Interview autour de deux pianistes talentueux que tout sépare, les origines, mais également le style ; classique, pour Lang Lang et jazz pour Herbie Hancock.
Si Lang Lang est un brillant et jeune pianiste classique issu de la nouvelle génération, Herbie Hancock, sans en avoir l'air, fêtera bientôt ses 70 ans. Le pianiste de jazz qui œuvre tant pour le renouveau du langage musical improvisé, n'a de cesse de s'entourer, comme le faisait autrefois Miles Davis, par de jeunes musiciens. La première rencontre entre Herbie Hancock et Lang Lanb s'est déroulée devant quarante-cinq millions de télespectateurs, lors de la prestigieuse cérémonie des Grammy Awards 2008 où ils ont interprété la Rhapsodie in Blue de George Gershwin, trait d'union musical, s'il en est, entre la musique classique et la musique jazz. Grâce à un public conquis par leur enthousiasme et leur bonne humeur, les deux artistes ont décidé de poursuivre dans cette voie en réalisant une série de concerts exceptionnels un peu partout aux quatre coins de la planète.
Lors des concerts, les deux pianistes se produisent chacun en solo, ensuite en duo sur un piano pour du quatre mains et enfin à deux pianos. Mais les deux pianistes ne sont pas toujours seuls à jouer sur la scène. Pour l'exécution de certaines œuvres, un orchestre classique, l'Orchestre national de Lyon, participe à l'aventure. Outre l'interprétation de la Rhapsodie in Blue, cette suite de concerts donnera l'occasion de faire entendre au public un Concerto pour deux pianos de Ralph Vaughan Williams.
Ce duo n'est pas sans rappeler celui qu'Herbie Hancock avait formé durant les années 1970 avec son ami Chick Corea. Mais la comparaison s'arrête là, car Lang Lang n'est pas Chick Corea et réciproquement. L'influence dominante du classique chez Lang Lang conjugué au style de jazz stylisé par Herbie Hancock apporte d'heureuses surprises et en premier lieu, celle d'entendre le jazzman flirter avec la musique classique.
Cet interview a été réalisé lors de la prestation des deux pianistes à Montreux en 2009. Si ce court interview ne nous apprend rien de nouveau, il est le témoin de la simplicité et de la bonne entente qu'il existe entre ces deux monstres sacrés du piano, et du respect mutuel qu'ils éprouvent l'un envers l'autre.
Vous allez jouer en duo avec le pianiste Lang Lang. Quand l'avez-vous connu ?
Herbie Hancock : la première fois que j'ai entendu parler de lui, c'était dans les journaux. Je me suis souvenu de lui, car c'est le même nom deux fois (il rit de bon cœur). Lang Lang… On disait que c'était un jeune prodige de Chine. Le nom est resté dans ma tête. Et puis il y a eu un concert à Los Angeles avec l'orchestre philharmonique qui jouait Le Sacre du Printemps, de Stravinski. C'est mon œuvre classique préférée. Et il se trouve que Lang Lang participait à la soirée. J'y suis allé, puis à la fin du concert, je l'ai rejoint en coulisses. C'est un type chouette, drôle, très détendu. C'était une rencontre surprenante, car les musiciens classiques sont plutôt "coincés". Quelques mois plus tard, on m'a demandé d'interpréter "Rapsody in Blue" aux Grammy Awards, en duo de piano avec Lang Lang. J'étais terrorisé par cette idée, je n'avais pas joué de musique complètement écrite depuis mon adolescence. Mais je l'ai fait. Et nous avons développé une belle amitié.
Vous avez débuté par la musique classique, pourquoi avoir bifurqué vers le jazz ?
Herbie Hancock : il y avait un mystère dans l'environnement du jazz dû à l'improvisation. C'est différent tout le temps. ça m'intriguait. Je jouais de la musique classique depuis l'âge de 7 ans. J'avais été exposé au jazz, mais je n'y avais jamais prêté attention. Puis à 14 ans, à l'école, j'ai assisté à une performance en trio. Le pianiste était un garçon de ma classe. Il devait avoir mon âge et il improvisait… sur mon instrument ! Je n'ai jamais pensé que quelqu'un de si jeune pouvait le faire… Je n'ai pas très bien compris ce qu'il jouait, mais il avait l'air de savoir ce qu'il faisait. J'ai été fasciné par cette idée. Je lui ai parlé et il m'a suggéré d'écouter certains disques. Ça a commencé comme ça. Petit à petit, ça m'a capturé. C'était comme un aimant. Dans le jazz, tu composes et tu joues en même temps. C'est un procédé fascinant. ça révèle tellement de toi, de comment tu es, comment tu te sens. J'ai commencé à étudier de plus en plus et ma curiosité est allée en grandissant. Il y avait toujours tellement plus à étudier.
