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CHANSON


BIOGRAPHIE/PORTRAIT CHARLES AZNAVOUR : ENFANCE, PIAF ET DÉBUT DE CARRIÈRE

Avec ses soixante-dix ans de carrière derrière lui, Charles Aznavour est devenu le témoin privilégié de tout un pan de l’histoire du music-hall, aussi bien celui de Maurice Chevalier, de Charles Trenet ou de Georges Brassens que celui de la période yéyé avec un Johnny débutant. De ses débuts, le patriarche de la chanson française n’a rien oublié : ses origines, sa jeunesse, sa carrière…


AZNAVOUR TEL QU’EN LUI-MÊME

Ses origines ? Le grand Charles les définit lui-même dans sa chanson Autobiographie : « J'ai ouvert les yeux sur un meublé triste / Rue Monsieur Le Prince au Quartier Latin / Dans un milieu de chanteurs et d'artistes / Qu'avaient un passé, pas de lendemain / Des gens merveilleux un peu fantaisistes / Qui parlaient le russe et puis l'arménien / Si mon père était chanteur d'opérette / Nanti d'une voix que j'envie encore / Ma mère tenait l'emploi de soubrette / Et la troupe ne roulait pas sur l'or / Mais ma sœur et moi étions à la fête / Blottis dans un coin derrière un décor. »

« Je suis un fils d’apatrides. Je ne suis même pas un fils d’immigrants, je suis apatride. À l’époque, nous avions des passeports comme des gens qui n’ont pas de pays. » (1) Contraint à l’exil, après le génocide arménien perpétré par les Turcs en 1915, les parents de Charles Aznavour viennent à Paris après un long voyage épuisant. C’est dans la capitale française qu’un beau jour Charles Aznavour vient au monde le 22 mai 1924.

Paris devient une terre d’élection. Ses parents étant artistes, c’est dans un environnement tout à la fois fort et fragile que Charles Aznavour grandit… Le génocide arménien est une profonde blessure familiale qu’Aznavour chantera dans sa chanson Ils sont tombés. Si le passé porte son voile, c’est l’optimisme qui règne en puissance au cœur de la famille Aznavour. C’est avec le présent et les regards tournés vers l’avenir que les jours s’écoulent… « On a eu la misère, mais on n’a pas crevé de faim. » Pour Charles, la misère n’est pas devenue synonyme de malheur, mais une sorte de palliatifs à des lendemains qui s’annoncent difficiles.

La philosophie du père était : « On n’en a pas. Demain, Dieu nous le rendra. » L’humilité, la simplicité, c’était dans le partage qu’elle se propageait, si bien que les voisins croyaient que la famille Aznavour était une famille aisée. Des personnes de milieux aisés ou indigents venaient partager à l’occasion de fêtes le moindre bout de fromage. La soirée s’animait autour du père qui chantait, de la sœur aînée Aïda qui jouait du piano et de Charles qui prenait la batterie, tandis que la maman faisait le service en dansant. Une ambiance gaie traversait alors les murs de l’appartement. Tout était amour.

Le père de Charles, qui a ouvert un petit restaurant rue Champollion (il fut le fils d’un des cuisiniers du gouverneur d'Arménie), fait mijoter dans sa cuisine quelques saveurs russes… Mais le restaurant marche mal. La clientèle se fait rare et l’argent ne rentre pas, du moins pas suffisamment pour que Charles et sa sœur continuent d’aller à l’école après avoir obtenu leur certificat d’étude (seuil à partir duquel l’enseignement n’était plus gratuit). Pour Charles et Aïda l’enseignement de la rue, de la vie, ont vite remplacé celui de l’école publique.

Charles a tout juste neuf ans, quand il passe des auditions pour faire du théâtre avec sa sœur. Une bouée de sauvetage qui leur font oublier quelque part leur condition, sans qu’aucunes questions ne leurs soient posées, sans qu’aucunes curiosités malsaines ne viennent les troubler. Ils étaient heureux d’apprendre dans cette petite troupe baptisée "Prior et les cigalounettes". Sa sœur tenait le piano, elle chantait et dansait aussi, tandis que le petit Charles se lançait dans des imitations décalées de Félix Mayol ou de Maurice Chevalier, montrant également sa souplesse d’acrobate et de danseur russe. « Je savais tout faire… Il fallait prendre un accent ? Je prenais un accent… Je n’avais pas de spécialité et je ne chantais pas encore à l’époque. Je faisais surtout du théâtre.  » (1) La plus grosse partie de l’argent récolté était pour la famille.

