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INSTRUMENT ET MUSICIEN

L’ORCHESTRE, MAIS C’EST QUOI UN ORCHESTRE ?

Il ne viendrait à personne l’idée de considérer un orchestre sous une seule forme, sous une seule apparence. Depuis que les hommes ont cherché à jouer ensemble, le mot « orchestre » a trouvé sur sa route un vocabulaire censé répondre aux différentes situations provoquées par la musique et le jeu en collectif. Pour trouver une réponse ou un semblant de réponse, des mots plus ou moins précis sont apparus : groupe, fanfare, formation, combo, jazz-band, big-band, d'un côté et trio, quatuor, quintette, etc. de l'autre. Faisons le tri et cherchons à comprendre…


L'ORCHESTRE : PETIT RAPPEL HISTORIQUE

Comme le mot « orchestre » est plutôt ambigu, son étymologie nous permettra peut-être d’y voir plus clair. Déjà, il faut savoir qu’à l’origine le concept d’orchestre n'a rien à voir ni avec les musiciens ni avec leurs instruments. En remontant dans la Grèce antique apparaît le mot « orkhéstra » qui traduit la scène proprement dite où le chœur, alors seul acteur, exécutait les danses (órkhēsis). Plus tard, à l'époque classique, le terme désignera l'espace de l'amphithéâtre compris entre le public et la scène, là où se tenaient les chanteurs-danseurs.

D’après quelques historiens, les Grecs n’avaient pas de groupes de musiciens similaires aux ensembles ou aux orchestres comme nous l’imaginons. La raison principale provenait des instruments qui étaient utilisés (kithara, aulos…) et qui ne pouvaient se marier harmonieusement entre eux. D'autre part, ils possédaient une signification religieuse trop différente pour qu'ils puissent s'associer.

© pixabay.com - Orchestre symphonique avec les chœurs en arrière-plan (détails)


LA NOTION D’ORCHESTRE

Jusqu’au 17e siècle, du temps où l’opéra domine, l'orchestre demeure dans cet emplacement contigu à la scène baptisé "fosse d’orchestre". Ce n'est qu'au début du siècle suivant que l'on commence, par métonymie, à appeler orchestre un groupe de musiciens. (source ‘L’orchestre symphonique et ses instruments – Ed. Siri Reuterstrand)

Aujourd’hui encore, la notion d’orchestre reste floue tout en étant rattachée au principe du jeu collectif, du duo jusqu’à l’orchestre symphonique. D’ailleurs, ce dernier n’y échappe pas, car pour certaines personnes, il correspond à une réunion de musiciens jouant sur divers instruments, alors que pour d’autres ce n'est qu'un instrument en soi (comprenez « un son produit collectivement, mais qui a sa propre identité »).

Ces deux points de vue sont défendables, bien que la position du chef d’orchestre soit légèrement différente. Pour lui, ces deux notions ne sont pas totalement complètes ou justes si l’on n’y ajoute pas les différentes valeurs harmoniques, rythmiques et mélodiques qui l’accrédite. C’est d’autant plus vrai si on isole chaque musicien et qu’il se mette à jouer sa partie. Pourquoi ?

Généralement, le but des écritures orchestrales - par rapport à une œuvre écrite pour un seul instrument (piano, guitare, etc.) - est de disséminer les mélodies et harmonies à travers des plans sonores qui se succèdent, se complètent ou se superposent. Par exemple, les différentes phrases mélodiques d’une œuvre pourraient se succéder de cette façon : les premières notes jouées par les violons, la suite avec les cors, retour aux violons pour conclure avec flûtes et trompettes à l’unisson. Cette succession de mélodies ne devrait pas en toute logique nous empêcher de reconnaître l’œuvre, or, bien souvent, sans le soutien des autres instruments qui l’harmonisent, la rythment et lui donnent sens - mais aussi sans une attention particulière -, chaque phase mélodique serait certainement plus décousue, plus difficile à identifier.

C’est donc la manière dont nous percevons la mélodie à travers un ensemble d’instruments qui donne à l’écriture orchestrale sa raison d’être. Toutefois, ne généralisons pas, car il arrive que l’on identifie une œuvre en écoutant seulement les premières notes qui l’introduisent. Citons deux exemples…

Le premier concerto pour piano et orchestre de Tchaïkovski. Les accords successifs joués en introduction sur toute l’étendue du clavier nous permettent de le reconnaître immédiatement. Cet exemple a de particulier que ce n'est pas tant la mélodie qui révèle l’œuvre que le jeu si particulier du piano lors de l'introduction.

Second exemple, mais ici encore plus parlant : la célèbre introduction à la clarinette de la Rhapsody in blue de Gershwin. Celle-ci permet de reconnaître l’œuvre du compositeur en quelques secondes. Pas besoin d’attendre les premières notes du piano pour l’identifier.

Hormis ces deux exemples et quelques autres qui auraient pu être cités, il faut reconnaître qu’une mélodie orchestrée, isolée de son contexte, semblera étrange, manquant de sens. Fort heureusement, le savant dosage orchestral dû à la plume de l’orchestrateur ou du compositeur permet en principe d’éviter cela.

