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MUSIQUE DE FILMS

LA MUSIQUE CLASSIQUE AU CINÉMA : HISTOIRE ET FILMOGRAPHIE

Si la musique écrite pour le cinéma et la télévision possède des codes bien spécifiques, ignorer le catalogue des œuvres classiques aurait été une erreur…


LES PREMIERS POSTULANTS

Bien après que Debussy ait posé les prémices d’une révolution musicale, les musiciens classiques continuaient de chercher de nouvelles façons de composer, d’illustrer leur élan créatif. Le cinéma était comme un appel. Grâce à la magie mystérieuse des images, le 7e art devenait le support idéal. Les sujets étaient vastes. Tout ou presque restait à conquérir.

Vers 1925, quand la technique entrevoit l’enregistrement en direct d'une musique synchronisée, certains compositeurs imaginent déjà une écriture qui pourrait cohabiter parfaitement avec le déroulement des séquences. Malgré les faiblesses techniques, les premiers essais sont très encourageants. Quant au public, il est enthousiasmé par ce mariage révolutionnaire qui contribue à renforcer le jeu des acteurs.

Il est important de signaler qu'en France, dès 1921, quelques années avant l’arrivée officielle du cinéma parlant, le compositeur français Arthur Honegger s'était lancé dans l’aventure en composant la musique du film d’Abel Gance, Napoléon. Encore plus inattendue et joyeuse, la musique d’Erik Satie, composée au départ pour un ballet, devient entre les mains du metteur en scène René Clair la musique d'un film intitulé Entracte (1924). Citons aussi parmi ces compositeurs issus du monde classique, le Russe Sergueï Prokofiev qui composa la musique sombre et dramatique d'Alexandre Nevski d’Eisenstein en 1938.

Un nouveau langage venait de naître, complémentaire de l’image et capable de remettre en question l'univers encore trop omniprésent du jeu théâtral. Dès les années 30, la musique de films "croquait" intelligemment les nouveaux espaces : le western, le policier, mais aussi la science-fiction et le fantastique (King Kong signée par Max Steiner).


LA MUSIQUE DE FILMS SE SPÉCIALISE

Au fil des années, le cinéma, qui devient de plus en plus maître dans le domaine du traitement de l’image et de la mise en scène, souhaite également obtenir des résultats analogues de la part de la musique. Celle-ci doit devenir vraiment complémentaire de l’action qui se déroule sur l’écran. L’aventure n’est plus et les certitudes doivent prendre place.

La musique à l’image devient une spécialité, un sacerdoce pour certains compositeurs qui affinent leur écriture à la note près, à la seconde près. Cela fait émerger de nombreuses créations d’œuvres originales comme le Concerto de Varsovie de Richard Addinsell pour Dangerous Moonlight (1942).

Les années 40 marquent un tournant et voient apparaître des musiques qui allient musique folklorique et musique classique, mais aussi des instruments inusités dans le cinéma, comme en témoigne la musique du film The Third Man (Le troisième homme - 1949) d’Anton Karas qui laisse entendre dans son thème principal une cithare. Des années plus tard, le compositeur Alex North fera de même avec le film de Stanley Kubrick, Spartacus(1960).

Si à Hollywood la musique de films aux allures symphoniques tient encore le haut du pavé, l’arrivée prépondérante du film dramatique et du policier des années 50 va imposer une musique servant parfaitement ces genres-là, encore trop ignorée, voire méprisée, mais éminemment porteuse de clichés  : le jazz. Dans le film The Man with the Golden Arm (L’homme au bras d’or – 1955), Elmer Bernstein composera à ce titre une musique de situation qui imprègnera les décors du film (night-club) ; une musique de jazz qui saura s’acoquiner à l’univers du jeu et de la débauche.

Les années 60 vont devenir, pour la musique de films, les années du renouveau. En Italie, Ennio Morricone révolutionne, avec son ami Sergio Leone, l’image du Western, tandis qu'en France, le compositeur Michel Legrand triomphe avec la surprenante comédie musicale de Jacques Deray, Les parapluies de Cherbourg (1963) ; elle-même suivie d'une autre quelques années plus tard : Les demoiselles de Rochefort (1967). Autre mélodiste de talent, Francis Lai. Le compositeur autodidacte impose à la musique de films des vertus commerciales à travers le film Un homme et une femme de Claude Lelouch en 1966.


