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MUSIQUE DE FILMS

CINÉMA ET OPÉRA, UN CHALLENGE FACE À L'IMAGE

Le rapport entre l'opéra et le cinéma, est-il toujours fructueux ? La question mérite d'être posée, d'autant que les tentatives d'intégrations à l'image n'ont pas été rares, se logeant entre l'adaptation de célèbres opéras et quelques airs populaires...


L'OPÉRA AUX MULTIPLES REPRÉSENTATIONS

La présence de l'opéra au cinéma a eu de multiples usages, le plus représentatif étant l'opéra filmé et adapté pour grand écran, comme Carmen de Bizet de Francesco Rosi. Toutefois, comme toute autre musique préexistante, le 7ᵉ art a exploité son univers à différentes fins, simplement en plongeant dans ses ressources discographiques, si c'est nécessaire.

Dans l'immense majorité des films, la mise en situation des scènes musicales est rarement quelconque ou anecdotique. Celles-ci impliquent fréquemment une utilisation à des instants précis, mettant en valeur le caractère des personnages ou traduisant un moment clé dans le déroulement du film. L'opéra peut être alors écouté... ou fredonné, à l'occasion. Néanmoins, sur le fond, son utilisation sert avant tout de décor pour illustrer des scènes indispensables constituées de personnages dont les rôles trouvent leur inspiration dans les mœurs que traversent chaque génération.

© picryl.com - Une scène du film "Le fantôme de l'opéra' dans sa version muette, datant de 1925.

À l'époque du cinéma muet, l'opéra était déjà présent. Le fantôme de l'opéra (Phantom of the Paradise), d'après le roman éponyme de Gaston Leroux, sera adapté pour la première fois en 1924 à l'écran par le cinéaste américain Rupert Julian. Synonyme de film d'horreur, le sujet sera exploité à de multiples reprises, comme en 1940 par Arthur Lubin avec Claude Rains dans le personnage du fantôme masqué ou dans une autre version signée par Dario Argento, en 1998, avec Julian Sands et Asian Argento. Cependant, la version la plus libre n'est autre que celle proposée par Brian de Palma, en 1974, qui s'offre le luxe d'une adaptation musicale « pop » du livre de Gaston Leroux.

À ce stade de l'exposé, toujours est-il que ce qui représente au mieux l'image de l'opéra sur grand écran est sans contexte la mise en valeur de leurs interprètes, à commencer par les chanteuses et chanteurs, qu'ils soient en groupe ou seul. Dans ce domaine, le cinéma ne manque pas d'idées en s'appuyant sur des scénarios de situation... Dans Et vogue le navire de Federico Fellini, en 1983, les airs prennent le vent du large pour une croisière qui rend hommage à l'un des leurs, tandis que pour Quartet, de Dustin Goffman, en 2012, il s'agira de célébrer l'anniversaire de Verdi autour de quelques interprètes amateurs.

Naturellement, c'est couramment le soliste qui retient l'attention et qui personnifie la singularité d'un opéra. Le personnage peut être on ne peut plus réel, à l'image du castrat Carlo Broschi, alias Farinelli, qui aura droit à son biopic en 1994 dans le film de Gérard Corbiau, Stefano Fionisi incarnant le rôle du célèbre chanteur. D'un autre côté, le héros du film peut surgir de l'imaginaire d'un auteur. Dans le film La luna, de Bernardo Bertolucci, en 1979, l'histoire prend à témoin des opéras de Verdi pour bâtir le rôle de la cantatrice Caterina Silveri incarné par Jill Clayburgh.


"PHANTOM OF THE PARADISE" (version Brian de Palma - bande annonce VOST)

L'OPÉRA ET SES PERSONNAGES

Les représentations à l'opéra ne peuvent être désolidarisées du récit. Le spectacle peut succomber aux ténèbres quand il reprend le mythe du séducteur puni (Don Giovanni, sur une musique de Mozart et réalisé par Miloš Forman, en 1984). La dramaturgie musicale l'emporte sur scène, mais aussi à l'extérieur, transfigurant dans Le parrain (3) de Francis Ford Coppola, le visage d'un amour impossible entre Vincent Mancini-Corleone (Andy García) et Mary Corleone (Sofia Coppola).

Par ailleurs, le lyrisme et la flamboyance des sentiments portés par l'opéra favorisent les rapprochements sentimentaux, à l'exemple du film Le temps de l'innocence de Martin Scorsese, entre Daniel Day-Lewis et Michelle Pfeiffer, lors d'une représentation de Faust de Charles Gounod. L'œil de la caméra s'attarde parfois dans les loges, voire dans les rangées pour saisir les regards amoureux échangés : Charlotte Rampling et Dick Bogarde (Portier de nuit de Liliana Cavani, en 1974) ou entre Emily Mortimer et Jonathan Rhys-Meyers (Match Point de Woody Allen, en 2005).

(capture Youtube) - Une image extraite du film "Le cinquième élément" dans laquelle est entendu le morceau "Lucia di Lammermoor" provenant de l'opéra de Gaetano Donizetti et interprétée par Inva Mulla.

La plupart du temps, l'intrigue des opéras se partage entre amour et trahison. À l'âpreté des mots surgit alors de la violence physique, une raison suffisante pour être évoqué au cinéma comme dans Opéra de Dario Argento et Les Incorruptibles de Brian de Palma. Parfois même sur scène (Le cinquième élément de Luc Besson, en 1997).

