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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

HÉLÈNE DACCORD : LE LIVRE "QUAND LA MUSIQUE FAIT L'HISTOIRE" OU "QUAND LA MUSIQUE JOUE UN RÔLE DIPLOMATIQUE"

La musique n'est pas seulement synonyme de divertissement, elle peut jouer un rôle diplomatique lorsque des tensions éclatent entre deux pays ou quand les relations internationales sont dans l'impasse. Dès lors, le quatrième art est envoyé pour délivrer son message. Reprenant l'exemple cité par Hélène Daccord dans son livre "Quand la musique fait l'histoire", Platon estimait déjà, dans un dialogue philosophique portant sur la république, que « si tu veux contrôler le peuple, commence par contrôler sa musique. »


PRÉSENTATION DU LIVRE

Quelle place occupe la musique dans le concert des nations ? Depuis le 18e siècle, les rivalités entre États se sont autant exprimées sur la scène militaire que musicale. Les notes, même dépourvues de mots, ont un écho politique. Voici un livre unique en son genre qui revient sur quinze instants légendaires où la musique a supplanté les canons. Du sacre de Napoléon en 1804, qui valut à l’empereur l’inimitié à vie du compositeur Beethoven, à la visite de l’Orchestre Philharmonique de New York en Corée du Nord en pleine crise nucléaire, en passant par les figures symboliques de Verdi et Wagner, qui, au 19e siècle, ont réveillé les patriotismes italien et allemand, ou encore le concert improvisé de Rostropovitch devant le mur de Berlin en 1989, Hélène Daccord relate avec intelligence et fantaisie ces scènes mémorables où le fracas des armes a laissé place à l’harmonie des instruments.


POINT DE VUE SUR DES MUSIQUES INSTRUMENTALISÉES

Diplômée de l'École normale supérieure en géopolitique et de l'ESSEC, Hélène Daccord, 29 ans, est aussi musicienne. "Quand la musique fait l'histoire" est son premier livre. Dans celui-ci, l'autrice nous démontre comment cet art, venu des temps immémoriaux, demeure un outil qui relève de l'autorité souveraine. Tout récemment, l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe représente un parfait premier exemple des retombées politiques sur le domaine artistique. Le gouvernement de Volodymyr Zelensky prenant acte, les artistes russes qui devaient se produire seront déprogrammés et, pour les mêmes raisons, les partenariats qui liaient certains établissements culturels ukrainiens avec les salles de spectacles moscovites seront rompus. Dans ce prolongement, le concours de l'Eurovision 2022 empruntera le même chemin en excluant la Russie de l'événement médiatique.

© Éditions "Passés composés"

Quand on éprouve une passion pour la musique, qu'elle soit classique ou non, quel est donc sa part d'intégration avec le régalien ? Les compositeurs, écrivent-ils de la musique dans un but stratégique pour défendre certaines valeurs ? Leur acte, repose-t-il sur des prises de positions politiques ? Les musiciens et chanteurs, font-ils de même en choisissant d'interpréter ou non une œuvre en fonction du pays visité ? Par le passé, certains compositeurs ne s'en sont pas cachés, à commencer par Beethoven, qui retira la dédicace de sa symphonie dite "Héroïque" pour devenir le premier opposant de Napoléon.

Pourtant, la musique n'est pas un mode d'expression politique, c'est un art. Elle est hors du temps, éphémère pour certains, mais comme tout art, elle peut devenir une porte d'entrée pour provoquer des discours et des attitudes qui n'ont rien d'innocent. Ceux qui servent la musique, en sont-ils toujours conscients ? Dans un tel cas, la « course à la reconnaissance éternelle » ne se transforme-t-elle pas en « solution diplomatique » quand il faut soutenir de valeureuses causes ?

