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JAZZ ET INFLUENCES

LES GRANDS GROUPES VOCAUX DU JAZZ

Malgré la place accordée aux quelques groupes vocaux populaires comme le trio Lambert-Hendricks-Ross et les fameux Double Six, il serait dommage d’ignorer ceux qui, au fil des époques, ont montré la voie dans ce domaine. Assimilée le plus souvent à de la variété rythmée à succès, ils ont fait office de pionnier dans la grande famille de l’Art Vocal. Combinant le chant et la danse pour certains, l’instrumentation pour d’autres, il n’est pas un groupe vocal qui n’ait flirté, un jour où l’autre, avec le jazz, vulgarisant de ce fait les standards auprès du public.


DES BOSWELL SISTERS AUX ANDREWS SISTERS

C’est au début des années vingt que les premiers groupes se constituent. Trois sœurs, Connie Martha et Vet, musiciennes classiques, se regroupent sou le nom des Boswell Sisters, et se font entendre dans les programmes radiophoniques. À partir de 1925, elles enregistrent, le plus souvent aux côtés de jazzmen de grande valeur comme Benny Goodman, les frères Dorsey ou Bunny Berigan. Le trio connaîtra un succès retentissant jusqu’en 1935.

Quelques années auparavant, les quatre frères Mills se distinguent de la masse des formations existantes en mêlant à leur prestation l’utilisation du « tap dance » à la voix, comme le faisaient les Nicolas Brothers, les Delta Rhythm Boys ou les Ink Spots, illustrant par leur intonation vocale particulière l’imitation des principaux instruments utilisés en jazz.

Les Mills Brothers obtiendront une reconnaissance phénoménale du monde musical, enregistrant avec Cab Calloway, Ella Fitzgerald, Duke Ellington, Count Basie, Louis Armstrong… influençant par leur fraîcheur d’expression des chefs de file comme Lester Young (le mouvement Cool doit beaucoup aux « Mills »).

Pratiquement à la même période, les trois sœurs Andrews, jeunes blanches que l’influence des Boswell ne laissa jamais insensibles, deviendront, dès 1937, les superstars de la variété américaine. La cadette du trio, Patty écrira tous les arrangements et sa passion pour le jazz apportera un renouveau dans leur manière d’interpréter les standards.

Les Andrews Sisters deviendront très vite le plus important groupe féminin des USA et s’affirmeront comme l’attraction essentielle de l’univers américain durant, notamment, la seconde guerre mondiale.


LE JAZZ VOCAL DES ANNÉES CINQUANTE

Dans le courant des années cinquante – alors que jusqu’ici la plupart des groupes étaient familiaux (citons, en complément, les Kelly Sisters ou les Peters Sisters) – apparaissent des formations diversement constituées ; principalement en Californie, où la voix est très présente dans le mouvement West Coast. Les principales formations vocales offriront une large palette de styles et de courants variés.

Tout d’abord avec les Four Freshmen, découverts par Stan Kenton qui, séduit par la grande originalité du groupe, organise leur première séance d’enregistrement. "Down Beat" les couronne en 1953 comme meilleur groupe vocal, récompensant de ce fait l’énorme travail de recherche effectué. Jusqu’au milieu des années 60, les quatre « bleus » connaîtront une importante popularité, mais seront très rapidement distancés par leurs poursuivants immédiats : les Hi-Lo’s.

Plus « polyvalents » que leurs prédécesseurs et concurrents, les HI-Lo’s, par leur technique vocale infaillible, se permettaient d’aborder un répertoire aussi varié que possible (les œuvres de Bach côtoyant sans ombre les orchestrations joyeuses de Marty Paich ou le swing ravageur d’un jazz plus traditionnel). Alors qu’ils font une réapparition peu remarquée en 1978 (tout comme les Freshmen en 86) leur influence ne sera pas sans retombée : Manhattan Transfer ou plus modestement les L.A. Voices.


LAMBERT, HENDRICKS AND ROSS

L’origine du trio Lambert-Hendricks-ross remonte à 1957. Dave Lambert, Jon Hendricks et un groupe de choristes devaient interpréter des arrangements vocaux de succès du répertoire de l’orchestre de Count Basie. Dave Lambert, pionnier du chant bebop, s’était produit avec Charlie Parker, Gene Krupa… et Jon Hendricks, poète de talent, n’avait pas son pareil pour écrire des textes privilégiant l’humour le plus « hip ».

Les premiers résultats se révélant vite catastrophiques du fait du manque de swing des choristes, les deux chanteurs poursuivirent leur expérience avec Annie Ross déjà connue pour avoir transcrit vocalement le solo de Wardell Gray sur Twisted.

Les trois amis interprétèrent toutes les parties orchestrales en utilisant la technique du réenregistrement. Le procédé, désigné sous l’étiquette « vocalese » par les Américains, n’était certes pas nouveau dans son principe. Eddie Jefferson avait eu le premier l’idée en adaptant des paroles sur des improvisations : Charlie Parker dans Parker’s Modd et sur une version de I’m In The Mood For Love de James Moody. Quoiqu’il en soit, propulsé par le succès de l’album Sing A Song Of Basie, le trio devint célèbre. Gravant de nombreux recueils, les trois compères se produisirent dans des festivals de renoms, le plus souvent accompagnés d’un trio (Gildo Mahonès au piano, Ike Isaacs à la contrebasse, et Kahmul Madi à la batterie).

