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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

FÉLIX MENDELSSOHN, PORTRAIT DU PIANISTE COMPOSITEUR ET CHEF D'ORCHESTRE

Félix Mendelssohn sera un romantique ennemi de l'emphase et des explosions volcaniques dans sa vie et dans son œuvre ; un artiste sensible qui n'a pas cru devoir prendre une attitude théâtrale devant la postérité. Sa musique s'est heurté aux préjugés qui devaient, plus tard, discréditer un styliste aussi remarquable que Saint-Saëns.


FÉLIX MENDELSSOHN BARTHOLDY, LA CRÉATION DANS LA JOIE

Félix Mendelssohn Bartholdy naît à Hambourg en 1809. Israélite par hérédité, comme ses trois frères et sœurs, il est baptisé à l’âge de sept ans dans la religion luthérienne sur décision de leur père Abraham. Cette pieuse observance qu'avait embrassée une branche de sa famille explique le rattachement du nom de Bartholdy à celui de Mendelssohn. Un oncle de Félix devait justifier cette décision en ces termes : « II est juste de rester attaché à une religion persécutée et malheureuse et d'imposer cette religion comme un martyre à ses enfants, aussi longtemps qu'on a la certitude qu'elle est la seule bonne, la seule capable de donner le salut ; mais lorsque cette assurance n'existe plus, il serait barbare d'exiger de ses enfants des sacrifices douloureux et inutiles. »

Felix Mendelssohn peint à l'âge de 30 ans par James Warren Childe (1839)

Lorsqu’il a deux ans, son père Abraham s'installe avec sa famille à Berlin dans un somptueux hôtel entouré d'un parc splendide. Le père de Félix, qui vient de transférer ses comptoirs bancaires, possède de hautes capacités et une vive intelligence qu’il tient lui-même de son père, Moïse Mendelssohn, philosophe réformateur, mathématicien éminent et écrivain de grand talent.

Le jeune Félix n'a autour de lui, dès son enfance, que des exemples de droiture, de travail, de devoir et de discipline familiale. La devise de son foyer est « Fidèle et obéissant jusqu'à la mort ». Cependant, sa discrétion élégante et distinguée ne rappelle en rien la bonhomie résignée de l'humble compositeur habitué des « Weinstuben » qui griffonnait sa musique au verso des « additions » oubliées par les buveurs. Seule sa sœur aînée Fanny, sa sœur cadette Rebecca et son frère Paul semblaient vouloir suivre les solides traditions patriarcales.

La cellule familiale est très forte, harmonieuse, affectivement soudée, très riche culturellement. Dès lors que les dons des deux aînés pour la musique paraissent évidents, les parents mettent tout en œuvre pour qu'ils s'épanouissent. Félix est un être intelligent, affectueux, doué de sentiments délicats et possédant autant de séduction extérieure que de talent. Élevé par des parents très cultivés qui encourageront sa vocation, l’enfant développera ses dons artistiques, la musique, mais aussi le dessin.

Sous la conduite de maîtres avisés, le jeune Félix apprend le grec, le latin, en même temps que le français et l'anglais, plus tard il y ajoutera l'italien. Musicalement, il bénéficie d'une ouverture exceptionnelle sur tout l'héritage de la musique germanique, mais pas seulement. La formation technique de l'enfant est complétée judicieusement par d'instructifs voyages. Il n'a que sept ans lorsque lui et Fanny suivent leur père à Paris où ils reçoivent, le temps du séjour, des leçons de Marie Bigot, la merveilleuse pianiste à laquelle Beethoven avait donné le manuscrit de la Sonate Appassionata, et il a dix ans lorsque Cari Friedrich Zelter, l'éminent fondateur de la Singakademie de Berlin et ami de Goethe, devient son principal précepteur pour les matières musicales.

Il devra à Zelter sa connaissance de Bach et d'Haendel, mais aussi des principes d'une grande rigidité sur les règles de composition, notamment en matière de musique vocale. Encore jeune adolescent, Zelter le présente à Goethe qui, après l'avoir accueilli avec une certaine méfiance, ne pourra résister à son charme jusqu’à lui accorder une sympathie qu'il refusera par ailleurs à Berlioz, Schubert ou Weber.

Ces conditions privilégiées feront à la fois son bonheur, mais peut-être aussi son malheur. Toutefois, les premières années de son existence s'avancent paisiblement sur une route dont on aplanit devant lui tous les obstacles. Mendelssohn ne connaîtra aucune des laideurs et des rigueurs de la vie.