LE RETOUR DE LA MUSIQUE CLASSIQUE À L’ÉCRAN

Pendant que la musique de films vit sa propre évolution et ses remises en question, la musique classique est loin d’avoir été mise au placard. À côté d’une musique spécialement écrite pour l’écran, l’utilisation d’une musique préexistante attire encore de nombreux metteurs en scène. Outre l’arrivée de chansons dans les génériques, la musique classique, avec sa dramaturgie sonore, son imposante habileté à déchiffrer les décors imaginaires, retient toujours l’attention.

Le metteur en scène Stanley Kubrick en fera son cheval de bataille, cependant l'auteur de 2001, l'Odyssée de l'espace ne sera pas le seul à être sensible aux envolées des maîtres de la symphonie et du concerto. En France, Bertrand Blier et Coline Serreau seront exploiter la musique classique comme autant de carte d’identité sonore. La musique classique sera capable de transporter le spectateur dans des scènes émouvantes, mais aussi humoristiques, bien loin du décor qu'on lui accorde généralement.


HAENDEL : SARABANDE (du film Barry Lyndon)

Puisant dans le répertoire classique, les metteurs en scène ne sont pas les seuls à voir dans la musique classique un excellent moyen pour promouvoir leurs films, les producteurs aussi ! La musique classique est alors attaquée, arrangée pour convenir aux besoins de tout échafaudage. Le célèbre Boléro de Maurice Ravel se verra adapté dans le film Les Uns et les Autres de Claude Lelouch et contribuera finalement à son succès.

Les ardents défenseurs de la musique classique déplorent ce procédé qui conduit à transgresser l’œuvre originale et à ne pas respecter l’intégrité du compositeur. Cependant, cette façon d'accaparer la musique classique permet à de nombreux spectateurs de découvrir cette alchimie sonore sous un autre jour.

Le cinéma, s’il n’est pas parfait, son moindre mal est d’avoir permis la découverte de compositeurs classiques quelque peu confidentiels et des œuvres que seul un auditoire de passionné connaissait. Ainsi, le film Tous les matins du monde d’Alain Corneau (1991) a permis non seulement d’explorer l’œuvre du compositeur Marin Marais, d’écouter de la musique baroque, mais aussi d’entrer dans l’histoire étonnante d’un instrument : la viole de gambe. Le film Tous les matins du monde aura eu le mérite de provoquer des vocations et de permettre à cet instrument datant du 17e siècle de retrouver son faste d’antan.


L'OPÉRA FILMÉ

L’autre point fort du cinéma de ces dernières années est d’avoir ragaillardi l’opéra. A part quelques documentaires, le 7e art n'avait consacré que peu de films à des œuvres d'opéra. Or, de nouvelles façons de filmer, de dynamiser le déplacement des acteurs par le mouvement des caméras, d’inventer des mises en scène audacieuses ont fait oublier l’image d’un opéra ennuyeux ou d’un opéra réservé à des passionnés. Une fois de plus, le cinéma, grâce au concours de quelques producteurs courageux, a réussi son pari. Il a réussi là où l’on croyait avoir tout dit, tout vu et tout raconté. De grands opéras ont ainsi été filmés.

Parmi les différentes versions de Carmen, celle réalisée par Francesco Rosi en 1984 dépassera toutes les espérances. Une Julia Migenes triomphante et des rivaux amoureux (Plácido Domingo et Ruggero Raimondi) apporteront à l’œuvre de Georges Bizet une nouvelle lecture resplendissante. D’autres opéras filmés méritent aussi le détour : La Travatia de Verdi (Franco Zeffirelli – 1982), La flûte enchantée de Mozart (Ingmar Bergman – 1975) et Don Juan de Mozart (Joseph Losey – 1979).

Je ne pouvais conclure ce sujet sans citer quelques films consacrés à la vie de célèbres compositeurs : Amadeus, de Milos Forman (1984) avec Tom Hulce dans le rôle de Mozart ; Ludwig van B., de Bernard Rose (1994) avec Gary Oldman pour incarner Beethoven ; ou encore Il était une fois, Jean-Sébastien Bach (2003) avec Christian Vadim dans le rôle de J-S. Bach.

