UNE MUSIQUE DE FILM À DÉCOUVRIR OU REDÉCOUVRIR

© Fernand Michaud wikimedia - Pierre Jansen (Festival d'Avignon 1986)
Décédé en 2015, le compositeur de musique de films Pierre Jansen lègue derrière lui une œuvre musicale abondante et de qualité. Les nombreuses collaborations qu'il a réalisées avec Claude Chabrol jusqu'en 1980 (Que la bête meure, Le Boucher, La décade prodigieuse ou encore Violette Nozière), ont démontré l'originalité de son écriture quand il s'empare de l'image pour imposer son univers atypique, à mi-chemin d'une forme classique élaborée et d'une écriture contemporaine par son sens de l'organisation orchestrale.
L'unique BO composée pour Claude Goretta n'est certes pas la plus connue, mais sa qualité démontre que Jansen savait s'écarter des satires de Chabrol sans perdre au change. Les différents thèmes transcrivent correctement l'ambiance du film, austère, tragique ou gai.
Pour le metteur en scène, il s'agissait d'habiller l'adaptation du roman de Pascal Lainé, La Dentellière, en respectant son développement : une liaison amoureuse entre Pomme (Isabelle Huppert), une modeste apprentie-coiffeuse, et François (Yves Beneyton), un jeune étudiant de bonne famille, mais dont la différence de personnalité et la disparité sur le plan culturel et social conduiront à éroder leur relation jusqu'à la séparation.
On relèvera au passage le jeu tout en nuances d'Isabelle Huppert qui, après avoir inscrit son nom dans de nombreux seconds rôles, allait triompher à l'écran pour la première fois dans un personnage de premier plan. Grâce à La dentellière, la jeune actrice de 24 ans remportera plusieurs distinctions, dont le "British Academy Film Awards", l'équivalent britannique des Césars du cinéma français et le prix de la meilleure actrice au Festival de Cannes 1977.
L'ANNIVERSAIRE
L'ÉCRITURE DE JANSEN
Jansen n'use pas d'un romantisme outrecuidant pour décrire la relation sentimentale entre Huppert et Beneyton, même si le lyrisme de Schubert ne semble pas être ignoré. On le remarque dans les thèmes L'anniversaire, La découverte de la mer, La baignade, qui sont légers et mélodiques. Pour autant, le compositeur ne renonce pas à ses habituelles ruptures mélodiques et relances orchestrales qui sont des caractéristiques de son écriture que l'on retrouve dans les films de Claude Chabrol. Le générique d'introduction est un exemple frappant de ce mode de fabrication.
À l'écoute de Jeux de la plage, tourmenté et dissonant, d'Épilogue, thème dramatique qui accompagne le générique de fin, ou encore de La Dentellière, ponctué d'errances aux sursauts symphoniques, nul doute à avoir, il s'agit bien d'une musique écrite pour le cinéma. Par ailleurs, l'utilisation de la flûte traversière, de la guitare sèche et du piano, accompagnés d'un quatuor à cordes, font également partie de la panoplie orchestrale que le compositeur affectionne (thèmes de La baignade et de La recherche), et dont les imbrications harmoniques soulignent comme une preuve indéniable les longues années d'apprentissage vécues au Conservatoire par Jansen.
DE L'EXERCICE À LA PRATIQUE
Viens enfin l'exercice de produire des chansons. Cela s'impose parfois au compositeur de musique de films. Jansen s'en sort plutôt bien (il y a pire ailleurs). Ainsi passe-t-on d'une écriture classique et hiérarchisée à une autre plus "branchée" avec l'utilisation de synthés, guitare électrique, basse et batterie. Sans détenir le relief d'un Francis Lai ou la facilité non dissimulée d'un Vladimir Cosma toujours inspiré, la chanson Quand la forêt vivait encore, interprétée par la chanteuse Mireille Lorca, se laisse écouter, tout comme le thème Marylène avec ses vocalises en la, la, la.
Dans l'intention d'honorer la commande et malgré son approche artistique exigeante, Pierre Jansen semble avoir bénéficié d'une grande liberté de manœuvre. Livré à lui-même, peut-être même un peu trop, la musique du film se dessine à tous les tons et tentations, naviguant de l'ensemble classique traditionnel, dans lequel dominent les cordes et les bois, jusqu'à la formation contemporaine digne d'un orchestre de bal, et ce, pour le meilleur avec Aube, mais aussi pour le pire avec London Tub Station, un rock underground de mauvaise qualité et seul bémol de cette BO.
Par Elian Jougla (Cadence Info - 03/2023)
AUBE
LES TITRES
- 01. Générique (3:03)
- 02. L’anniversaire (1:43)
- 03. La découverte de la mer (1:47)
- 04. La baignade (0:56)
- 05. Jeux de plage (2:45)
- 06. La dentellière (3:33)
- 07. La recherche (2:44)
- 08. Épilogue (2:15)
- 09. Quand la forêt vivait encore (4:01)
- 10. Marylène (3:03)
- 11. London tub station (3:03)
- 12. Aube (5:14)
La Dentellière
Musique composée et dirigée par Pierre Jansen
Un film de Claude Goretta
Année de sortie : 1977
chez "Pema Music S.A.R.L."
BANDE ANNONCE DU FILM
À CONSULTER

LES COMPOSITEURS DU CINÉMA 'NOUVELLE VAGUE'
Courant majeur du cinéma français, la Nouvelle Vague engendra un climat bien particulier et permit la découverte de nouveaux compositeurs de musique de films : Georges Delerue, Antoine Duhamel, Pierre Jansen, Maurice Jarre et Michel Legrand.