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CHANSON

LA RENCONTRE ENTRE BRASSENS, BREL ET FERRÉ. FIN DE L'INTERVIEW HISTORIQUE

Cette page est la retranscription de la dernière partie de l'interview historique entre
BREL, BRASSENS ET FERRÉ


UN PROJET FOU QUI N'A JAMAIS VU LE JOUR

Comment réagissez-vous à la publicité ? Vous sert-elle, vous intéresse-t-elle ?

FERRÉ : il faut bien qu’on sache où nous chantons.

BRASSENS : quand on signe un contrat, on ne refuse pas que les gens parlent de nous, évidemment. Mais il y a publicité et publicité, c’est toujours pareil.

BREL : il y a publicité et conditionnement.

BRASSENS : quand on passe en public, on l’annonce et c’est tout… On ne va pas jusqu’à faire la parade… C’était sympathique, d’ailleurs. Ca ne se fait plus guère… Tu nous vois, faisant la parade ?

BREL : l’hiver, non. L’été, oui !

FERRÉ : [à voix basse] Moi j’ai une idée. Enfin, je ne sais pas, mais je leur dis ça à tous les deux. Je voudrais qu’un jour, ce serait extraordinaire, qu’on choisisse les dix plus grandes salles de France, tous les trois, qu’on choisisse chacun douze chansons, et qu’on fasse la parade s’il le faut, puis, qu’on rentre en scène, Brassens, une chanson, il s’en va, Brel, une chanson, puis moi, puis Brel, puis Brassens, puis moi… pendant deux heures. Voilà, c’est une idée de fou que j’ai…

[silence]

BREL : c’est assez fou ! [silence] Donc j’aime assez !

BRASSENS : oui, ça n’est pas une mauvaise idée. Mais tu risquerais d’emmerder les gens qui voudraient en voir d’autres aussi… Pourquoi nous trois, tu comprends ?

FERRÉ : eh, parce que, nous trois, enfin… Un petit syndicat, comme ça.

BREL : ah, on y vient ! [rires]

FERRÉ : c’est quelque chose de fraternel que je dis en ce moment, évidemment. Et sans aucune idée d’argent ou quoi que ce soit derrière la tête. Ça me plairait beaucoup.

BRASSENS : oui, on peut le faire, pourquoi pas, on n’a rien contre. On pourrait le faire à l’occasion d’un truc, mais faire ça tous les jours, je ne sais pas si c’est faisable.

FERRÉ : non, deux ou trois fois. Ça ne serait pas mal, non ?

BREL : ah oui ! Moi, dès que c’est dément, je plonge !


LA VIE SOCIALE, LA FEMME, LA MISOGYNIE, LES ENFANTS

Comment vivez-vous ? Avec des copains ? Une femme ? En compagnie d’animaux ? Comment ?

FERRÉ : les gens sont toujours intrigués par nos vies. Ils voudraient rentrer dans nos vies… Chaque fois que les gens sont entrés chez moi par effraction sentimentale, il m’est toujours arrivé des salades abominables. Il y a des gens qui se démerdent pour rentrer dans la vie des artistes… Et ce sont de sales gens !

../..

Quelle place tient la femme dans votre vie ?

[rire de

BREL]

BRASSENS : ca, c’est une autre histoire !

FERRÉ : on est tous logés à la même enseigne.

BREL : je crois qu’on a tous les trois répondu ! [rires]

BRASSENS : oh, la femme, c’est un être charmant quand elle s’en donne la peine... Et pénible sans s’en donner la peine ! [rires]

BREL : moi je crois que la femme est un être qui se donne toujours et de toute façon avec beaucoup de peine… Mais l’homme aussi ! [rires]

Qu’est que vous appréciez chez une femme ?

BRASSENS : [silence] Ça dépend de ce qu’on attend…

BREL : …ce qu’on espère ou ce qu’on redoute.

BRASSENS : c’est tout simple... Un type rencontre une femme, il est amoureux d’elle, ça dure deux mois, deux ans, ça dure vingt ans, et puis c’est tout. C’est comme pour tout le monde. Là aussi, c’est pareil…

Pensez-vous que la femme soit capable d’apporter quelque chose d’important à l’homme ? L’équilibre, par exemple ?

FERRÉ : non !

Pourquoi ?

FERRÉ : [silence] Parce que.

BRASSENS : je pense que nous sommes, nous trois, des types qui, sur le plan de l’équilibre, pouvons nous passer de femmes. Sur un autre plan, non. A-t-on besoin tellement d’équilibre d’ailleurs ? Peut-être qu’on n’en a pas besoin. [rires] Non, une femme peut être emmerdante, une femme peut être charmante, ça dépend desquelles... Ça dépend de la femme à laquelle tu as affaire, de sa nature, de son caractère ou des atomes crochus qu’on a avec elle… La femme en général, c’est une autre histoire.

Léo Ferré, lui est beaucoup plus catégorique…

FERRÉ : je dis non, parce que la femme n’a de cesse qu’arrive – après l’amour- la tendresse, ce bâtard insoutenable de l’amour, qui fout tout par terre  ; et qui, moi, me rend encore plus seul que tout. La tendresse, c’est la fin du monde… Parce qu’on est chocolat. Quand quelqu’un est tendre avec moi, je suis marron, je suis un esclave. Et si je suis un esclave, je ne suis plus un homme ! Voilà, c’est tout. On n’a pas le droit de se foutre dans les pattes d’une bonne femme qui vous tient en laisse !

BREL : moi, je suis trop jeune pour parler de tout ça ! [rires]

BRASSENS : je crois que sur le plan de notre vie de chanteur, nous n’avons pas tellement besoin des femmes ; nous en avons besoin comme tout le monde, vous savez bien pourquoi…

BREL : pour faire le marché !