Un jour, par hasard, Henri Varna, alors patron du Casino de Paris, le remarque et l’engage dans sa revue… Comme il savait danser, l’anecdote veut qu’il prit un tutu pour danser au sein du corps d'un ballet exclusivement féminin.

© Nationaal Archief - Charles Aznavour et Caterina Valente (1961)


QUAND LA GUERRE ARRIVA…

Au moment de la guerre, la famille espère bien obtenir la naturalisation. Le père quitte Paris pour s’engager aux côtés de volontaires étrangers et apatrides comme lui. Il sera le seul survivant. Le 14 juin 1940, les Allemands entrent dans Paris. C’est l’occupation. L’appartement familial, rue de la butte Montmartre, devient un repaire de la résistance, une planque pour les émigrés arméniens et juifs. À 18 ans, Charles devient le chargé de famille… Il fait alors du marché noir en vendant du chocolat et des bas aux Allemands.

Déjà huit années sur les planches. Charles Aznavour vit dans un Paris occupé, avec ses cinémas, ses théâtres et ses music-halls qui ont rouvert pour un public de soldats allemands, toujours friand de ces ambiances récréatives qui les éloignent d’un front russe qu’ils redoutent. Charles chante dans quelques cabarets quand, un jour de 1942, il rencontre Pierre Roche ; un chanteur qui, comme lui, parcours les coins animés de la capitale. Pierre Roche et Charles Aznavour ont deux personnalités aussi dissemblables que complémentaires, mais ce sont surtout des chanteurs qui mettent à leur programme des chansons pleines d’entrains, des chansons qui séduisent la jeunesse d’alors, avec des rythmes teintés de boogie, parfois jazz, à l’image d’une musique venue d’un pays lointain, les États-Unis. Le temps passe et la libération de 1944 arrive enfin…


LA RENCONTRE AVEC PIAF

1946. Dans le duo Roche/Aznavour, Charles est le plus petit. Son physique ne correspond pas aux critères esthétiques de l’époque, pourtant, c’est lui que l’on remarque le plus. Voyant un jour le duo sur scène, la grande chanteuse d’alors, Édith Piaf, les invite chez elle. Entre Aznavour et Piaf, une amitié naît aussitôt, pas une histoire d’amour, mais une véritable histoire de pure amitié, authentique. Le cœur de Charles bât en vérité pour quelqu’un d’autre, une jeune chanteuse de 16 ans, Micheline. Ensemble, ils auront un an plus tard une petite fille prénommée Patricia Seda…

Cependant, Charles n’a qu’une idée en tête, faire connaître son talent artistique et faire carrière. Le duo Aznavour/Roche a le vague espoir de conquérir l’Amérique et part tenter sa chance... Seulement voilà, sans un sous et sans carnet d’adresses, le rêve d’une carrière aux États-Unis tourne court. De New York, le duo remonte la côte pour atteindre le Québec, espérant trouver chez nos cousins un meilleur accueil. Roche et Aznavour se produisent pendant plus d’un an, mais le duo est quelque part usé par ses huit années de collaboration et de rêves perdus. En 1950, ils décident de se séparer.

De retour à Paris, Charles Aznavour a l’espoir de trouver un nouveau départ. Au début des années 50, il retrouve la bande de Piaf qui a l’idée d’en faire un jeune premier. La généreuse môme devient son mentor et l’emmène dans ses déplacements. Il lui sert de chauffeur à l’occasion, et de son côté elle lui fait rencontrer des stars comme Marlène Dietrich quand elle se produira à New York.