En résumé, ces quelques observations confirmeraient plutôt l’idée selon laquelle un orchestre serait bel et bien un instrument en soi doté d'une palette sonore très riche et d'une grande subtilité, capable de tout et son contraire.


LA PARENTHÈSE DE L'HOMME-ORCHESTRE

Pour la plupart d'entre nous, il n'est d'orchestre que s'il y a plusieurs musiciens. Toutefois, il fut un temps où il existait l’homme-orchestre de rue. Imaginons-le cet homme avec les deux mains occupées par la guitare, avec une grosse caisse placée dans le dos, actionnée par l’une des jambes à l’aide d’une corde, avec des grelots attachés aux chevilles pour accompagner en rythme la mélodie jouée à l'harmonica.

Serait-ce alors une autre façon de considérer la notion d’orchestre, puisque ce musicien joue de plusieurs instruments à la fois ? Le terme courant d'« homme-orchestre » le laisserait penser. Ce rapprochement du musicien unique, multi-instrumentiste, ne pourrait-il pas se faire de la même façon avec les claviers workstations ou arrangeurs qui sont capables de reproduire en direct et à eux seuls le jeu de tout un orchestre ? Toutefois, le mimétisme sonore s’arrête là, car qui dit orchestre laisse sous-entendre le mot orchestration, un mot dont la vertu première a toujours été de s'appliquer au jeu collectif.


L'ORCHESTRE EN PETIT COMITÉ

Question : pouvons-nous évoquer le mot « orchestre » avec un comité plus restreint comme un trio, un quatuor ou un quintette ? Oui, puisque le mot « orchestre » ne définit jamais à lui seul un nombre précis de musiciens. Cependant, d’autres mots viennent parfois se substituer à lui de temps à autre...

Prenons par exemple le mot « groupe ». Celui-ci est souvent rattaché aux musiques rock et jazz ou plus généralement aux musiques dites "vivantes". Cependant, au-delà du langage courant, il cherche à symboliser la notion d’unité, de force, voire de communauté. Or, dans les faits, ces belles valeurs n'arrivent pas toujours à s'imposer ou, quand elles s'imposent, ne durent généralement que très peu de temps. Autre exemple avec le mot « formation ». La symbolisation du mot « orchestre » est ici encore plus floue. C’est une désignation courante qui est employée pour désigner un collectif de musiciens sans distinction particulière.

Fanfare, formation, band… le détournement du mot « orchestre » est fréquent. Le choix est habituellement guidé par la musique exécutée, avec ses principes, ses règles et ses clichés.

© pixabay.com - Orchestre Gamelan, le règne des percussions


LE PARADOXE DE LA LOI DU NOMBRE

Quand trois ou quatre musiciens pratiquent de l’animation dans un restaurant, il arrive parfois qu’un client dise à la serveuse passant devant lui : « Pourriez-vous demander à l'orchestre de jouer ce morceau-là ! » Le quota de musiciens qui justifie le mot « orchestre » est toujours très variable d’un individu à l’autre, car chacun à une représentation toute personnelle de ce qu’est un orchestre.

Fixons un chiffre. Un groupe de 15 musiciens peut-il être considéré comme un grand orchestre de bal ou de jazz ? Oui ! (le second sera même qualifié de « big band »). Le paradoxe, c’est que du côté de la musique classique, ce ne sera pas encore un grand orchestre, mais un « orchestre de chambre »… et encore un tout petit !

Mais alors où se situe la frontière entre un orchestre de chambre et celui symphonique ? En fait, il n'existe pas de règle précise dans une musique qui pourtant ne manque pas de règles ! C’est souvent le genre de musique, la destination de l’œuvre qui est prise en considération. Prenons en exemple Haydn et ses symphonies…

Celles-ci furent exécutées pour un ensemble à cordes, deux hautbois, deux cors et, parfois, deux timbales. Face à la diversité de cet assemblage orchestral, ne serions-nous pas en présence d'un orchestre symphonique et, de fait, ne serait-ce pas l’instrumentation qui dessine le prototype même de l’orchestre ? Or, cette vingtaine de musiciens correspond de nos jours à ce qu’on appelle un orchestre de chambre !

Certainement plus subtil est la différence entre un orchestre de chambre et un ensemble de chambre. La réponse pourrait être la suivante : le fait que chaque musicien exécute une partie différente caractérise l’orchestre de chambre, alors que l’ensemble de chambre exécute une même partie, comme le feraient des violoncelles dans un ensemble à cordes.

Enfin, pour ceux qui se poseraient la question de la différence entre l’orchestre symphonique et celui philharmonique… c’est la même chose. Le mot « philharmonique » est à rattacher à l’association dont elle dépend (ex : orchestre philharmonique de Strasbourg) ce qui, avec le temps, finit par se confondre avec l’orchestre symphonique qu’il représente et qu'il est réellement.

Autre précision utile : l’orchestre d’harmonie. Celui-ci n’est constitué que de bois, de cuivres et de percussions (comme le sont parfois les fanfares), alors que l’orchestre symphonique comprend toutes les familles d’instruments acoustiques ; les chœurs étant à part.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 10/2018)


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