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MUSIQUE DE FILMS

ALEXANDRE DESPLAT : PORTRAIT DU COMPOSITEUR DE MUSIQUE DE FILMS

Star à Hollywood, le compositeur français n'en demeure pas moins fidèle au cinéma indépendant d'Audiard ou de Polanski. Il a reçu un Oscar pour la musique de The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson. Petit portrait de ce compositeur talentueux…


UN COMPOSITEUR SOLLICITÉ

Alexandre Desplat jouit, dans le septième art, d'une vraie reconnaissance internationale. À 55 ans, ce Français compte parmi les dix compositeurs de musique de film les plus importants du moment. Nommé plusieurs fois aux Oscars (1), bardé de récompenses (césar, ours d'argent, etc.), Desplat a la particularité d'être sollicité des deux côtés de l'Atlantique. S'il a signé toutes les musiques des films de Jacques Audiard, son carnet de bal hollywoodien ne désemplit pas, depuis le succès de La Jeune Fille à la perle, en 2003. L'Étrange Histoire de Benjamin Button, Twilight 2, Fantastic Mr. Fox, Le Voile des illusions, La Boussole d'or ou encore Harry Potter et les reliques de la mort.

Enchaînant les superproductions, Alexandre Desplat est infatigable : « Rien ne m'excite davantage que d'embarquer dans une nouvelle aventure, d'être dans l'avion qui décolle, le bateau qui part. Même si les rencontres ne sont pas toujours d'une grande richesse artistique, il y a toujours cette bouffée d'adrénaline, cette excitation quasi juvénile d'être au cœur d'une œuvre en marche... Cela dit, je n'accepte pas tout ! J'ai refusé des grosses machines. Les poursuites, les cascades, les explosions, ce n'est pas mon truc. La violence gratuite me désarme, je me retrouve comme un canard devant une paire de bretelles. »

Alexandre Desplat parle bien. Vocabulaire choisi, traits d'humour, vivacité, élégance : on imagine volontiers ce grand brun au profil grec en diplomate fin de siècle. L'homme maîtrise les codes de communication hollywoodiens. Et sait le danger d'en dire trop dans les médias. Mais il ne donne pas pour autant dans le ripolinage et les amitiés de façade. Comme l'écrivait Guitry, ses admirations sont sans réserve, mais ses réserves sont admirables. S'il loue le « génie » de Polanski, Audiard, Fincher ou Stephen Frears, « cette capacité des grands créateurs à tout voir et tout entendre sur un film », ses commentaires en demi-teinte sont tout aussi éloquents : « Ce n'est pas facile pour un metteur en scène de partager sa création : il faut du courage pour laisser un compositeur s'en emparer. Les plus grands vous laissent arriver avec votre personnalité, votre talent, et ne cherchent pas à vous écraser. Après, il y a Tarantino. Qu'il préfère utiliser du rock ou de la pop déjà existante, c'est son droit le plus strict. Qu'il fasse de la provocation en déclarant "Jamais je ne laisserai un compositeur saloper mes films", OK ! Mais alors, pourquoi récupère-t-il des musiques d'Ennio Morricone ou de Bernard Herrmann dans ses bandes originales ? »

Alexandre Desplat vit à Paris. Contrairement à ses glorieux aînés, Maurice Jarre, Georges Delerue ou Michel Legrand, qui allèrent tous s'installer en Californie. L'époque a changé. Grâce à Internet, l'Amérique n'est qu'à un clic et Desplat peut, en quelques minutes, faire écouter ses maquettes aux réalisateurs et avoir leurs retours. Vivre loin de Hollywood, c'est aussi se protéger, éviter le grand moule des studios dans lesquels tant de compositeurs ont perdu leur originalité.

