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INSTRUMENT ET MUSICIEN

LA FLÛTE, L’HISTOIRE D’UN INSTRUMENT SANS ÂGE

Raconter l'histoire de la flûte, c’est s’attaquer à l'un des plus anciens instruments fabriqués par l'homme. Partant d’un simple coquillage ou d’un os d’animal pour devenir un instrument technique capable de s’attaquer à des répertoires élaborés, la flûte, avec sa sonorité aiguë, apporte sa touche de raffinement et de légèreté au sein des orchestres classiques et modernes.


LA FLÛTE DANS SA SIMPLICITÉ

Des recherches historiques ont démontré qu’il existait des flûtes depuis l’âge de pierre, il y a plus de 20 000 ans, et si un modèle d’origine chinoise est parvenu en Europe il y a quelque 2 000 ans, on date à près de 10 000 ans les flûtes découvertes en Europe septentrionale.

© J.L Mazieres (flickr.com) - Tableau 'Le joueur de flûte' par Dirk Van Baburen (1590-1625). Un avant-goût de l'utilisation de la flûte traversière.

Dans sa forme la plus simple, l’instrument produit un seul son en soufflant dans un corps creux. Un simple bout de roseau suffit. Son évolution consistera dans un premier temps à réunir des tubes de différentes longueurs pour émettre toute une gamme de notes (à l'image de la flûte de Pan). L’homme découvrira aussi qu’il peut augmenter le nombre de notes en perçant des trous dans un unique tube, ce qui lui permettra d’inventer de véritables mélodies simplement en jouant avec la pression de l’air.

Dans le monde occidental, au fil de son utilisation, deux catégories de flûte voient le jour : la flûte de plein air et la flûte d'intérieur. Si le principe de la restitution du son reste à peu près le même, les différentes modèles ont pour spécificité de modifier la nature et la qualité de leur timbre.

Le son perçant du fifre médiéval est l'exemple idéal pour jouer de la musique en plein air. Il est parfait quand il est associé au tambour lors des marches militaires, alors que le son plus doux auquel nous sommes habitués, notamment celui des flûtes traversières de l'orchestre symphonique, n’est apparu que plus récemment, à la fin du 17e siècle, pour ensuite se généraliser à l'époque romantique et au début du 19e siècle.


LA FLÛTE TRAVERSIÈRE ET SON ÉVOLUTION

Au début de son utilisation chez les musiciens, le terme « flûte » désignait habituellement la flûte à bec. Puis, quand la flûte traversière la supplanta, on commença à l'appeler simplement « flûte », comme c’est le cas aujourd'hui. Toutefois, la flûte à bec a longtemps cohabité avec la traversière. Un des Concertos brandebourgeois de Bach fait appel à la première et deux autres à la seconde. Dès la Renaissance, on a fabriqué des flûtes à bec de différentes tailles qui jouaient ensemble — un peu comme dans le quatuor à cordes qui viendra plus tard. Leur apogée s'étendra jusqu'au milieu du 17e siècle.

Ce sont les peintures étrusques qui constituent les premières descriptions de la flûte traversière. Sur les peintures et sculptures de la fin de l’époque hellénistique, on peut observer qu'elles étaient déjà munies de trous, généralement au nombre de six.

À partir du 12e siècle, elles commencent à se répandre en Europe. À la fin du Moyen Âge, elles venaient surtout d'Allemagne et de Suisse sous le nom de flûtes allemandes. Elles étaient habituellement en buis, mais d’autres matières étaient utilisées, même le verre.

Vers le milieu du 17e siècle, le son de la flûte devient plus doux. En France, les Hotteterre font progresser la facture de nombreux instruments à vent, dont la flûte. Son tube s'élargit. Sa forme conique s'accompagne de trous disposés différemment pour faciliter le jeu. L'adjonction d'une clé devient la règle pour plus de cent ans.