Ces films, bien souvent avec un pied dans l'histoire et un autre dans la fiction, ne cherchent pas à approfondir l’œuvre de ces géniaux compositeurs. Le cinéma n’a pas cette prétention. Pour cela, les documentaires sont mieux adaptés. Généralement, le cinéma tire le portrait des compositeurs à grands traits en laissant à l'écart leur face obscure. Bien souvent, les auteurs mettent plutôt en avant l’aspect dramatique de leur existence. Dans le cinéma, ce genre de parade est efficace et contente le public qui, généralement, n'en demande pas plus.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 07/2016)


Une petite filmographie de la musique classique portée à l'écran

  • Camille de George Cukor (1937) : Verdi (La Travatia)
  • Toute la ville danse de Julien Duvivier (1938) : J. Strauss (Valses)
  • Monsieur Ripols de René Clément (1954) : Mozart (Don Juan)
  • Sept ans de réflexion de Billy Wilder (1955) : Rachmaninov (2e concerto pour piano)
  • Le procès d’Orson Welles (1962) : Albinoni (Adagio)
  • Mon amour, mon amour de Nadine Trintignant (1967) : Vivaldi (Concerto pour mandoline)
  • Elvira Madigan de Bo Widerberg (1967) : Mozart (Concerto pour piano n° 21)
  • 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968) : R. Strauss (Ainsi parlait Zarathoustra) J. Strauss fils (Le beau Danube bleu), György Ligeti (Lux Aeterna)
  • La mariée était en noir de François Truffaut (1968) : Vivaldi (Concerto pour mandoline)
  • Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli (1968) : Mozart (Symphonie n° 25)
  • Rosemary Baby de Roman Polanski (1968) : Beethoven (Lettre à Elise)
  • Mort à Venise de Luchino Visconti (1971) : Malher (5e symphonie)
  • Orange mécanique de Stanley Kubrick (1972) : Elgar, Rossini, Beethoven (9e symphonie)
  • Barry Lyndon de Stanley Kubrick (1975) : Bach, Mozart, Haendel (Sarabande)
  • Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier (1978) : Mozart (Concerto pour clarinette)
  • Alien de Ridley Scott (1979) : Mozart (Sérénade en sol majeur)
  • Quelque part dans le temps de Jeannot Szwarc (1980) : Rachmaninov (2e Concerto pour piano)
  • Les Uns et les Autres de Claude Lelouch (1981) : Ravel (Boléro)
  • L'étoffe des héros de Philip Kaufman (1983) : Holst (Les planètes)
  • Amadeus de Milos Forman (1984) : Mozart (Concerto pour piano n° 20)
  • Trois hommes et un couffin de Coline Serreau (1985) : Schubert (Quintette à cordes)
  • Jean de Florette de Claude Berri (1986) : Verdi
  • Out of Africa de Sydney Pollack (1986) : Mozart (Concerto pour clarinette)
  • Le silence des agneaux de Jonathan Demme (1991) : Bach (Variations Goldberg)
  • Carrington de Christopher Hampton (1995) : Schubert (Quintette à cordes)
  • Volte face de John Woo (1997) : Chopin (Prélude n°15)
  • La vie est belle de Roberto Benigni (1998) : Offenbach (Les contes d’Hoffman)
  • Just married (ou presque) de Garry Marshall (1999) : Mozart (Ouv. Les noces de Figaro)
  • Un homme d’exception de Ron Howard (2001) : Mozart (Sonate pour piano n ° 11)
  • Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh (2001) : Debussy (Clair de Lune)
  • Le pianiste de Roman Polanski (2002) : Chopin (Nocturne)

Cette liste ne fait état que d’un certain nombre de films représentatifs de la musique classique portée à l’écran et ne saurait être exhaustive.

À CONSULTER

STANLEY KUBRICK ET LA MUSIQUE CLASSIQUE

La grande force du maître aura été d’utiliser les musiques préexistantes comme si elles avaient été créées spécialement pour ses films. Les BO aurait pu être signées Kubrick sans peine, tellement leur personnalité était écrasante...

VIVALDI AU CINÉMA, DES "QUATRE SAISONS" À LA MUSIQUE SACRÉE

Le cinéma a souvent honoré la musique d'Antonio Vivaldi. Le compositeur vénitien a fréquemment inspiré les metteurs en scène. Tout comme 'Les Quatre Saisons', ses divers concertos et sa musique sacrée, comme le 'Stabat Mater' et le 'Gloria', ont parfois été utilisés par des réalisateurs passionnés comme d'authentiques paris et de véritables engagements."

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