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CHANSON

JULIEN CLERC INTERVIEW 'PARTOUT LA MUSIQUE VIENT'

Apparu dans la période trouble de l’année 68, Julien Clerc a, album après album, produit de superbes chansons dont les premiers textes, issus de sa rencontre avec Étienne Roda-Gil, créèrent un mélange sulfureux à la tonalité unique dans la chanson française. La cavalerie, La Californie, Ivanovitch ou Ce n’est rien sont les premiers titres qui lanceront le chanteur sur les chapeaux de roues.


LE CHARME JULIEN CLERC

Après plus de 40 ans de carrière, l’artiste est toujours là. Cette longévité, il la doit en grande partie à l’amour que lui porte le public féminin qui vient l’écouter ; lui, derrière le piano avec son sourire éclatant, elles, reprenant en chœur Femmes, je vous aime, la chanson fétiche qu’il ne manque jamais d’interpréter. Le "cœur de rocker" de ces dames est un éternel jeune-homme, un éternel romantique qui chante l’amour et la féminité avec sa flamme coutumière.

Pour durer, il faut se réinventer et humer l’air du temps. Dans les années 80, Julien Clerc chantera L’enfant au walkman, véritable épiphénomène d’un changement de comportement chez les ados. Il chantera également sur des rythmes issus de ses racines guadeloupéennes : Hélène ou Mélissa, métisse d’Ibiza et pastichera même l’esprit rock’n’roll avec Lili voulait aller danser.

Julien Clerc propose avant tout des chansons simples et populaires. Sa vraie nature, il la trouvera dans les chansons romantiques. Les femmes, l’amour des femmes, c’est ce qui le singularise le mieux. S’il fait appel à des auteurs masculins, comme Étienne Roda-Gil, Maurice Vallet, son ami d’enfance, ou Maxime le Forestier et Jean-Loup Dabadie qui écrira pour lui Femmes, je vous aime, des artistes féminines comme Carla Bruni (Si j’étais elle) ou Françoise Hardy (Fais-moi une place) seront lui donner des textes d’une grande sensibilité.

Le temps passe vite, peut-être trop vite, à 67 ans, Julien vient de sortir un nouveau disque enregistré à Londres et intitulé Partout la musique vient. Il signe une fois de plus les musiques, mais encore…


INTERVIEW EXPRESS JULIEN CLERC

Vous venez de sortir un nouvel album intitulé Partout la musique vient. Ce titre résonne comme si vous veniez de découvrir ou de redécouvrir une manière de faire de la musique. Est-ce que je me trompe ?

Julien Clerc : à chaque nouveau disque, il faut se réinventer. Il faut essayer de surprendre les gens qui aiment votre travail et les autres d’ailleurs aussi.

Vous êtes né à Paris le 4 octobre 1947 d’un père brillant universitaire et d’une mère guadeloupéenne. Le métissage, c’est ce qui vous définit dès le départ ?

Julien Clerc : je crois, je crois parce qu’il y a deux choses qui me définissent. La première, la séparation de mes parents quand j’étais très petit puisque j’avais un an et demi. J’avais été confié à la garde de mon père, ce qui était rarissime en 1948. Les enfants étaient toujours confiés à la garde de leur maman. Ma belle-mère qui m’a élevé et que j’appelais maman aussi a été très importante dans mon éducation, en particulier musicale. Et, en même temps, sur le plan de la politique, c’était complètement différent. Il y avait chez mon père, pour faire court, classique et gaullisme, et chez ma mère, communisme et chansons françaises.

Quel est votre premier souvenir musical d’alors ?

Julien Clerc : à la maison, c’est ma belle-maman qui jouait du piano. Elle était pianiste amateur ; elle faisait du clavecin aussi. J’ai dû entendre ça dès le début. Et puis quand j’allais chez ma mère, c’était très certainement Brassens.

On a là, la définition de ce qu’est Julien Clerc…

Julien Clerc : que ce soit deux femmes qui soient au départ de mon éducation musicale, c’est amusant.

