L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
CHANSON

BIOGRAPHIE/PORTRAIT VINCENT DELERM, ENTRE NOUS...

Vincent Delerm appartient à la génération de Bénabar, Cali et Sanseverino. L’auteur-compositeur et interprète traîne sa voix nonchalante sur les ondes et la scène depuis plus de 10 ans. Avec son style, un brin intello et une timidité teintée d’humour qui s’apparente parfois à de la pudeur, Vincent Delerm a imposé sa marque de fabrique là où peut-être personne ne l’attendait.


LE STYLE VINCENT DELERM

Dans ses concerts, Vincent Delerm n’a pas son pareil pour créer l’ambiance avec ses touches de comédies, ses précieuses citations littéraires. L’interprète réinvente en profondeur le récital de chansons et ne laisse personne indifférent. Ses influences, qui vont de Souchon à Renaud en passant par l’inattendu Angelo Branduardi – artiste singulier et quelque peu oublié – ou encore The Cure, indiquent clairement que le personnage brasse son inspiration là où d’autres n’iraient certainement pas voir !

Côté texte, Vincent Delerm est attaché à notre époque. Ce sont les observations du quotidien qui l’inspire et qu’il définit avec tendresse, humour ou gravité. Cela peut être la vie, dans ce qu’elle a de plus banal (L’heure du thé, Les amants parallèles), avec parfois des références au cinéma (Deauville sans Trintignant, Fanny Ardant et moi). À l'occasion, l’artiste dépasse le cadre convenu pour écrire sur des sujets inattendus (Les jambes de Steffi Graf, Deutsche Grammophon). Sans user de mauvais jeux de mots, la marque de fabrique de ses textes repose surtout sur de nombreuses citations : noms de magazines, marques, lieux célèbres, personnalités, qu’il n’hésite pas à « mixer » dans ses paroles, dans l’intention de coller au plus près de ce que nous connaissons et partageons : Le baiser Modiano, Tes parents, Natation synchronisée.

La musique n’est pas en reste. Celle-ci est ouvragée et possède des arrangements subtils, souvent légers et aériens (Hacienda) ou cadencés (Embrasse-moi). Pour son dernier disque en date (Les amants parallèles – 2013), il a fait appel à l’arrangeur Clément Ducol qui, de son côté, avait en préparation un projet original reposant sur l’utilisation de pianos préparés. Si ce genre de « scénario » n’est pas nouveau (il a déjà été conduit avec beaucoup de talent par le pianiste de jazz, Laurent de Wilde avec l'album Master Pieces), quand il passe par le filtre des chansons de Vincent Delerm, le résultat est évidemment tout autre. Pour l'album Les amants parallèles, l’artiste nous conte la vie d’un couple au fil du temps qui passe, simplement, efficacement, parfois avec mélancolie. On en oublierait la musique, tellement celle-ci est feutrée ! Du bel ouvrage, pour ce chanteur provincial, à l’allure soigneusement négligée, et qui n’a de cesse de s’interroger sur la vie, ses bonheurs et ses malheurs.

© Balao GoodTips - Vincent Delerme (2012 - Centre Georges Pompidou, Paris)


VINCENT DELERM, UN TOUCHE-À-TOUT

Le parcours de Vincent Delerm est atypique. L’artiste ne poursuit pas un seul but, mais plusieurs qu’il mène de front encore aujourd'hui. Tout d’abord le piano, qui va être en quelque sorte le point de ralliement de nombreuses compositions. Les rythmes et harmonies de William Sheller ou de Michel Berger permettront de dessiner les premières esquisses sonores. Ensuite le cinéma. Durant ses études universitaires en lettres modernes, il aura l’occasion de se rapprocher du 7e art et de ses auteurs. Le sujet de fond de sa maîtrise sera l’univers cinématographique de François Truffaut avec pour thème « En quoi le cinéma de Truffaut est-il littéraire ? ». Enfin le théâtre, qu’il découvrira en participant à quelques représentations au sein d’une compagnie théâtrale amateur.