Jusqu'alors, les flûtes étaient d'une seule pièce. Désormais, on les fabrique en trois parties : la tête portant l’embouchure, le corps avec de multiples trous, et la patte avec quelques trous et souvent une clé. Au début du 18e siècle, on commence à rendre le corps interchangeable afin de pouvoir faire varier la tonalité de l'instrument.

© G.Garitan (wikipedia) - Le pupitre des flûtes placé devant les trompettes au sein d'un orchestre durant une répétition.

Les compositeurs composent alors de nombreuses œuvres pour des instruments solistes et la flûte comme le hautbois en font partie. Néanmoins, devancés par la popularité des hautboïstes, les flûtistes doivent attendre le milieu du 18e siècle pour voir leur instrument devenir à la mode, à l'époque des Lumières. Amateurs et professionnels, et même le roi de Prusse Frédéric le Grand consacreront beaucoup de temps à jouer de la flûte et à composer pour elle. Parmi les musiciens de son entourage, son professeur Johann Joachim Quantz a laissé notamment un traité, publié en 1752, que l’on peut encore lire aujourd’hui avec profit.

L'orchestre symphonique contemporain n'utilise habituellement que la flûte traversière. Néanmoins, quelques œuvres font exception, comme La Flûte enchantéeMozart choisira la flûte de Pan.

Pendant la seconde moitié du 18e siècle, les facteurs travailleront beaucoup à l'amélioration de l'embouchure, du corps et de la disposition des trous. De nouvelles matières seront utilisées. L'objectif était d'obtenir un son plus plein avec plus de facilité pour changer de tonalité. Pour cela, on portera le nombre de clés à huit, tout en simplifiant le doigté pour satisfaire le besoin d’un instrument devenu depuis chromatique.


CLAUDE DEBUSSY : ‘PRÉLUDE À L'APRÈS-MIDI D'UN FAUNE'
Juliette Hurel (flûte), avec Fuminuri Tanada au piano (Conservatoire à rayonnement régional de Paris - 2012)

LE SON DE LA FLÛTE ET SON LANGAGE

Ce qui distingue la flûte des autres instruments à vent est la manière de produire le son. Le principe est le suivant : on souffle sur un biseau qui divise le jet d’air comme dans un sifflet. Celui-ci change régulièrement de direction de part et d’autre du biseau, produisant une vibration qui est transmise ensuite à l'air contenu dans le tube.

© Maxmann (pixabay.com) - Quatre flûtes à bec de taille différente. On remarque sur la flûte située à gauche, la présence d'une clé qui permet d'atteindre l'orifice situé à l'extrémité de l'instrument.

Il existe deux manières de diriger le souffle sur le biseau.

La première consiste à faire passer le souffle par un canal creusé dans le bec de la flûte, partie rapportée au bout du tube et dans laquelle la lèvre biseautée est disposée à l’extrémité inférieure de ce canal. Le jet d’air frappe ainsi le biseau selon un angle constant, ce qui explique que le musicien ne peut guère modifier le son obtenu.

La flûte à bec, où flûte douce, fonctionne ainsi. Elle se caractérise par un bec fixé à la partie supérieure du corps. On obture complètement ou partiellement les trous de la flûte à bec avec le bout des doigts selon différentes combinaisons. Le registre grave est doux et intime. Dans le registre aigu, le doigté doit être coordonné avec l’augmentation de la pression, ce qui oblige le musicien à souffler plus fort en vue de produire un son plus perçant.

La seconde manière est de souffler directement sur la partie éloignée du trou de l'embouchure. L’avantage est que le musicien peut modifier la qualité du son en changeant la tension et la position de ses lèvres, donc l'angle du jet d’air. C’est ainsi que l'on joue de la flûte traversière (dans cet instrument, l'embouchure est disposée sur le corps de la flûte, près d’une de ses extrémités. On peut aussi souffler directement sur le bord du tube).