La musique est toujours une histoire de femmes avant tout…

Julien Clerc : bien oui !

Et qu’elle était votre toute première prestation publique ?

Julien Clerc : j’ai eu une prof de piano qui était très gentille. Elle organisait pour ses élèves, comme le font beaucoup de professeurs en fin d’année, une petite fête où elle faisait jouer ses élèves devant les parents. C’est là que j’ai joué La lettre à Élise et que j’ai su ce qu’était le trac.

Vous le connaissez toujours ce trac ?

Julien Clerc : oui, je le connais toujours. Après, il s’adapte. Lors des premiers spectacles, il est extrêmement présent, après on l’oublie. Mais ça peut revenir très vite. C’est comme une bête qui est tapie.

Dans l’ombre, jamais loin… Et la première chanson chantée ?

Julien Clerc : ma mère nous réunissait, un petit peu à la façon du film La vie est un long fleuve tranquille, autour du piano et puis on chantait Les frères Jacques ou des chansons folkloriques... du Poitou ; mon père était poitevin et il y était très sensible.

Et puis, plus tard, vous faites une rencontre déterminante dans un bistrot de Saint-Germain-des-Prés, celle de l’auteur Étienne Roda-Gil, un alter ego que vous rencontrez à L’écritoire…

Julien Clerc : c’est place de la Sorbonne. On était plus ou moins toute la journée dans ce bistro où j’allais assister à quelques cours. Et, à la cantonade j’ai lancé « Y’ pas quelqu’un qui écrit des textes de chansons ici ? » Ce qui est absurde. Et puis une voix s’est levée, je me souviens, c’était Roda… Deux jours après, on est allé chez moi et je lui ai joué des musiques que j’avais et c’est comme ça que ça a commencé.


JULIEN CLERC : DANSER

On est en 1968 et c’est La cavalerie, le premier vrai succès critique et public… et vous faites la première partie de Gilbert Bécaud

Julien Clerc : Gilbert m’a convoqué, il m’a dit : « Écoute, je ne comprends pas très bien ce que tu fais… J’ai entendu ta nouvelle chanson, je ne comprends pas, mais j’adore, j’aime bien. Donc, j’aimerais que tu fasses ma première partie en mars, mais avant, va apprendre ton métier, trouve-toi une tournée et fait de la scène. » Et je suis parti sur les routes avec Adamo en étant en première partie, sans être sur les affiches et en étant payé assez chichement.

Et en 1971, vous signez votre premier grand succès commercial, Ce n’est rien… Puis en 1982, vous changez de maison de disques et vous sortez votre premier disque chez Virgin. Et vous, qui étiez un gros vendeur d’albums, vous vous mettez à vendre des singles comme Lili voulait aller danser.

Julien Clerc : j’ai de la chance, car pour moi écrire de la musique j’arrive encore à le faire avec fraîcheur, peut-être parce qu’il y a un côté ludique et que cela m’a amusé de faire à un moment donné un rock, un truc à trois accords. Vous savez, dans cet album, il y avait aussi Femmes, je vous aime… Je me souviens, on l’a sorti comme premier single en étant très prudent.

Vous avez dit : « Plaire aux femmes, c’est la chance de ma vie. »

Julien Clerc : je m’en suis rendu compte très vite dans les premiers galas. Le public était très chaud à cette heure-là et certains artistes recevaient des canettes de bière, et moi jamais. Je me suis rendu compte que dans les endroits les plus connus pour être des endroits les plus chauds, j’avais remarqué de la scène que, en gros, les filles faisaient taire leur mec, du style : « Tiens-toi tranquille pendant une heure, le temps qu’il chante. » Et après, c’est vrai, le public féminin a toujours été présent. Je pense que si je suis encore là aujourd’hui, c’est évidemment par mon travail, mais je crois aussi parce que les femmes ont prolongé ma durée de vie artistique en mettant un peu de ma musique dans le biberon de leurs enfants.

En 1984, il y a une autre chanson qui, pour le coup, inonde les radios, c’est Mélissa.