Ce touche-à-tout donne ses premiers concerts en 1998 dans des salles intimistes, notamment à Rouen, non loin de la ville d’Evreux, ville où il est né. L’année suivante, ce sera Paris qui l’accueillera (concerts Au Limonaire, Théâtre Les déchargeurs...). Ses premières chansons arrivent aux oreilles du comédien François Morel. Le bouche-à-oreille fonctionne, et quelques semaines après, le chanteur participe à des émissions de radio et rencontre à France Inter un autre auteur-compositeur Thomas Fersen qui, après Le jour du poisson, vient de signer son quatrième album baptisé ironiquement Qu4tre. C’est grâce à l’appui de ce dernier qui intervient auprès de sa maison de disques (tôt Ou tard), que Vincent Delerm enregistre son premier disque au titre éponyme : Vincent Delerm (2002).


UN SUCCÈS RAPIDE

Au moment où il enregistre son premier disque, si le chanteur a déjà derrière lui une bonne expérience scénique, le studio est pour lui une découverte. Pas toujours facile de trouver dans cet univers si particulier la bonne tonalité, la bonne façon de s’exprimer, de chanter. Le constat peut être sévère.

Quand on écoute Gainsbourg, Georges Brassens et Renaud, nous sommes en présence de trois auteurs de chansons à texte, mais aussi en présence de voix et d'interprétations totalement différentes. Delerm en a conscience. Il doit à présent rentrer dans le vif du sujet. L’enregistrement, contrairement à la scène, n’est pas volatile. Il a une voix et celle-ci doit faire osmose avec la personnalité de ses textes. Le talent pointe à l’horizon, mais des malentendus naissent. On lui reproche son air fuyant… Un brin orgueilleux Delerm ? Heureusement, les médias le soutiennent, et suivront avec attention son parcours, ses expériences.

Le chanteur enregistre au rythme d’un album tous les deux ans. Le second album, Kensington Square en 2004, sera suivi de Les piqûres d’araignée en 2006 et de Quinze chansons en 2008. Puis ce sera un saut dans le temps, une éternité pour son public qui devra attendre cinq longues années (d’autres ont fait pire) pour voir la parution du disque Les amants parallèles en 2013. Pour Delerm, ce long silence discographique n'est pas synonyme de mise au point, ni celui d'un virage artistique amorcé. En réalité, cette période va lui être profitable. Le chanteur va prendre des risques sur un terrain qu'il affectionne tout particulièrement, la scène, et sur laquelle il va pouvoir exprimer tout son talent créatif...


VINCENT DELERM ET LE SENS DU SPECTACLE

Début 2009, c’est la tournée de promotion de son quatrième album construite sur le thème du cinéma. À son habitude, le chanteur brise l’enchaînement des chansons par des interventions parlées, mêlant à l’occasion sa voix avec d’autres en off. La virtuelle Fanny Ardent et le non moins virtuel Alain Souchon sont là et tiennent compagnies pendant un court instant au chanteur.

Les spectacles de Vincent Delerm se veulent inclassables. L’artiste transporte son public vers des destinations inconnues. On ne peut lui reprocher de faire une promotion classique, de celle qui consiste à chanter quelques chansons nouvelles entrecoupées de quelques anciens succès. Cas typique du tour de chant, malheureusement trop répandu, et sans surprise. Mais Delerm ne souhaite pas ça. Alors pourquoi ne pas utiliser les moyens techniques actuels ? Pourquoi ne pas faire entrer le public dans un univers surréaliste ? L’artiste aurait-il peur du ridicule ? Pour Delerm, la question ne se pose pas. Le chanteur assume, et s’il distribue des bonbons, qu’ils soient roses ou pas, quelle importance ! De ce spectacle sortira un DVD ( 23 janvier - 18 juillet 2009) qui montrera le chanteur sous un nouveau jour.