En 1962, Annie Ross, malade, dut quitter le groupe et céder sa place à la talentueuse Yolande Bavan. Le trio, alors intitulé Lambert-Hendricks & Bavan, enregistra trois bons albums pour RCA et fut finalement dissout en 1964, peu après le départ de Dave Lambert.

Capables de chanter de façon classique et d’improviser en scat, le fameux trio eut le mérite, non seulement, de restituer vocalement le phrasé des solistes, mais aussi de transcrire avec beaucoup de swing, de dynamisme et d’humour toutes les nuances attachées aux parties orchestrales. Lambert, Hendicks and Ross fut une source d’inspiration pour les Doubles Six et, plus près de nous, pour le groupe Manhattan Transfert.

EN EUROPE...

En Europe, la formation des Blue Stars menée par Blossom Dearie (point de départ de la série des groupes français marquants) dès 1955, ainsi que les Double Six (1959) sous l’égide de Mimi Perrin et les Swingle Singers (1962) dirigés par Ward Swingle, poursuivent la grande tradition de leurs aînés outre-atlantique.

À quatre (Blue Stars) six (Double Six) ou huit (Swingle Singers) et durant une dizaine d’années, ces formations renouvelleront, de manière originale, le langage chanté, tout en respectant scrupuleusement leur racine européenne. Dans les années 80, TSF et le Slapscat de Daniel Huck – brillant improvisateur, musicien et fougueux showman – continue de perpétuer la tradition du chant français sans complexes.


LES DOUBLE SIX

L’ensemble Les Double Six fut constitué en 1959 par Mimi Perrin, pianiste et chanteuse qui avait auparavant appartenu au groupe Les Blue Stars, dirigé par Blossom Dearie. À la suite de King Pleasure, Eddie Jefferson et surtout du trio Lambert Hendricks and Ross, Les Double Six réalisèrent de remarquables transpositions vocales de grands thèmes de jazz.

Mimi Perrin, parolière et âme du groupe, réussit un tour de force en restituant les attaques, les inflexions et le phrasé d’un big band et de ses solistes (reprise des improvisations) par un travail de modelage des syllabes sur les sons, au fil d’histoires originales, poétiques et humoristiques. Ainsi, et grâce à la technique et à l’interprétation de vocalistes hors pair, la langue française se mit à swinguer. L’ingénieur du son Jean-Michel Pou-Dubois utilisa une technique de réenregistrement qui donne l’impression que les voix sont au nombre de douze (d’où le nom du groupe).

Les Double-Six se produisirent sur scène aux États-Unis, au Canada et en Europe. Ils enregistrèrent leur premier disque en collaboration avec Quincy Jones et gravèrent par la suite d’excellents albums. Au cours de sa carrière, qui se termina en 1966, le groupe comprit les chanteurs, chanteuses et musiciens suivants : Louis et Monique Aldebert, Claudine Barge, Jean-Claude Briodin, Jacques Denjean, Hélène Devos, Gaëtan Dupenher, Claude Germain, Jeff Gilson, Christiane Legrand, Eddy Louiss, Bernard Lubat, Bob Smart, Ward Swingle et Annie Vassiliu.

THE MANHATTAN TRANSFER

C’est en 1980, sur l’adaptation du thème Birdland de Joe Zawinul, que l’Europe découvre le groupe Vocal Manhattan Transfer. Créé en 1972, par un ancien chauffeur de taxi new-yorkais, Tim Hauser, le quatuor (Janis Siegel, Alan Paul et Laurent Massé – succédé par Cheryl Bentyne en 1979) s’intéresse au départ à la variété « popisante », pour ensuite se ressourcer auprès des groupes noirs des années cinquante.

Leurs premiers albums passent relativement inaperçus, mais, grâce à la télévision, Manhattan Transfer connaît ses premiers succès en 1976. Ce ne sera donc qu’à la sortie de leur cinquième 30 cm, Extensions, que le groupe se fera sensiblement remarquer.

Ayant découvert entre temps ce que faisaient dans les fifties les Four Freshman ou les Hi-Mo’s, Tim Hauser décide de donner une nouvelle orientation au groupe. Leur répertoire s’enrichit alors de thèmes purement jazz, les orchestrations se font de plus en plus swinguantes et la formule connaît un succès grandissant. Sans jamais tomber dans le plagiat, avec de modestes, mais sincères moyens vocaux toujours respectueux de la tradition, Manhattan Tranfer poursuit, avec une certaine réussite, un parcours sans faille, de la ballade au bop, des rythmes brésiliens à la chanson française, la légende de l’art vocal.

Par Etienne de Sainty-Marcel et Alain Tomas (Cadence Info - 11/2013)


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