Julien Clerc : je me suis toujours amusé lorsque j’ai composé un album à faire un truc exotique quand j’allais voir ma famille en Guadeloupe. C’est quelque chose qui est omniprésent dans ma culture, mais du côté de ma mère, parce que plusieurs fois ma belle-mère me disait : « Tu n'en parlais jamais quand tu revenais à la maison. Tu ne parlais jamais de cette histoire d’Antilles. » Cela veut dire que vraiment je clivais et que, quand j’allais chez ma mère, je retournais d’une certaine façon vers ce côté-là de mes ancêtres.

Est-ce qu’il y a des grands interprètes qui vous ont donnés envie ou qui vous ont émus ?

Julien Clerc : je me dis, généralement, quand on va voir quelqu’un : « C’est super d’être sur un petit nuage. » McCartney aujourd’hui, c’est le seul artiste que je pourrais entendre pendant trois heures. Mais il y a aussi une autre façon de « prendre » les gens, et c’était la façon de Léo Ferré où on ne sortait pas du tout sur un petit nuage… Sur scène, c’était à part. Quand vous sortiez, vous étiez à la fois heureux et tout de même un peu malheureux. L'important est de ne pas laisser les gens indifférents.

Et vous, vous êtes quelque part entre les deux ?

Julien Clerc : je déteste laisser les gens sur une chanson triste. Je pense que toujours j’essaie sur la fin, même si je suis tenté par moment, je me dis qu’il faut que je revienne à une chanson qui remette tout le monde en haut.

Vous êtes heureux sur scène, vous êtes à l’aise physiquement, épanoui ?

Julien Clerc : sur scène, on se transforme. Je pense franchement que l’on est quelqu’un d’autre. D’ailleurs, c’est pour ça que c’est si long et si difficile de redescendre. Vous avez une telle montée d’adrénaline et c’est une chose que seul la scène peut vous procurer. Bien que ce soit un poncif, la scène, cela ressemble à l’amour.

Est-ce qu’il y a une chanson que vous auriez aimée écrire ?

Julien Clerc : il y a une que je cite souvent, c’est Foule sentimentale (écrite par Alain Souchon, ndlr). Cela ressemble comme chez les amateurs de sport à un revers de Federer… car je crois qu’Alain ne sait pas d’où cela lui est venu (rires)… et donc cela donne quelque chose qui est différent du reste. Oui, je suis jaloux, car j’aurais aimé composer cette musique-là.

Quand on est chanteur, le plus dur c’est de durer ? Vous êtes d’accord avec ça ?

Julien Clerc : c’est vrai que durer demande de la remise en question, d’accepter que le temps passe. Toutes ces choses mêlent la fraîcheur, cela s’entretient comme une voix qui sort de l’ordinaire. Votre voix, c’est votre capital.

Et c’est ce qu’on vous dit souvent… que vous êtes éternellement jeune… physiquement, la voix…

Julien Clerc : je ne suis pas éternellement jeune. Je suis comme tout le monde. Je change comme tout le monde, mais c’est très gentil de me dire ça. En fait, ce qui en moi ne change pas, c’est l’attitude par rapport à mon métier. Cela me fait toujours autant plaisir de me mettre devant un piano et de chercher à inventer une nouvelle chanson que de monter sur une scène, et même de chanter des chansons que je chante depuis quarante ans. Cela ne m’ennuie pas. J’ai eu de la chance de trouver ce métier-là sur mon chemin, parce que je ne vous cache pas, qu’à l’adolescence, je ne savais pas, comme beaucoup, ce que la vie me réservait. J’étais un être plutôt nonchalant et paresseux, et tout à changer du tout au tout quand je me suis lancé dans cette vie-là.

Pour conclure, quel est le principal enseignement de votre vie d’artiste ?

Julien Clerc : c’est apprendre à tout moment que la remise en question, que sont obligés de faire les artistes s’ils veulent durer, ça devient comme une philosophie de vie ; et qu’on se dit, après tout, qu’éventuellement tout est possible.

Propos recueillis par L. Thessier (Cadence Info – 11/2014).


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