BRASSENS : l’amour est une chose difficile… D’ailleurs, vous le voyez bien, ça ne réussit pas tellement à la plupart des gens.

BREL : mais il y a très peu de gens qui sont faits pour l’amour, très peu…

BRASSENS : bien sûr. La plupart des gens, si on ne leur en avait pas parlé, ils n’y auraient pas même pas pensé !

BREL : c’est une invention de la littérature de la Renaissance, enfin !

BRASSENS : et puis, il ne faut pas oublier que la vie sexuelle a de l’importance chez les individus. C’est même l’une des choses les plus importantes, après…

FERRÉ : l’amour, c’est une chose instantanée. C’est l’histoire du rêve familier de Verlaine ou de la passante de Baudelaire… Il faudrait pouvoir faire l’amour – je dis cela en toute quiétude, sans aucune mauvaise pensée – avec une femme instantanément. Et ça ce n’est pas possible. Et pourtant, parfois, il vous est arrivé de rencontrer une fille dans la rue, avec qui vous auriez fait l’amour immédiatement. Mais ça n’est pas possible ; il y a dix mille tabous autour de ça…

BREL : on est tous les trois beaucoup trop féminins pour apprécier follement les femmes…

Quel est la différence entre l’intérêt que vous portez à une femme et l’affection que vous portez à des animaux ?

FERRÉ : les animaux, c’est innocent.

BREL : les femmes aussi. [rires]

FERRÉ : les animaux sont innocents parce que vous pouvez les protéger. Vous avez un droit sur votre chien, personne ne vous dira rien.

BRASSENS : moi, j’aime les animaux parce que j’en ai eu quand j’étais petit… Je ferai un détour pour ne pas écraser un animal.

Mais c’est alors quelque chose de plus, de nouveau, de différent que l’intérêt que vous portez à une femme ?

BRASSENS : ce n’est pas comparable, on n’utilise pas les animaux pour les mêmes choses.

[rires]

BRASSENS : c’est un monde très différent, vous comprenez. Dans l’amour, on s’utilise les uns les autres. On est, finalement, toujours exploités par les femmes !

BREL : ah non ! Non ! Moi qui ai une réputation de misogyne, je ne suis pas de ton avis. Je suis relativement misogyne, mais je ne trouve pas que toutes les femmes exploitent tous les hommes.

FERRÉ : j’aime bien le "relativement" ! Explique-moi ce que ça veut dire "relativement misogyne"…

BRASSENS : moi, je ne suis pas du tout misogyne. Moi, je m’en fous. Une femme me plaît, elle me plaît. Une femme ne me plaît pas, elle ne me plaît pas, ça ne va pas plus loin. Ce n’est pas un parti pris.

FERRÉ : mais misogyne, ça ne veut pas dire ça.

BRASSENS : oui… c’est plutôt le type qui se méfie des femmes.

BREL : c’est ça, je suis méfiant. Je ne crois pas tout leur baratin.

BRASSENS : oui, mais, d’un autre côté, sont-elles vraiment responsables, les femmes ?

BREL : non, pas du tout. C’est pour cela que je dis " relativement misogyne ". Elles sont élevées comme ça, souvent, avec cet instinct de propriété dans l’amour… Mais comme nous, nous sommes élevés aussi d’une certaine façon.

FERRÉ : vous savez, moi, je crois que l’homme est un enfant, alors que la femme n’est pas un enfant. Voilà.

Je lisais quelque part que la maternité existe, mais pas la paternité ?

BREL : le sens de la maternité existe. Le sens de la paternité existe beaucoup moins.

Le fait d’avoir des enfants ou de ne pas en avoir, qu’est-ce que cela vous apporte ?

BRASSENS : personnellement, je ne pourrais pas m’occuper d’enfants. Si j’en avais, je m’en occuperais mal. Ce n’est pas de ma faute.

../..


LES SOUVENIRS

Avez-vous le sentiment, tous les trois, d’avoir bien ? Assez-bien… ou très bien " réussi votre vie " ?

BREL : elle n’est pas encore finie !

BRASSENS : on verra ça à la fin. Peut-être que ça va mal finir ? Jusque-là, on a fait à peu près ce qu’on a voulu, comme on disait tout à l’heure.

FERRÉ : on est libre. On fait ce que l’on veut, tout de même…

BRASSENS : écoutez, faire des chansons, les chanter en public, et avoir le plaisir de voir que le public les accepte et les reçoit, c’est quand même pas mal. Il y a de quoi être content, oui.

Et quel est votre souvenir le plus agréable ?

[silence]

FERRÉ : je ne me souviens pas de souvenir agréable…

BRASSENS : ni désagréable d’ailleurs ! Tout ça se mélange avec le temps. On oublie.

Cela transparaît dans la chanson, le passé…

BREL : oui, bien sûr. Il est relativement imaginaire.

BRASSENS : il est arrangé. On se refait des souvenirs.

BREL : on n’est pas des chroniqueurs.

Pour terminer, quel est, à votre avis, le plus ours de vous trois ?

BRASSENS : je crois qu’il n’y a pas d’ours parmi nous.

BREL : moi, je connais bien Georges. Je le devine. C’est pas un Ours. De toute façon, nous sommes tous les trois trop vulnérable pour être des ours. Le plus brutal, ce serait certainement moi. Mais c’est difficile à dire.

FERRÉ : il est flamand, mais il y a chez lui, dans sa façon de chanter, un viking né dans le sud de l’Italie, parce qu’il a quelque chose de très latin.

BREL : les Flamands viennent d’Espagne. Mais c’est de la véhémence plutôt que de la brutalité.

Transcription Elian Jougla (Cadence Info - 09/2014)


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