L'an prochain, vous fêterez vos 70 ans. Ça semble à peine croyable, qu'est-ce qui vous maintient en si bonne forme ?
Herbie Hancock : (Il rit…) C'est vrai, l'an prochain, je fête mes 70 ans, mais je ne me sens pas cet âge. Je pense qu'il y a plusieurs raisons à ça. La première vient des gènes de mes parents, de mon maquillage génétique. Mon père a toujours fait jeune et ma mère aussi. Il est mort à 90 ans. Ils ont été tous les deux en bonne santé. Puis je ne suis pas facilement stressé. En même temps, je pratique le bouddhisme depuis trente-sept ans. Ça m'aide vraiment à voir les situations pour ce qu'elles sont. On n'est jamais surpris par des choses qui pourraient nous dépasser. Cette sorte de liberté que l'on acquiert dans cette pratique m'aide à me sentir bien. (Dans sa chambre, le téléphone sonne, de plus en plus insistant…) On parlait de stress ? Là, je fais presque mon âge !
Lang Lang, qui est Herbie Hancock pour vous ?
Lang Lang : une légende du piano, mon jazzman préféré.
En tant que musicien classique, comment appréciez-vous le jazz ?
Lang Lang : ce sont deux styles très similaires, les deux exigent des connaissances. Ce sont des musiques très complexes.
Avez-vous une idée du concert que vous allez donner avec Herbie Hancock ?
Lang Lang : on va commencer avec "Rhapsody in Blue", de Gershwin, puis nous serons accompagnés par l'orchestre national de Lyon. On jouera des pièces à quatre mains, puis Herbie fera trente minutes de solo jazz, moi trente minutes de classique. Ensuite, on jouera à nouveau ensemble.
Comment réagissez-vous à votre nomination dans la liste de "Time Magazine" ?
Lang Lang : c'est un grand honneur, d'autant plus que l'année dernière Herbie Hancock y figurait. Si j'y suis, c'est que les jeunes me voient comme un héros en musique. Je pense que je les influence. On connaît les difficultés du marché du disque - le classique n'y échappe pas.
Comment faites-vous pour vous en sortir si bien ?
Lang Lang : je suis content que l'on vienne me voir en concert, mais je crois en la qualité. Si tu es un pianiste médiocre, ta carrière ne sera pas longue. Pour les musiciens classiques, le plus important, c'est de bien jouer. Chaque nouveau concert est un challenge.
Vous êtes une superstar en Chine, aux États-Unis, mais en France ou en Suisse, vous êtes moins plébiscité et les critiques ne sont pas très tendres. Voulez-vous les convaincre de votre talent ?
Lang Lang : non, il n'y a pas besoin de tenter de les convaincre, car le temps le prouvera. Je respecte les critiques, on ne peut rien y faire. On ne peut pas plaire à tout le monde. L'important, c'est d'être sincère avec soi-même. Et je ne pense pas être moins populaire en Suisse. Chaque fois que j'y joue, les concerts sont complets. Et si vous regardez mes ventes de disques, la Suisse, dans les dernières cinq années, c'était mon "top-market" !
HERBIE HANCOCK & LANG LANG - RHAPSODY IN BLUE (Gershwin)
(enregistré au '10e Classical Brit Awards 2009)
Vous avez commencé le piano à 3 ans ; quel genre d'enfance avez-vous eu ?
Lang Lang : je travaillais entre 6 et 8 heures par jour lorsque j'avais 8 ans. Malheureusement, si tu dois devenir un pianiste professionnel, tu dois te sacrifier. Tu ne peux pas être un grand pianiste si tu ne joues pas. J'ai beaucoup pratiqué et, quand les autres enfants jouaient, sortaient, pour moi, c'était toujours la pratique du piano. Mais j'ai aimé jouer du piano.
Vous êtes en Chine, vous vivez en grande partie à New York. Êtes-vous tenté par la nationalité américaine ?
Lang Lang : non, pas du tout. Je vis à New York, c'est chouette. Je passe six mois par an en Europe, quatre aux États-Unis, un en Chine et le dernier mois ailleurs. Je suis un citoyen chinois, j'ai toujours mon passeport chinois. Je dirais plutôt que je suis citoyen du monde. Mais je n'ai pas l'intention d'avoir le passeport américain. J'aime bien les États-Unis, mais je veux garder mon passeport original ; je suis très fier d'être chinois.
Vous semblez avoir atteint déjà le meilleur, quel est votre prochain rêve à réaliser ?
Lang Lang : être plus solide en tant qu'homme et que musicien. Et amener la musique classique aux jeunes. C'est mon but.
Interview réalisé par K. Vouillamoz
(Cadence Info - 05/2009)
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