Alors qu’un grand nombre de grands créateurs ont des existences de martyrs, Mendelssohn, comme comblé par les dieux, enfante dans la joie et ignore l'envers de la gloire. Là où le sort s’acharne et l'âpre obligation de la lutte décuplent les facultés créatrices et survoltent les énergies, l'opposition du visage affable de Mendelssohn et du masque douloureux et maussade de Beethoven demeure, sur ce point, plus éloquente que la plus longue dissertation.

Merveilleux pianiste, les qualités artistiques de Mendelssohn sont nombreuses. Ce futur chef d'orchestre audacieux, prosélyte de la musique allemande et pédagogue passionné remplira ces différentes tâches de manière toujours impeccable. Les réalisations de l'homme entrent autant dans la définition de son destin que son œuvre de créateur.

Puis ce seront des tournées triomphales en Angleterre, de nouveaux voyages en France et en Italie, de brillants succès de chef d'orchestre dans les festivals de Düsseldorf, de Cologne et de Leipzig. En 1837, il se marie avec Cécile Jeanrenaud, fille d'un pasteur français. De cette union naîtra cinq enfants. Ensuite, il se voit nominer à la direction des concerts du Gewandhaus et crée un Conservatoire dans lequel il fait entrer Schumann comme professeur jusqu’à sa brusque disparition, à trente-huit ans, en pleine apothéose.


UN PARALLÈLE ENTRE MENDELSSOHN ET MOZART

Si ses qualités sont nombreuses et diverses, sa réputation de compositeur n'a pas été sans en souffrir. « Un bel accident de la musique allemande », ira jusqu'à dire Frédéric Nietzsche, qui lui fait encore ce violent reproche : « Une musique qui regarde toujours en arrière. » En effet, son souci d'intégration a entraîné Mendelssohn davantage vers une exploitation et un développement des valeurs acquises que vers la prospection des voies de l'avenir. Félix Mendelssohn en aura parfois conscience et s'en justifiera : « Que mes compositions aient quelques ressemblances avec |celles de Sébastien Bach, je n'y suis pour rien, car je les ai écrites, ligne pour ligne, sous l'impression du moment, et si les paroles m'ont impressionné de la même manière que le vieux Bach, je n'en dois être que plus content ; car tu ne penses pas, j'imagine, que je copie des formes sans rien mettre dedans. Un travail aussi vide me répugnerait à un point tel que Je ne pourrais écrire un seul morceau jusqu'au bout. » (Lettre à Hiller)

Certains musicologues feront un curieux parallèle entre le début de sa carrière musicale et celle des années d'apprentissage de Mozart. Comme l'auteur de La Flûte Enchantée, Félix Mendelssohn est un artiste précoce qui, à onze ans, a déjà écrit des sonates, des lieder et des quatuors vocaux. Tout comme Mozart, il donne très tôt des concerts très remarqués et, comme lui, il a également une sœur admirablement douée, qu'il aime tendrement et qui partage ses succès.

Cependant, la comparaison s’arrête là. Alors que le père de Wolfgang ne songe qu'à exploiter commercialement « l'attraction » que constituent ses deux enfants-prodiges, celui de Félix laisse s'épanouir librement les dons de son petit couple de virtuoses, les affranchissant de toute servitude matérielle.

Félix et sa sœur auront le privilège insigne de se consacrer à leur art en toute indépendance. Ici, encore, le climat familial a joué un rôle décisif sur le développement intellectuel des deux jeunes compositeurs dont l'un menait une existence harassante de chien savant, alors que l'autre partageait ses loisirs dorés entre les leçons de Moschelès et les cours de Hegel à l'Université de Berlin.

Toutefois, il est bon de faire remarquer que le génie de Mozart n’est pas un vain mot. Quand Wolfgang s’attaque à sa 25e symphonie à 17 ans et qu’il ne cesse d'agrandir son champ de vision, Mendelssohn atteindra au même âge son point de perfection avec son Ouverture du Songe d'une nuit d'été qui représente son apport le plus personnel à l'idéal et à la technique de son temps : clarté et solidité de la forme, élégance impeccable de l'écriture, suavité des courbes mélodiques, ingéniosité du dessin, féerie de bonne compagnie, orchestration lumineuse et transparente avec de ravissantes trouvailles de détail que tous ses successeurs lui ont empruntées sans scrupules, charme sans bassesse et séduction sans vulgarité, voilà ce que cet adolescent devait apporter aux mélomanes présents en 1826. Robert Schumann définira l’Ouverture du Songe d'une nuit d'été comme « un ruissellement de jeunesse ».