La flûte traversière est le plus agile des instruments à vent de l'orchestre symphonique et les compositeurs exploitent cette qualité pour les passages rapides. Son jeu peut être articulé de différentes façons, y compris pour les trilles et le tremolo. Son timbre est aussi variable. Dans le registre médium, il est clair et doux, et convient à une musique avant tout mélodique. Dans le grave, il peut être poignant, tandis que dans l’aigu il devient léger et brillant. Sa tessiture est étendue : plus de trois octaves et demie pour un instrumentiste habile. En revanche, sa dynamique est plus limitée que celle des autres vents.

L'HISTOIRE DE LA FLÛTE BOEHM

Le développement décisif de la flûte date de la première moitié du 19° siècle. Theobald Boehm, flûtiste de l’orchestre de la cour de Munich, qui était aussi un orfèvre confirmé, consacrera des années à la mise au point d’un instrument permettant d'obtenir des sons presque purs et pleins sur toute l'étendue de l'échelle chromatique tempérée.

Pour concevoir ses flûtes, le facteur d’instrument revient quasiment à la perce (intérieur du tube) cylindrique en usage au Moyen Âge. Il agrandit le diamètre de l'embouchure et des trous, puis dispose la totalité de ces derniers à l'emplacement acoustiquement idéal, sans tenir compte de la difficulté qu’on pouvait avoir à les atteindre. Il n’y avait alors d'autres solutions que celle de perfectionner les mécanismes. Theobald Boehm imagine notamment la clé en anneau permettant, avec un même doigt, d'obturer un trou et d'agir, par l'intermédiaire d’une spatule et d'une tige, sur un autre trou autrement inaccessible (principe mécanique que l'on retrouve aussi sur le saxophone).

La première flûte de Boehm voit le jour en 1832 et le modèle définitif quinze ans plus tard. Le pas franchi était si décisif qu'aucune modification significative n’a été jugée nécessaire pendant le siècle et demi qui a suivi. Pourtant, lors des premiers essais, de nombreux musiciens commencèrent par se méfier de cette flûte pour laquelle ils portaient un jugement négatif, estimant que le son était moins caractéristique que celui des anciennes flûtes en bois. Néanmoins, grâce à leur chromatisme amélioré et à la plus grande régularité de leur émission sonore, les flûtes Boehm finiront par être largement acceptées ; par Berlioz qui, comme toujours, tirera rapidement parti de ces progrès, mais aussi par Richard Strauss et les Français du début du 20e siècle qui exploiteront pleinement toutes les possibilités de la flûte de Boehm.

Avec Boehm, les flûtes en métal deviendront la règle et c’est toujours le cas aujourd'hui. Celles utilisées dans les orchestres symphoniques, généralement en argent ou en maillechort (alliage de cuivre, zinc et nickel imitant l'argent), ont un timbre riche en harmoniques. Chaque matière a ses qualités propres que l’on peut combiner en divers alliages. Les flûtes en bois jouent aussi un rôle dans certains orchestres.

© Ugo Ponte (flickr.com) - Utilisation d'une flûte traversière par Anastasia Avdalova

Bien que la plupart soient en métal, les flûtes traversières font partie du groupe des bois, ce qui est historiquement explicable. Pour le compositeur, il est essentiel que la flûte, sur le plan musical, se marie parfaitement avec les autres bois que sont le hautbois, la clarinette et le basson.

La liste des flûtes traversières autres que la « grande » flûte de nos orchestres est longue, avec des noms aussi imaginatifs que flûte d'amour ou « fifre suisse ». Cependant, les plus communes demeurent le piccolo et la flûte alto (nommée flûte basse dans certains pays).


LE PICCOLO ET SON USAGE

Le piccolo ou petite flûte pourrait être appelé « flûte traversière miniature ». L'instrument sonne une octave plus haut et sa tessiture est presque aussi étendue : un peu moins de trois octaves et demie. Issu du fifre militaire, le piccolo est apparu vers la fin du 17e siècle, mais le terme « flauto piccolo » est antérieur, de l’époque baroque jusqu’à celle de Mozart. Il désigne la flûte à bec soprano ou le petit flageolet (variété de flûte à bec).