En poursuivant, nous pourrions affirmer que l'opéra a servi de vecteur à des situations d'où surgissent clairement des émotions : l'émoi de Kate Winslet face à la représentation de sa fille dans la mini-série Milfred Pierce, en 2011 ; le dramatique Birth de Jonathan Glazer avec une scène poignante qui montre Nicole Kidman, le regard fixe, emportée par le trouble jusqu'à l'absence, de même que les larmes retenues de Jean Reno dans Margaret de Kenneth Lonergan ou celles de Cher en compagnie de Nicolas Cage dans Éclair de lune de Norman Jewison. Du reste, la comédie s'invite pareillement. Comment ne pas être saisi, en effet, par le regard soutenu de Julia Roberts découvrant pour la première fois le spectacle d'un opéra au côté de Richard Gere dans Pretty Woman de Garry Marshall... Bref, l'opéra s'invite un peu partout, au point d'imaginer que le spectacle est autant sur scène qu'auprès du public venu assister aux représentations.


"PRETTY WOMAN"
Quand Vivian (Julia Roberts) découvre l'opéra...

L'OPÉRA, SIÈGE DE L'HUMOUR

Pour finir ce rapide tour d'horizon de l'opéra au cinéma, comment ne pas évoquer la place tenue par l'humour et la drôlerie. L'un des meilleurs exemples étant la castafiore Héléna Bourdelle (Jacqueline Maillan) dans Papy fait de la résistance de Jean-Marie Poiré, en 1983, et pour lequel les verres de cristal finiront par éclater dans l'intention de souligner la performance vocale de la Diva.

Les Marx Brothers et leur folie brilleront dans Une nuit à l'opéra de Sam Wood, en 1935, film dans lequel les foldingues Fiorello (Chico Marx) et Tomasso (Harpo Marx) se livreront à un sabordage du Trouvère de Verdi autant qu'ils le pourront, parvenant même à escamoter la prestation du ténor Rodolfo Lasspari (Walter Woolf King).

© Valoria Films (capture écran Youtube) - Louis de Funès dirigeant l'orchestre de l'Opéra de Paris dans le film "La grande Vadrouille" (1966).

Saluons également la séquence d'anthologie du chef d'orchestre particulièrement autoritaire Stanislas Lefort (Louis de Funès) dirigeant l’Ouverture de « la Damnation de Faust » de Berlioz dans la fosse de l’Opéra issue de La grande Vadrouille de Gérard Oury, en 1966. Enfin, la Palme d'Or pourrait bien revenir à la scène loufoque du film de Woody Allen (To Rome with love) dans laquelle le chanteur Jack (Jesse Eisenberg), qui n'a de disposition à bien chanter que sous la douche, est contraint d'en prendre une face au public, lors de chaque représentation, pour retrouver ses capacités vocales !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 03/2024)


RÉCAPITULATIF CINÉMATOGRAPHIQUE

  • Birth, de Jonathan Glazer (2004)
  • Carmen, de Francesco Rosi (1984)
  • Don Giovanni, de Miloš Forman (1984)
  • Éclair de lune, de Norman Jewison (1987)
  • Et vogue le navire, de Feferico Fellini (1983)
  • Farinelli, de Gérard Corbiau (1994)
  • La grande Vadrouille de Gérard Oury (1966)
  • La luna, de Bernardo Bertolucci (1979)
  • Le cinquième élément, de Luc Besson (1997)
  • Le fantôme de l'opéra, de Rupert Julian (1924)
  • Le fantôme de l'opéra, de Arthur Lubin (1940)
  • Le fantôme de l'opéra, de Brian de Palma (1974)
  • Le fantôme de l'opéra, de Dario Argento (1998)
  • Le parrain, 3e partie, de Francis Ford Coppola (1990)
  • Le temps de l'innocence, de Martin Scorsese (1993)
  • Les Incorruptibles, de Brian de Palma (1987)
  • Margaret, de Kenneth Lonergan (2012)
  • Match Point, de Woody Allen (2005)
  • Milfred Pierce, de Todd Hayne (2011)
  • Opéra, de Dario Argento (1987)
  • Papy fait de la résistance, de Jean-Marie Poiré (1983)
  • Portier de nuit, de Liliana Cavani (1974)
  • Pretty Woman, de Garry Marshall (1990)
  • Quartet, de Dustin Goffman (2012)
  • To Rome with love, de Woody Allen (1992)
  • Une nuit à l'opéra, de Sam Wood (1935)

Autres films non cités et dans lesquels prend part l'opéra :

  • Citizen Kane, d'Orson Welles (1941)
  • Diva, de Jean-Jacques Beinex (1981)
  • Harvey Milk, de Gus Van Sant (2008)
  • L'heure du loup, d'Ingmar Bergman (1968)
  • La cérémonie, de Claude Chabrol (1995)
  • La vie est belle, de Roberto Benigni (1997)
  • Les derniers jours du monde, des frères Larrieu (2009)
  • Les infiltrés (The departed), de Martin Sorcese (2006)
  • Les parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy (1964)
  • Madame de, de Max Ophüls (1953)
  • Main dans la main, de Valérie Donzelli (2011)
  • Marie-Antoinette, de Sofia Coppola (2006)
  • Marguerite, de Xavier Giannoli (2015)
  • Quantum of solace, de Marc Forster (2008)
  • Sissi, d'Ernst Marischka (1955)
  • Two Lovers, de James Gray (2008)

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