Auprès de la chanteuse, Charles Aznavour apprend. Il observe, il regarde, il savoure ces instants précieux, cette chance formidable qu’il a de suivre l’une des plus grandes chanteuses de tous les temps. Piaf est humble et généreuse, mais elle a surtout le don de vous prouver que vous avez du talent. Aznavour récoltera ainsi les trop rares leçons de la grande vedette tout en reprenant confiance en lui… Charles, qui possède du talent pour écrire des textes et des mélodies, décide de s’engager dans la voie plus ou moins "anonyme" d'auteur-compositeur. Ses premières chansons seront pour Édith...


UN LANCEMENT DE CARRIÈRE DIFFICILE

Charles se promène nonchalamment et sent les odeurs humides s’élevant des petites rues parisiennes, tout comme il sent que le succès n’est pas loin, presque à portée de main. Il a alors 26 ans et il est encore assez jeune pour miser sur une carrière. Divorcé de la trop jeune Micheline, il aborde la suite des événements avec une grande liberté…

La célébrité qui s’affiche fièrement à l’intérieur des partitions, de celles de Piaf, mais aussi de Gilbert Bécaud ou des Compagnons de la chanson ne lui permet pas encore d’être en haut de l’affiche. Rompre avec ces artistes de la chanson française est difficile, pourtant, c’est à ce prix qu’il aura, peut-être, une chance de réussir. Il enregistre un premier disque en 1953 avec quelques titres qu’il a calibrés pour sa personne. Des chansons dans lesquelles l’amour et la vie se mêlent : « ‘Sur ma vie’ a été la première chanson que j’ai écrite pour moi et que je n’ai jamais donné à personne d’autre. », dira-t-il.

Les années 50 fêtent Trenet, Brassens, Bécaud, Brel ou Montand, et si le nom de Charles Aznavour commence à se faire remarquer, il n’est pas encore une vedette à part entière. Contrairement aux chanteurs précités, il n’arrive pas à faire émerger sa personnalité. Pour lui, le parcours va être long et difficile, comme si une sorte de sixième sens le lui inspirait. En 1956, Bécaud, main sur son épaule, le présentera au public pourtant comme un aîné, comme s’il fallait à tout prix que la malchance s’en aille.

Il n’a pas le physique et le trouble le gagne, si bien qu’il dressera la liste de ses handicaps ; une liste qu’il gardera précieusement sur lui durant des années. « Ma voix, ma taille, mes gestes, mon manque de culture et de personnalité… J’avais tort pour une chose, j’avais raison pour tout, mais la personnalité, je l’avais… La personnalité fabriquée, ça finit par disparaître ! », dira-t-il aujourd’hui avec le recul.

Sa voix particulière échappe à celles qui sont à la mode, et c’est dans cette voix, caverneuse, voilée et mélancolique, qu’il va creuser son sillon, peut-être bien malgré lui. « J’ai toujours lutté contre ma voix. Je l’ai poussé au maximum… À la fin de certaines chansons comme ‘Désormais’ ou ‘Il faut savoir’ j’ai des notes très hautes que je donne à pleins tubes. » (1)

Absorbé par des complexes qui ne cessent de le ronger intimement, il cherchera pendant longtemps à les apprivoiser, à les surmonter. La cruelle et souvent injuste critique, dont les bons mots deviennent une propagande ouverte dans les colonnes des journaux et magazines, n’aura de cesse de vouloir rabaisser les audaces du chanteur des « plaisirs démodés ». Le personnage Aznavour passera au pilori de la presse culturelle. Sa voix devient un rituel de jeux de mots malsains : « la petite Callasmité » « l’enroué vers l’or » ou encore « l’aphonie des grandeurs ». Chanter le désespoir, certes, mais l’amour quand on est petit, avec un physique plus que quelconque, est une chose difficile à accepter pour un public déjà abreuvé par des vedettes de cinéma siliconées. Le discours infâme, odieux qui s’élèvera de la critique, mais également du public, va le poursuivre durant des mois, des années...

Seulement, Charles Aznavour possède de la pugnacité, une agressivité qui vient de loin. Cette méchanceté gratuite va finalement l’aider à se prouver à lui-même que le combat est la meilleure des armes. L’orgueil est là, tout comme la rage. En 1958, la chance va enfin lui sourire, non pas à travers la chanson, mais à travers le cinéma…


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