Comme bien d’autres nouveaux instruments, le piccolo est d’abord introduit dans les orchestres d'opéra. Nous trouvons des premiers exemples de son utilisation dans deux symphonies de Beethoven. Dans la Cinquième, il contribue à l'atmosphère triomphale du final avec une fanfare dans l’aigu ; dans la Sixième, sa sonorité stridente rend l’image de la tempête plus éloquente.

Au 19e siècle, comme pour la flûte traversière, le piccolo bénéficie d’améliorations, surtout celles de Theobald Boehm. Il est aujourd’hui construit comme la flûte, mais sans patte amovible, et souvent taillé encore dans du bois afin que le timbre soit plus doux. Cependant, il existe aussi des piccolos en argent ou alliage d'argent. Par ailleurs, certains flûtistes jouent du piccolo en bois avec une embouchure en argent.

Les compositeurs utilisent le piccolo pour des passages en soliste et aussi pour accentuer ou colorer d’autres instruments — en particulier la flûte et le violon. Le son des cuivres est aussi plus brillant quand ils sont doublés par le piccolo.


UTILISATION DE LA FLÛTE PICCOLO
présenté par Anaïs Benoit, flûtiste à l’Orchestre de Paris.

LA FLÛTE ALTO ET SON USAGE

Cette version est semblable à la flûte ordinaire, sinon qu'elle est un peu plus longue et accordée une quinte plus bas. Inventée par Boehm, qui s'était inspiré, entre autres, de la flûte traversière basse en bois, elle a fait son entrée dans l'orchestre dans la dernière partie du 19e siècle.

Les musicologues disent souvent qu’elle était l'instrument favori de Boehm, mais son usage est toujours resté assez limité. Relativement peu puissante (elle exige beaucoup de souffle de l’instrumentiste), elle a de la difficulté à se faire entendre si le reste de l'orchestre n’est pas discret. Ravel dans Daphnis et Chloé et Stravinsky dans Le Sacre du printemps ont tiré parti de sa sonorité tragique.


LA FLÛTE DANS L’UNIVERS DU JAZZ ET DU ROCK

Contrairement à la “sagesse” des compositeurs classiques, dans les musiques contemporaines, jazz et rock, la flûte, pas plus que la trompette ou le saxophone, n’échappera à certains effets sonores gratuits. Rappelons que la particularité de ces courants musicaux est d’exister dans la matière sonore qu’ils produisent, plus que dans n’importe quelle autre musique. Traitée avec une grande liberté de ton, c’est sa sonorité, plus que ses tournures de phrases et ses clichés mélodiques, qui permet de distinguer la personnalité de l'instrumentiste.


JETHRU TULL : ‘BOURÉE' (Stand Up - 1969)
(basé sur la Suite en Mi menur de Bach - flûte : Ian Anderson)

Dans le jazz, c’est pour reproduire instrumentalement les inflexions des chanteurs de blues que les premiers souffleurs commenceront à triturer le son, à reculer les limites habituelles des tessitures. La recherche de nouvelles sonorités est généralement une fin en soi, notamment dans le rock où les différents procédés employés conduisent le plus souvent à cerner la créativité du musicien. Les effets ne manquent pas : inflexion, glissando, vibrato, résonance prolongée, sons bouchés, bruit de gorge, etc. Curieusement, ce sont les instruments acoustiques considérés comme les moins expressifs de l’instrumentation classique qui sont choisis par les musiciens contemporains. Dans le domaine du jazz, on peut associer quelques grands noms à la flûte : Eric Dolphy, Joe Farrell, Bobby Humphrey, Roland Kirk, Hubert Laws ou encore Magic Malik et Herbie Mann.


BOBBY HUMPHREY : 'JASPER COUNTRY MAN’ (Blacks and Blues – 1973)

Par Elian Jougla (Cadence Info - 12/2021)
Source : L’orchestre symphonique et ses instruments de S. Kruckenberg – Editions Gründ


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