De cette confusion entre le beau et la raison, le livre d'Hélène Daccord en fait écho en affirmant que la musique classique est utilisée comme un instrument de diplomatie par les États depuis le 18e siècle. « La musique participe à créer de nouveaux espaces de dialogue et à adoucir les relations internationales sur le modèle de la "diplomatie du ping-pong" en sport. Elle est un moindre mal, un exutoire salvateur face aux violences du monde réel », peut-on lire dans son ouvrage.

L'aboutissement de ses recherches est appuyé par des exemples frappants et historiquement reconnus, à l'exemple de la “Querelle de Bouffons” qui a opposé au milieu du 18e siècle les défenseurs de la musique française regroupés derrière le compositeur Jean-Philippe Rameau et ceux réunis autour du musicologue et philosophe Jean-Jacques Rousseau ; ces derniers étant favorables à « l'italianisation » de l'opéra français. Une coïncidence fortuite ? Pas vraiment, car au même moment des affrontements se produisaient entre territoires français et duchés italiens.

Des quinze faits légendaires suggérés par Hélène Daccord et dans lesquels la musique a remplacé les armes, mentionnons Verdi et Wagner, deux compositeurs aux âmes révolutionnaires qui réveilleront respectivement les patriotismes italiens et allemands dans le "Printemps des peuples" en 1848 ; et cet autre, datant de 1932, qui se déroula lors de l'ouverture du Congrès de musique du Caire, paraphant l'acte de naissance de la musique arabe et venant soutenir l'action du roi Fouad Ier. De surcroît, comment passer à côté de ces images qui ont fait le tour du monde en 1989, quand le violoncelliste Rostropovitch interpréta les Suites de Bach à la chute du mur de Berlin !


ROSTROPOVITCH DEVANT LE MUR DE BERLIN (LES DESSOUS D'UNE IMAGE ICONIQUE)
Le récital du violoncelliste et chef d'orchestre Mstislav Rostropovitch est l'un des symboles de la chute du mur de Berlin en 1989. Si ce moment historique a suscité une intense émotion tant au niveau collectif que personnel, ce fut de plus un moment d'humour inattendu.

On pourrait tout aussi bien citer ce dernier exemple, mentionné et détaillé par Hélène Daccord, et concernant la visite de l’orchestre philharmonique de New-York en Corée du Nord, durant les négociations nucléaires de 2008. Comment la dynastie Kim, qui ne représente certainement pas un exemple à méditer vis-à-vis des « droits de l'homme », a-t-elle perçu le programme interprété par l'orchestre américain quand celui-ci outrepassait les limites diplomatiques en diabolisant le régime totalitaire coréen par son programme audacieux ? Interpréter Un Américain à Paris de Gerswhin, soit ! Mais jouer devant le parterre d'officiels, l’Hymne du Nouveau Monde de Dvořák et l’hymne national des États-Unis, ne représentait-il pas un instrument de l'action diplomatique du président Bush ? Sûrement !

Pour Hélène Daccord, la cause est entendue. Dans ces quinze cas relatés, la musique classique agit comme un message politique, mais à condition d'être exécutée dans un lieu et à une période qui s'y prête, dans un contexte porteur. Par ailleurs, la musique devient un mode d'expression du politique quand elle vise à renforcer le patriotisme. L'usage des hymnes nationaux, n'est-il pas révélateur de leur portée par temps de paix comme en temps de guerre ?

Les symphonies, les concertos et autres pièces célèbres autorisent, en quelque sorte, une règle de manipulation dirigée par les pouvoirs en place, acceptée par la masse – et auxquels prennent part les individualités artistiques concernées – ceci afin de conforter positions et stratégies diplomatiques. Et comme le précise Hélène Daccord en soulignant l'apport du quatrième art : « Enregistrer, codifier, protéger et diffuser son patrimoine, c'est faire rayonner sa puissance dans le monde ! »

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2023)

Hélène Daccord
"Quand la musique fait l'histoire"
Éditions "Passés composés"
Parution 10/05/2023
256 pages
Prix : 22 €
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