'WATER', UN DISQUE AU MESSAGE ÉCOLOGIQUE
L’eau a souvent inspiré un grand nombre de compositeurs. On pense tout de suite à La Mer de Claude Debussy ou à Jeux d’eau de Maurice Ravel. L’eau, élément vital, source de vie, n’a pas de frontières. Il est, avec l’air, le feu et la terre, le quatrième élément de la nature. L’expérience artistique d’Hélène Grimaud devait refléter au mieux cet architecte de la nature, tantôt calme, tantôt tempétueux, à la fois prévisible et insaisissable. L’eau apporte au compositeur comme à l’interprète matière à de puissantes réflexions, de puissantes méditations.
Pour Hélène Grimaud, le premier pas s’est déroulé à New York en décembre 2014, quand elle a donné un récital au "Park Avenue Armory" intitulé Tears become… Streams become… (Les larmes deviennent… les flots deviennent…). Pour apporter une nouvelle dimension au classique récital de piano, Hélène Grimaud présenta une collection d'œuvres, pour la plupart fin du 19e et début du 20e siècle, toutes en lien avec le thème de l'eau. Mais pendant qu’elle jouait, le vaste plancher de la salle fut lentement inondé pour créer ce que le vidéaste projectionniste Douglas Gordon décrit comme un « domaine de l'eau sans fin » entourant complètement le piano avec Hélène Grimaud en son centre. « Une expérience immersive qui m'a profondément bouleversée et à laquelle je voulais donner une suite par le disque », confiera la pianiste.
UNE FRESQUE ESTHÉTIQUE ET UNE EXPÉRIENCE IMMERSIVE
Pour Water, faute de pouvoir bien évidemment exercer la même expérience visuelle et sensorielle, le disque devait relever le défi d’une façon autrement audacieuse. Certes, les compositeurs impressionnistes ou liés au romantisme ne pouvaient échapper à cet appel : Albeniz, Ravel, Debussy ou Janacek étaient bien là, mais pour provoquer d'autres paysages sonores, la pianiste a décidé d'étoffer le répertoire de Water en y ajoutant quelques compositeurs de musique contemporaine comme Luciano Berio ou Toru Takemitsu.
À travers ce choix éclectique, riche d’évocations, Hélène Grimaud nous lance un message : nous sensibiliser sur la menace grandissante qui pèse sur l’eau et sur son approvisionnement. « Avec ce projet d'installation artistique et l'album qui en a découlé, j'ai voulu explorer l'eau comme source de vie, mais aussi d'inspiration pour des compositeurs aussi différents que Franz Liszt, Maurice Ravel, Luciano Berio ou Toru Takemitsu », explique-t-elle.
Pour construire cette idée d'écoulement perpétuel, pour lui apporter une résonance unique, les pièces pianistiques ont été liés entre elles par des « transitions sonores » émanent du compositeur électro et multi-instrumentiste Nitin Sawhney, un collaborateur attitré du chorégraphe Akhram Khan. « Nitin faisait un interlocuteur privilégié pour un tel projet. Je lui ai donc de demander de composer, avec son langage propre, des transitions musicales qui relieraient toutes les pièces classiques que j'avais enregistrées à l'Armory les unes aux autres, comme une rivière qui s'écoule. », précise Hélène Grimaud.
Water est constitué d'un florilège de pièces aux allures évocatrices. Citons : La Cathédrale engloutie de Debussy, la Cinquième Barcarolle de Fauré, Jeux d’eau de Ravel, Almería d’Iberia d’Albéniz ou encore Dans les brumes de Janáček, le Piano aquatique de Luciano Berio et Arbre de pluie, 2e ébauche de Toru Takemitsu. Toutes les pièces pianistiques ont été enregistrées en direct durant le concert-installation de New York pour être ensuite « assemblées » entre elles par les sept Transitions écrites par Nitin Sawhney.
Dans le monde de la musique classique, la pianiste Hélène Grimaud est une figure à part. Son cœur est comme un balancier, alternant entre le pur discours musical et son engagement pour l’environnement, la nature et les animaux. Sa personnalité à la fois farouche et attachante s’enflamme dès qu’elle pose ses doigts sur le clavier. Douée de qualités d’interprète exceptionnelles, ses disques sont généralement appréciés par le grand public et salués par la critique, en France comme à l’étranger.
La pianiste ne manque jamais de projet et se laisse souvent porter par eux. D'ailleurs, Water n’est-il pas tout simplement une réponse dictée par les événements ? N’est-ce pas aussi sa découverte du loup qui devient passion et qui l’incite, en 1998, à ouvrir avec le photographe John Henry Fair, le "Wolf Conservation Center", consacré à l’étude et à la sauvegarde de l’animal ?
Si la pianiste place en évidence la responsabilité de l'humanité sur la ressource la plus précieuse de notre planète, elle sait aussi que dans ce domaine la musique n’est qu’un infime maillon, que les décisions se prennent ailleurs et à un tout autre niveau. Par essence, les mélodies sont évanescentes, mais elles captent notre attention dès qu’elles surgissent, capables de nous plonger aussitôt au plus profond de ce que nous sommes. La musique nous interpelle, nous donne des sensations, parfois même des idées. Au piano, l’eau se dessine à coup d’arpèges, de traits mélodiques et d’accords brisés, c’est sa littérature. Un rien l’habille, c’est extraordinaire !
Par Patrick Martial (Cadence Info - 01/2016)
LISTE DES TITRES
- 1 - Luciano Berio : 6 Encores
- 2 - Nitin Sawhney : Water - Transition 1
- 3 - Toru Takemitsu (1930 - 1996) : Rain Tree Sketch II
- 4 - Nitin Sawhney : Water - Transition 2
- 5 - Gabriel Fauré : Barcarolle No.5 In F Sharp Minor, Op. 66
- 6 - Nitin Sawhney : Water - Transition 3
- 7 - Maurice Ravel : Jeux d'eau
- 8 - Nitin Sawhney : Water - Transition 4
- 9 - Isaac Albéniz : Almeria (Iberia pour piano solo)
- 10 - Nitin Sawhney : Water - Transition 5
- 11 - Franz Liszt : Les jeux d'eau à la Villa d'Este (Années de pèlerinage / 3ème année, S. 163)
- 12 - Nitin Sawhney : Water - Transition 6
- 13 - Leos Janácek : Andante (In The Mists)
- 14 - Nitin Sawhney : Water - Transition 7
- 15 - Claude Debussy : La cathédrale engloutie (Préludes / Book 1, L. 117)
- 16 - Toru Takemitsu : Rain Tree Sketch II
Water, Hélène Grimaud - 1 CD Deutsche Grammophon
Écouter des extraits de 'Water'
À CONSULTER
HÉLÈNE GRIMAUD, PORTRAIT
C'est une star. Dans le monde « classique », elle est la seule à occuper cette place tellement rare et tellement décriée. Un premier disque à 15 ans dédié à Rachmaninov la fait grimper au firmament des étoiles : que cache donc cette toute jeune femme au visage d'ange qui joue comme une diablesse ?