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NICOLAS GODIN « CONTREPOINT », UN HOMMAGE RENDU À BACH

« La musique de Jean-Sébastien Bach m'a sauvé, ça a sauvé ma créativité et mon amour de la musique ». Après avoir réalisé sept albums au sein du duo Air, Nicolas Godin a publié sous son nom un premier album intitulé Contrepoint, un vibrant hommage à un compositeur qui n’a rien perdu de son rayonnement depuis sa disparition, voilà plus de trois siècles : Jean-Sébastien Bach.


SUR UN « AIR » DE BACH

Qu’il semble loin le temps de Safari, le disque qui avait propulsé le duo Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin sur le devant de la scène électro. « Avec Air, j’étais arrivé au bout d’un système, j’avais perdu le plaisir d’enregistrer et puis un jour un ami m’a prêté un documentaire sur le pianiste Glenn Gould, célèbre pour ses Variations Goldberg. Cela m’a fait l’effet d’une révélation. Je me suis plongé dans l’œuvre de Bach… Peu à peu, j’ai compris qu’il était à la source de toutes les musiques qui m’ont nourri. J’ai découvert ses immenses audaces harmoniques, ces accords malsains qu’il utilise sur la Cantate BWV 54, par exemple ! J’avais trouvé la raison d’être de mon disque : tirer le fil qui va de Bach à Morricone, Elfman, Legrand ou Colombier. »

Pour Nicolas Godin, il ne s’agissait pas d’adapter, ni de colorier avec des sons étranges un héritage vieux de plusieurs siècles, mais seulement de s'inspirer des développements chers au maître de Leipzig. Chacun des huit morceaux de Contrepoint a pour origine un prélude, une fugue ou une cantate avec, côté instrumentation, un assortiment des plus banals : claviers, guitare, cordes, perçussions…

Comme pour laisser des traces de son passage, l’album Contrepoint s’offre le luxe d’être multilingues. Tout d’abord en allemand avec l’adaptation de la cantate Widerstehe dor der Sünde, qui permet d’entendre en duo Thomas Mars, le leader de Phoenix, et Dorothée de Koon ; en italien sur Quei Due ou encore en portugais avec le titre Clara, chanté par Marcelo Camelo du groupe brésilien Los Hermanos. Toutefois, nous ne nous y trompons pas, Nicolas Godin ne fait pas dans la surenchère, bien au contraire, le musicien fait preuve de retenu à travers une écriture finement ciselée, prenant ses distances avec le contour étriqué de quelques musiques populaires et dont malheureusement la French Touch a trop souvent hérité : « Avec les synthétiseurs, les boîtes à rythmes et les vocoders, je sentais que j'étais au bout de ce que je pouvais faire. J'avais l'impression de tourner en rond », se souvient Nicolas Godin. « Pour me sortir de là, il me fallait revenir à la source de la musique, avant l'invention du matériel qui m'a permis à moi, adolescent autodidacte, de créer un univers musical ».

C’est là qu’intervient Glenn Gould, le célèbre pianiste qui provoqua moult interrogations par ses excentricités, mais qu’on encensait quand il prenait en main une œuvre de Bach. Happer par le génie de ses interprétations, Nicolas Godin prend alors conscience de la puissance du compositeur allemand, bien décidé à reprendre l’étude du piano malgré les obstacles à surmonter, simplement pour se rapprocher de Gould et de son travail sur Les Variations Goldberg, si célèbres.

Le maître du contrepoint, mathématicien d’une musique que certains qualifient trop souvent de cérébrale, aura fait naître bien des vocations quand le Clavier bien tempéré s’entoura de préludes et de fugues. Il n’en fallait pas d’avantage pour que le membre de Air ne plonge ses pensées et ses doigts dans cet univers-là, avec sa « touche », sa vision toute personnelle, contournant ainsi le handicap d’une technique limitée. « Je me suis dit après tout, la musique est une énergie. Et puis ma vision n'est pas plus conne qu'une autre. »


CONTREPOINT, UN UNIVERS DE STYLES

Contrepoint est un exercice de style dont le matériau de base de chaque composition est une œuvre de Bach. Nicolas Godin a développé les ressorts d’écriture du compositeur allemand en les rendant plus ou moins actifs, plus ou moins présents, en engageant ses propres idées et en les ouvrant aux quatre vents : du jazz habillé en 5/4 façon Take Five de Dave Brubeck sur Club Nine, en parcourant avec Clara les intonations brésiliennes d'une bossa pas tout à fait nova, ou encore, en hommage à la musique de films, Bach off, une pièce instrumentale en forme de montage sonore qui offre plusieurs perspectives parmi lesquelles la poursuite de Bullit chère à Lalo Schifrin ou les arpèges de L’affaire Thomas Crown de Michel Legrand.


NICOLAS GODIN : CLARA

Au regard de ce sulfureux mélange qui fait résonner quelques éclats de musique électronique, Contrepoint n’est pas un album de musique classique adapté en pop ou en jazz, mais bien plus. Nicolas Godin utilise avec parcimonie les outils contemporains qu’il connaît bien. Il adapte les sonorités et les intègre à l’intérieur de ses réinterprétations sans forcer sur les effets. « De la même façon qu'en architecture ce ne sont pas les murs qui sont importants, mais l'espace qui est entre les murs, pour moi l'espace entre deux sons est beaucoup plus important que les sons eux-mêmes. Je crée de la musique en 3D. Mon but à la fin, c'est de pouvoir poser le morceau sur une table et qu'on puisse le regarder. »

Pour être apprécié à sa juste valeur, l'album Contrepoint demande une certaine culture. Ceux qui connaissent bien l’œuvre de Bach auront le privilège d’en découvrir les finesses d’adaptation. Contrepoint évite aussi les pièges d’une musique au penchant purement technique, ce qui aboutirait à une forme d’élitisme. Contrepoint s’adresse à un large public pourvu de larges oreilles. C’est une « pop » intelligente et pas du tout indigeste. Grâce à sa diversité sonore et aux multiples rebondissements harmoniques, l’album parvient à captiver de bout en bout. Il est dans l’air du temps, sans nostalgie et à l’écart des modes sans lendemain.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 11/2015)


Nicolas Godin Contrepoint : extraits à écouter sur Deezer


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