et la maîtrise de Miles Davis dans la sonorité de sa trompette suffisent à transformer ce film mineur en légende. Au départ, une simple modulation construite sur deux accords appuyés, le frottement lancinant des balais, la contrebasse pesante et la trompette aérienne de Miles font rejaillir des improvisations à la fois mélancoliques et plaintives, une sorte d’errance sonore qui se joint merveilleusement aux images tournées par Louis Malle. À cinq heures du mat, l’enregistrement est bouclé. Le miracle a eu lieu. Miles Davis et ses musiciens rangent leur instrument et s’en vont.

On peut lire au dos de la pochette quelques notes écrites par Boris Vian : « On remarque, dans la plage ‘Dîner au motel’, la sonorité étrange de la trompette de Miles. Un fragment de peau s’est détaché à un moment de sa lèvre pour se coincer dans l’embouchure. » Anecdote mise à part, il faut bien reconnaître que la musique de Miles Davis ne souffre d’aucune ambiguïté. Elle est immédiate, spontanée et entière comme peut l’être toute improvisation servie par des mains expertes, avec ici une tonalité feutrée qui contraste encore plus avec la superbe photographie nocturne d’Henri Decaë et de Jean Rabier.


MILES DAVIS IMPROVISE FACE À L'ÉCRAN

Aujourd’hui, la BO d’Ascenseur pour l’échafaud est devenue une référence dans l’histoire des musiques de films. Son étonnante et spectaculaire construction en un temps record, sa musicalité aussi, méritent amplement le 'Grand Prix du disque de l'Académie Charles-Cros' qui lui fut décerné. Pour Miles Davis, elle sera essentielle dans la suite de sa carrière ; une sorte de prise de conscience que tout devenait possible simplement et librement.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 08/2017)


LES TITRES CONTENUS DANS LA BO ORIGINALE

  • 1. Générique
  • 2. L'assassinat de Carala
  • 3. Sur l'autoroute
  • 4. Julien dans l'ascenseur
  • 5. Florence sur les Champs-Élysées
  • 6. Dîner au motel
  • 7. Évasion de Julien
  • 8. Visite du vigile
  • 9. Au bar du Petit Bac
  • 10. Chez le photographe du motel

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