VINCENT DELERM : DEAUVILLE SANS TRINTIGNANT

Deux ans plus tard, il s’installe un mois durant aux Bouffes du Nord pour un ambitieux et théâtral spectacle, Memory. Le thème central n’est plus le cinéma mais le temps qui passe, et que l'artiste justifie par ces mots : « Pour ce spectacle, j’ai voulu confronter des lieux communs : la volonté d’être toujours tourné vers l’avenir et l’instinct d’être replié sur le passé… C’est très délicat de parler de ce qui nous a construit sans donner le sentiment de se complaire dans la nostalgie »

Delerm s’expose en réglant quelques comptes avec lui-même. Un spectacle étonnant, d’une performance totale, appuyé par la mise en scène de Macha Makeïeff et la présence scénique du musicien multi-instrumentiste Nicolas Mathuriau. Le jeu d’acteur, le texte et la vidéo prennent le pas sur la chanson (Delerm ne chante que huit chansons). Delerm innove, prend des risques et ose. D’un déguisement à un pas de danse, il saute le pas avec un sens inné de la comédie.

De Paris, le spectacle va jouer les filles de l’air et se promener en Belgique et en Suisse avant de revenir à son point de départ, à l’Olympia au mois d’avril 2013. Memory est dans la continuité du précédant spectacle. Le chanteur n’est plus seul face à un piano. Ce genre d'exercice qu’il pratique sur scène à l’occasion ne lui déplait pas, mais s’exposer, se risquer comme un comédien de théâtre est un challenge qu’il ne refuse pas. Entre les voix off et d'autres intermèdes (fausses publicités, films, karaoké, etc.), la vision d'un spectacle moins limité et plus vivant est là... et son public l'encourage.


VINCENT DELERM SOUS INFLUENCES

Par le passé, l’incorrigible charmeur aurait aimé être un grand comédien, mais il ne s’est jamais senti doué pour prendre à bras le corps cette voie. Il est vrai, la chanson est tout autre. Elle vit ses trois minutes, disparaît, pour renaître sous un jour nouveau et avec d'autres intentions. Pour Delerm, des chanteurs comme Alain Souchon ou Yves Simon, à l’image de Serge Gainsbourg, incarnent une chanson de qualité, une chanson d'ouverture qui n'hésitera pas à aller chercher ses alliances sonores de l'autre côté de la Manche. À l’adolescence, le chanteur vivra lui aussi ses rêves en ayant dans son viseur le célèbre groupe de rock britannique The Cure, qui sévit en pleine période cold wave. Un style bien éloigné du sien, mais qu’il saura mettre à l’honneur dans sa chanson Le Baiser Modiano en s'inspirant d'une mélodie composée par son chanteur Robert Smith.

Le cinéma est une autre de ses influences. À ses débuts, il le citera souvent, surtout le muet (dans certaines chansons, l'influence du ragtime est toute proche). Le chanteur s'entoure parfois d'acteurs pour un duo chanté comme avec Irène Jacob et Jean Rochefort, où parfois tout simplement pour un récitatif (Mathieu Amalric dans son album Kensington). Sinon, un dialogue issu d'un film fera l'affaire... (la voix de Trintignant extraite de la BO du film Un homme et une femme) dans la chanson Deauville sans Trintignant.

Art de la délicatesse et du juste mot, Vincent Delerm a été décoré en 2012, Chevalier des Arts et des Lettres. Outre une "Victoire de l’album révélation" pour l’année 2003 avec Vincent Delerm, le chanteur sera également nominé à plusieurs autres Victoires de la musique (2003, 2007, 2008 et 2009). Photographes à ses heures (il a sorti un livre de 140 pages avec photos et textes de tournée en 2009), Delerm est l’auteur d’une pièce intitulée Le fait d’habiter Bagnolet.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 06/2014)


RETOUR SOMMAIRE
FB  TW  YT
CADENCEINFO.COM
le spécialiste de l'info musicale