Et puis Desplat n’oublie pas le cinéma français. Il y reste très attaché et ne voit pas pourquoi il oublierait soudain ses racines, des amitiés artistiques et des collaborations, entamées il y a près de vingt ans. Alter ego musical de Jacques Audiard depuis Regarde les hommes tomber, le compositeur accompagne également la filmographie de Xavier Giannoli et celle de Marion Vernoux, et travaille, à l'occasion, avec quelques vétérans du cinéma hexagonal : Francis Veber, Patrice Leconte ou Roman Polanski. Desplat a aussi son jardin secret : le Traffic Quintet. Quand il ne compose pas, Desplat transcrit les grandes partitions du septième art en petites pièces pour cordes ! Des relectures surprenantes, souvent sur le fil, dont cette formation a fait sa spécialité.


LE FLÛTISTE PASSIONNÉ D'EXPÉRIENCES MUSICALES

Formé au Conservatoire, Desplat n'y a cependant jamais étudié la composition, ni même l'orchestration. Ce flûtiste, qui rêvait d'être le nouveau James Galway, se rend vite compte qu'il ne pourra pas se cantonner au seul répertoire. Passionné d'expériences musicales et d'hybridations bizarres, rêvant d'associer cymbalum, percussions africaines et orchestre symphonique, le laborantin développe un style musical bien à lui, ouvert sur le monde et résolument moderne : « Enfant, j'ai durablement été dégoûté du piano classique. Trop de Chopin, de Schumann et de Beethoven à la maison, mes sœurs passaient des heures à déchiffrer leurs partitions. J'ai rejeté en bloc tout cet âge d'or de la composition romantique, l'arpège de la main gauche... Je me suis projeté directement dans le 20e siècle : Ravel, Debussy, la musique répétitive. Aujourd'hui encore, lorsque je compose, je ne me mets pas au piano pour chercher des thèmes. J'ai, d'abord, besoin de trouver la couleur orchestrale, la combinaison d'instruments et de sonorités qui fera sens avec le film. »

Son modèle reste Georges Delerue. Même s'il n'a pas eu la popularité d'un Morricone ou d'un Michel Legrand, le parcours du compositeur, disparu en 1992, est unique. Du théâtre de Jean Vilar aux superproductions hollywoodiennes, du Mépris, de Godard, aux comédies de Gérard Oury, son œuvre est l'une des rares à avoir su concilier films grand public et recherches formelles (3) : « Il avait un rapport intuitif à l'image. C'est le premier, en France, à être sorti de l'illustration, à avoir osé le décalage entre la musique et ce qui se passait à l'écran. On oublie trop son apport - et celui d'Antoine Duhamel - à la Nouvelle Vague. Sans leurs partitions, les films de Godard et de Truffaut n'auraient pas eu le même impact. Il y a parfois une telle densité dans la musique de Delerue qu'elle entre en vibration avec l'image. Lorsque c'est le cas, l'émotion est comme décuplée et le spectateur est bien en peine de dire si c'est lié à ce qu'il voit ou à ce qu'il entend. J'y pense à chaque fois que je mets un film en musique, c'est un peu mon Graal, mon obsession. »

1 : Alexandre Desplat a reçu en 2015 sa première statuette pour The Grand Budapest Hotel (Wes Anderzon), après avoir concouru pour L'Étrange Histoire de Benjamin Button, Fantastic Mr. Fox ou encore Argo. Réagissant sur Europe 1, il a alors déclaré : « C'est fantastique, l'Oscar, c'est un graal que tout “filmmaker” rêve d'obtenir. Même si on pense toute l'année qu'on a créé la plus belle des musiques, c'est malgré tout une reconnaissance formidable de nos pairs. »
2 - Nouvelles Vagues, 1 CD Naïve.
3 - Le Cinéma de Georges Delerue, coffret 6 CD, Universal Jazz.


ALEXANDRE DESPLAT - BEST OF

À ÉCOUTER

  • Un prophète et De battre mon cœur s'est arrêté (Naïve)
  • Un héros très discret (EMI)
  • Fantastic Mr. Fox (ABKCO Records)
  • Le Merveilleux Magasin de M. Magorium (Varèse Sarabande)
  • The Queen (Milan)
  • Love (Source/Virgin)
  • Marie-Louise ou la permission (Sony)

par S. Jarno (Cadence Info - 04/2016)


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