On retrouve ces vertus dans ses autres œuvres maîtresses qu'il écrira plus tard. Elles brillent dans son Concerto de violon aussi bien que dans l'Ouverture de la Grotte de Fingall, dans sa Symphonie italienne comme dans l'Écossaise ou la Réformation, dans sa musique de chambre et dans sa musique d'orgue. Aujourd’hui, on fait assez bon marché du reste de sa production, de ses oratorios comme Elie, Paulus ou le Christus inachevé, des deux premières de ses cinq Symphonies, des ouvertures du Calme de la mer, de Ruy Blas, des Trompettes ou de la Belle Mélusine, de ses deux Concertos de piano, de ses musiques de scène pour Athalie, Œdipe ou Antigone, de ses chœurs religieux et de son abondante collection de Caprices, de Fantaisies et de Romances sans paroles.


FÉLIX MENDELSSOHN : SIX ROMANCES SANS PAROLES
Bruno Robilliard, piano (doc. France 3 - 2000)

MENDELSSOHN CHEF D’ORCHESTRE

Mendelssohn ne se contentera pas de servir la musique en l'enrichissant de partitions charmantes, il se fera l'apôtre dévoué des grands musiciens de son temps. C’est en Allemagne que commence sa véritable vie publique, une vie vouée au développement de la musique. Directeur à Dùsseldorf du festival des pays du Bas-Rhin, bientôt directeur de l'orchestre du Gewandhaus de Leipzig, il se révèle un remarquable chef d'orchestre tout autant qu'un programmateur.

Comme chef d'orchestre, il placera sa baguette au service de Bach et de Beethoven qui avaient besoin, l'un et l'autre, d'être défendus contre l'indifférence ou l'hostilité de leurs compatriotes. Grâce à lui les Concertos pour piano de Mozart sortent de l'oubli et reprennent leur place au concert (avec très souvent Félix Mendelssohn au piano. Il fait redécouvrir les grandes œuvres d'Haendel, Le Messie, Israël en Égypte, etc. Il fait entendre La Création et Les Saisons de Joseph Haydn.

Au festival de Leipzig, à vingt-six ans, il impose avec Clara Wieck (Shumann) - l’une des plus brillantes pianistes du 19e siècle - le Concerto à trois pianos de Bach et fait acclamer son interprétation magistrale de la Neuvième Symphonie de Beethoven. Peu de temps après, il rendait au grand Cantor un hommage éclatant en donnant à la Thomaskirche une exécution grandiose de la Passion selon saint Matthieu et en dirigeant, à Londres, la Messe en si mineur avec une autorité irrésistible.

C'est ainsi que naît une nouvelle conception de «  concerts historiques », et ce n'est pas un des moindres mérites de Mendelssohn que d'avoir été le révélateur du sens et du développement d'une « histoire » de la musique pour tout un immense public de la musique en Allemagne.


La connaissance et l'amour de la musique du passé n'empêcheront jamais Mendelssohn de servir avec la même conviction la musique de son temps. Le compositeur et chef d’orchestre aura été un bon serviteur de l'art et un compositeur d'une rare distinction. On a cru le diminuer en disant qu'il était le « Murillo de la musique ». Beaucoup d'amateurs de peinture admettront que la comparaison n'a rien d'humiliant et que l'on ne rencontre pas tous les jours des musiciens méritant un pareil hommage.

Au fil des ans, la composition se fera plus rare et le travail symphonique s'amenuise. Seule la musique de chambre ne perd pas ses droits. Son dernier Quatuor à cordes, opus 87, est le plus poignant de la série en étant né de la douleur ressentie par Félix à l'annonce de la mort subite de sa sœur aînée, le 14 mai 1847. Fanny, élevée avec lui, aussi douée que lui pour la musique, avait dû renoncer pour des raisons familiales à faire de la musique sa profession. Son frère Félix, en dépit de l'amour qu'il portait à sa sœur, l'en avait même personnellement dissuadé. La perte de Fanny, intervenant après les morts successives de son père et de sa mère, c'est la disparition du miroir de lui-même, l'arrachement définitif au souvenir d'une enfance enchantée. Mendelssohn n'y survivra pas. Six mois plus tard, il meurt à son tour, le 4 novembre 1847, de la même attaque cérébrale dont était morte sa sœur, comme s'il lui fallait ainsi souligner les rôles de doubles que jouaient depuis l'enfance Fanny et Félix.

Par Patrick Martial (Cadence Info - 05/2019)
(Source : Histoire de la musique occidentale - Brigitte Mossin)


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